La planification de la relève trop souvent négligée

Par Pierre-Luc Trudel | 24 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Bon nombre d’entrepreneurs québécois partiront à la retraite au cours de la prochaine décennie, mais peu d’entre eux ont pris le temps de bien planifier leur relève. Le défi est particulièrement grand dans les entreprises familiales, où les émotions brouillent souvent les cartes.

En 2008, il y avait environ 188 000 entrepreneurs dans la province. En 2018, selon les projections, ils ne seront plus que 161 000. « On observe une baisse constante du nombre d’entrepreneurs au Québec. C’est une tendance lourde », souligne Daniel Gagné, directeur général des services aux entreprises et à l’entrepreneuriat du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation.

En ouverture de la première édition du Sommet international du repreneuriat qui a eu lieu vendredi à Montréal, il a expliqué que cette baisse marquée s’explique principalement par le vieillissement des gens d’affaires. Alors que leur âge moyen était de 43 ans en 1987, il est aujourd’hui de 49 ans. Plus préoccupant encore, le nombre d’entrepreneurs ayant plus de 55 ans a doublé entre 1995 et 2015, passant de 30 000 à 60 000. Toutefois, cette réalité n’est pas propre au Québec et concerne la plupart des pays de l’OCDE, précise M. Gagné.

Le vrai problème, c’est que les propriétaires de PME semblent peu nombreux à réellement se soucier de la relève de leur entreprise. Au Québec, seulement 13 % d’entre eux ont un plan formel de relève, comparativement à 26 % à l’échelle canadienne.

UN ÉCHEC CUISANT

Le manque de planification de la relève est une lacune majeure dans les entreprises familiales, a d’ailleurs déploré plus tard dans la journée Maxime Paulhus Gosselin, fondateur de Joii, une plateforme web qui facilite les contacts entre les chefs d’entreprise et la relève.

« Il y a un grand déficit de planification dans les entreprises familiales. Ce devrait pourtant être la priorité numéro un. Arrêtez d’attendre, le moment de commencer, c’est maintenant », a-t-il lancé aux propriétaires de PME et repreneurs présents dans la salle.

L’homme d’affaires sait de quoi il parle. Avant de fonder sa propre entreprise, il était directeur général et potentielle relève de la compagnie familiale Les Dépendances, qui importe des fromages fins au Canada. Mais ce n’est pas ce que le destin lui réservait. Le manque criant de préparation a mené à l’échec du transfert familial de l’entreprise et engendré « un conflit intergénérationnel d’une ampleur inimaginable », raconte-t-il. L’entreprise a finalement été vendue à un acheteur extérieur à la famille.

APPROCHE MULTIGÉNÉRATIONNELLE

« Il faut briser le moule de ce transfert parfait et linéaire qui consiste à préparer la relève, puis à la faire entrer dans l’entreprise à peu près au même moment où les cédants la quittent, poursuit Denise Paré-Julien, directrice du Centre des familles en affaires Deschênes|Molson|Lesage HEC Montréal. En 2017, la réalité dans les entreprises familiales, c’est que l’on doit travailler de façon multigénérationnelle, parfois durant plusieurs décennies. »

Dans un tel contexte, la question se pose : comment partager le pouvoir et l’autorité entre les différentes générations de propriétaires? En ayant de bonnes conversations à travers des structures de gouvernance efficaces, comme des conseils de famille. Celles-ci sont d’ailleurs trop souvent absentes dans les entreprises familiales québécoise, déplore Mme Paré-Julien, tout en rappelant qu’elles doivent demeurer simples et adaptées aux besoins des PME. Des structures trop lourdes ont tendance à décourager les différents acteurs impliqués.

SE CONCENTRER SUR LA PROPRIÉTÉ

Si l’objectif d’une entreprise familiale est d’exister encore dans 100 ans, la priorité devait être mise sur la propriété de l’entreprise, pas sur sa gestion, avance de son côté Olivier de Richoufftz, président de la Fondation des familles en affaires, un organisme qui soutient les entreprises familiales.

« On va tout faire pour conserver la propriété de l’entreprise dans la famille, mais on ne va pas chercher forcément à ce que la succession gère l’entreprise au quotidien. Pour ce faire, il ne faut pas avoir peur d’aller chercher de l’expertise à l’externe », a-t-il indiqué.

Il rappelle lui aussi que le transfert d’entreprise ne s’effectue pas simplement à un moment précis, mais qu’il s’étale sur une longue période.

« À partir d’un certain âge, disons 55 ans, les propriétaires d’entreprise devraient consacrer une part importante de leur temps (50 à 80 %) à la planification de la relève », croit-il.

Dans bien des cas, le recours à de l’aide extérieure se révèlera salutaire, voire même essentiel dans un contexte familial où les enjeux peuvent rapidement devenir très émotifs.

« C’est généralement impossible pour les parents de choisir entre leurs enfants. Pour déterminer qui sera le nouveau leader, ils auront parfois besoin d’un avis neutre, de quelqu’un qui pourra les conseiller sur la meilleure décision à prendre pour assurer la pérennité de l’entreprise », explique Sébastien Belley, directeur régional des services-conseils aux entreprises (Saguenay – Lac-Saint-Jean) et chef de pratique en relève entrepreneuriale chez Mallette.

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Pierre-Luc Trudel