Successions et fiducies testamentaires : les nouvelles règles débarquent !

Par Francys Brown | 1 Décembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Robyn Mackenzie / 123rf

Les liquidateurs d’une succession et fiduciaires d’une fiducie testamentaire devront, à compter du 1er janvier 2016, composer avec de nouvelles mesures fiscales, dont la hausse des taux d’imposition. Ces nouvelles règles créeront une certaine urgence d’agir pour les liquidateurs, notamment lorsqu’il s’agit du règlement de la succession d’un entrepreneur décédé.

Voici un résumé des principaux changements.

1 TAUX D’IMPÔTS PROGRESSIFS LIMITÉS AUX 36 PREMIERS MOIS

Dans le cadre du budget fédéral de 2014, le gouvernement a proposé des modifications législatives afin de restreindre les avantages fiscaux dont les successions et fiducies testamentaires bénéficiaient. Notamment, les revenus provenant d’un legs testamentaire effectué en faveur d’une fiducie pouvaient bénéficier des taux d’imposition progressifs alors qu’un hériter, qui est une personne physique, doit ajouter les revenus provenant de cet héritage à ses autres revenus. Rappelons que, sur le plan fiscal, l’établissement d’une succession ou fiducie aux termes d’un testament donne lieu à la création d’un « deuxième contribuable », ce qui peut permettre de profiter des paliers d’imposition inférieurs à deux reprises : personnellement et par l’entremise de la succession ou fiducie.

Afin d’éliminer certaines inégalités, les successions et fiducies testamentaires établies par une personne décédée en 2012 ou antérieurement ne pourront plus profiter des taux progressifs au-delà du 31 décembre 2015.

En effet, à partir du 1er janvier 2016, seules les successions assujetties à l’imposition à taux progressif (SAITP) pourront bénéficier des taux d’imposition progressifs durant les 36 premiers mois suivant le décès d’un particulier. Une autre exception existera pour les fiducies admissibles pour personnes handicapées (FAPH), soit les fiducies testamentaires ayant un bénéficiaire qui est éligible au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Ces dernières pourront elles aussi profiter des taux progressifs, et ce, tant qu’elles demeureront admissibles.

Ainsi, au-delà de la période de 36 mois suivant la date du décès, les successions et fiducies testamentaires paieront de l’impôt sur tous leurs revenus au taux marginal d’impôt des particuliers le plus élevé, soit 49,97 % au Québec pour 2015.

Par conséquent, il pourrait être fiscalement avantageux de liquider une telle succession ou fiducie avant 2016. Il pourrait également être pertinent d’effectuer des opérations visant à augmenter le revenu imposable de 2015 et ainsi réduire les impôts futurs payables.

Par l’effet de ces nouvelles mesures, certains entrepreneurs voudront revoir les modalités de leur testament afin de minimiser les implications fiscales du fait que leurs succession et héritier pourraient devoir détenir les actions de la société qu’ils exploitaient au-delà du délai de 36 mois.

2 FIN D’ANNÉE D’IMPOSITION RÉPUTÉE AU 31 DÉCEMBRE

Seules les successions et fiducies qui répondent aux critères d’une SAITP pourront utiliser une date autre que le 31 décembre comme fin d’année d’imposition, et ce, jusqu’à la fin de la période de transition de 36 mois.

Par exemple, si une personne décède le 15 avril 2016, la période de 36 mois au cours de laquelle la succession pourra payer de l’impôt à des taux d’imposition progressifs se terminera le 15 avril 2019. La succession paiera ensuite de l’impôt au taux marginal d’imposition le plus élevé pour la période allant du 16 avril au 31 décembre 2019. Par conséquent, la succession devra produire deux déclarations de revenus pour 2019 : la première pour la période se terminant le 15 avril, et la seconde, pour la période se terminant le 31 décembre.

3 ACOMPTES PROVISIONNELS TRIMESTRIELS

Les successions et fiducies testamentaires peuvent actuellement choisir de payer leur solde d’impôts dans les 90 jours suivant la fin de leur année d’imposition. Selon les nouvelles règles, les successions et fiducies qui ne remplissent pas les conditions requises pour être désignées SAITP devront verser des acomptes provisionnels trimestriels.

4 VENTE PRÉSUMÉE AU DÉCÈS DU CONJOINT

La communauté fiscale a soulevé certaines préoccupations quant aux nouvelles règles dans un contexte de remariage. Par exemple, afin de minimiser les impôts à son décès et protéger ses héritiers, un entrepreneur peut envisager de léguer les actions de sa société à une fiducie exclusive au profit de son conjoint. Tant que le conjoint sera en vie, les dividendes provenant de la société pourront lui être versés par l’intermédiaire de la fiducie. Et à son décès, les actions seront remises aux enfants de l’entrepreneur issus d’une union précédente.

Selon les règles actuelles, le décès du conjoint entraîne une vente présumée des actions détenues par la fiducie. Cette vente présumée déclenche un gain en capital important. La facture fiscale peut être acquittée à même le capital de la fiducie et le reliquat est distribué aux enfants.

Selon les nouvelles règles en vigueur à compter de 2016, le décès du conjoint déclenchera une fin d’année fiscale présumée de la fiducie exclusive au profit du conjoint. Les dividendes reçus au cours de cette dernière année ainsi que le gain en capital résultant de la vente présumée des actions de la société seront inclus et ainsi imposés dans la déclaration terminale d’impôts du conjoint. Il est incertain que le capital de la fiducie pourrait être utilisé pour acquitter la facture fiscale.

Par conséquent, la succession du conjoint bénéficiaire décédé pourrait être désavantagée par les nouvelles mesures. Le tout, au profit des enfants qui sont les bénéficiaires du capital de la fiducie.

5 REVENUS DÉSIGNÉS COMME N’AYANT PAS ÉTÉ PAYÉS À UN BÉNÉFICIAIRE

En règle générale, une succession ou fiducie doit déduire de son revenu imposable les sommes qu’elle verse à un bénéficiaire. Cependant, des règles particulières permettent à la succession ou fiducie de s’imposer sur ses revenus bien qu’ils aient été versés à un bénéficiaire. En vertu des règles actuelles, cette désignation fait en sorte que le revenu payé aux bénéficiaires est imposable pour la fiducie plutôt que pour le bénéficiaire.

En imposant les revenus dans la fiducie, les bénéficiaires de la fiducie sont en mesure de tirer avantage d’une série de taux d’imposition progressifs supplémentaire et ainsi minimiser leur fardeau fiscal global. Cette réalité peut être bonifiée davantage si la fiducie testamentaire est également résidente d’une province où les taux d’imposition sont inférieurs à la province de résidence des bénéficiaires.

Les nouvelles règles auront pour effet de limiter le montant qu’une fiducie peut désigner comme n’ayant pas été payé à un bénéficiaire. Ainsi, les revenus qui pourront être imposés dans la fiducie seront limités à des montants suffisants pour réduire le revenu imposable de la fiducie à zéro. Ceci sera notamment le cas lorsque la succession ou fiducie bénéficie de pertes fiscales provenant d’autres années d’imposition.

Cependant, les mesures proposées ne modifient pas les règles quant au choix fait par un bénéficiaire privilégié qui s’appliquent aux fiducies au profit de bénéficiaires handicapés, ni les règles concernant les fiducies au profit d’enfants mineurs.

6 IMPÔT MINIMUM DE REMPLACEMENT

Finalement, l’exonération de base de 40 000 $ de l’impôt minimum de remplacement (IMR) ne sera plus applicable pour les successions et les fiducies qui ne sont plus considérées comme des SAITP.

Deux questions pour votre client

1 A-t-on pensé à souscrire par une fiducie testamentaire une assurance invalidité pour le fiduciaire afin de pouvoir assumer les frais d’un fiduciaire remplaçant, advenant une invalidité permanente du fiduciaire assuré ?

2 Afin de bénéficier du maintien des taux d’impôt progressifs et de mieux protéger un enfant handicapé, a-t-on envisagé de souscrire une assurance conjointe sur la vie des parents, payable au deuxième décès, et, à la suite du premier décès, d’en nommer la fiducie titulaire et bénéficiaire ?

Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, Adm.A., Pl. Fin., directeur régional – Elite, Développement et Mise en marché, Assurance et Épargne pour les particuliers, Desjardins Sécurité financière, Montréal.

Francys Brown

Francys Brown, LL.M. Fisc., est associé, fiscalité, à Corporation Fiscalité Financière FBSA.


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2015 de Conseiller.

Francys Brown