La planification testamentaire et successorale de l’entrepreneur-retraité

Par Sylvain Carpentier | 12 mars 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Selon la situation de l’entrepreneur s’étant retiré des affaires, les actifs détenus par ce dernier prendront généralement l’une ou l’autre des formes suivantes :

Si l’entreprise a été vendue à des tiers

Dans ce cas, l’entrepreneur-retraité détiendra généralement un portefeuille de placements, représentant le produit de la vente des actions qu’il détenait directement dans la société qui exploitait l’entreprise (que nous appellerons ci-après la « société opérante »). En certaines circonstances, l’entrepreneur détiendra plutôt les actions d’une « société de portefeuille » détenant des placements. Il en sera ainsi dans le cas où la vente de l’entreprise à des tiers s’est opérée par la disposition des actifs qui étaient détenus par la société opérante, de même que dans l’éventualité où la totalité ou une partie des actions de la société opérante ayant fait l’objet de la vente étaient détenus par la société de portefeuille de l’entrepreneur.

Si l’entreprise a été transférée à un ou des enfants de l’entrepreneur-retraité

À la suite du gel successoral qui a été mis en place lors du transfert de l’entreprise à la génération suivante (voir la chronique de Me Guy Gendron sur le transfert intergénérationnel et la fiscalité), l’entrepreneur-retraité détiendra des actions dites « privilégiées », qui ont une valeur « fixe » (établie lors du gel) et sont rachetables au gré de leur détenteur. Souvent, notre client retraité détiendra aussi des actions lui conférant le contrôle de la société opérante, tant que ses actions privilégiées n’auront pas toutes été rachetées par cette société. Comme l’a relaté Me Gendron dans sa chronique, les droits de vote afférents à ces actions « de contrôle » ne pourront être exercés par aucun détenteur ultérieur après le décès de l’entrepreneur-retraité.

Si toutefois toutes les actions privilégiées que détenait l’entrepreneur-retraité ont été entièrement rachetées avant son décès, il transmettra alors un portefeuille de placements, représentant le produit de leur rachat.

Principales étapes fiscales d’une planification successorale

Rappelons tout d’abord que la planification fiscale successorale d’un entrepreneur s’articule en général autour des sept étapes suivantes :

  • Examiner ses actifs, sa situation matrimoniale et familiale et les documents qu’il a ou n’a pas signés relativement à l’éventualité de son décès, le tout dans le but d’évaluer les impôts qui seraient à payer s’il décédait aujourd’hui.
  • Faire en sorte qu’il profite de tous les moyens offerts par la loi pour réduire le fardeau fiscal potentiel, calculé à l’étape 1. Par exemple, assurer l’entrepreneur actionnaire d’une société privée en exploitation d’avoir droit à l’exonération de 750 000 $, relativement au gain en capital accru sur ses actions.
  • Évaluer la possibilité et l’opportunité de faire cesser ou de ralentir l’augmentation prévisible du fardeau fiscal potentiel de l’entrepreneur (par exemple, le gel successoral).
  • Rédiger le testament de cet entrepreneur de manière à ce qu’il profite le mieux possible de toutes les dispositions fiscales permettant de reporter dans le temps le paiement des impôts déjà accrus sur ses biens (par exemple, le roulement au conjoint ou à une fiducie exclusive créée en sa faveur).
  • Une fois les quatre premières étapes complétées, vérifier si le fardeau fiscal restant pourra être acquitté facilement et rapidement par la succession de l’entrepreneur ou celle de son conjoint. S’assurer aussi que la valeur nette de la succession sera suffisante pour permettre aux héritiers de l’entrepreneur de jouir d’un niveau de vie adéquat. À défaut, diriger l’entrepreneur vers les mesures correctrices appropriées (par exemple, une assurance sur la vie des deux conjoints, payable au deuxième décès seulement, etc.).
  • En rédigeant le testament de l’entrepreneur, mettre en place une structure qui permettra de minimiser les impôts qui seront à payer par ses héritiers dans les années suivant son décès, relativement aux revenus qu’ils tireront des actifs dont ils auront hérité (par exemple, l’utilisation de la fiducie testamentaire).
  • Si nécessaire, après le décès de l’entrepreneur, mettre en place les stratégies nécessaires afin d’éviter aux héritiers d’avoir à supporter une double imposition quant à certains des actifs dont ils auront hérité (tels que des actions d’une « société de portefeuille »).

Il déborde largement de l’objectif de la présente chronique de traiter de tous les aspects d’une bonne planification successorale. Aussi, dans les lignes qui suivent, nous nous contenterons d’aborder certains aspects de la planification successorale spécifiques aux actifs détenus par l’entrepreneur-retraité.

Double imposition potentielle à l’égard de certains actifs

Le legs des actions détenues par l’entrepreneur-retraité dans une « société de portefeuille » à la personne qui est son époux, épouse, ou conjoint(e) de fait (que nous désignerons indistinctement par le terme « conjoint ») ou à une fiducie constituée pour le bénéfice exclusif de ce conjoint n’entraînera pas d’imposition immédiate lors du décès de cet entrepreneur-retraité. Toutefois, au décès du conjoint, ce dernier (si le legs lui a été fait en pleine propriété) ou la fiducie constituée pour son bénéfice exclusif (si le legs a été consenti à cette fiducie) sera réputé avoir disposé desdites actions pour une contrepartie égale à leur juste valeur marchande. La succession du défunt ou la fiducie pourrait donc avoir à payer des impôts. Si, à la suite de ce second décès, les actions sont remises aux enfants de l’entrepreneur-retraité, ces derniers, lorsqu’ils retireront ultérieurement des sommes d’argent de la société de portefeuille, verront ces retraits imposés comme des dividendes, avec pour conséquence que toute ou une partie de la valeur des placements détenus par la société de portefeuille aura été imposée deux fois (tout d’abord à titre de gain en capital, et ensuite, à titre de dividendes).

Les lois fiscales permettent toutefois, à certaines conditions, d’éviter cette double imposition. Si les actions détenues par l’entrepreneur-retraité avaient tout d’abord été léguées à son conjoint, le testament de ce dernier devrait donner au liquidateur de sa succession le pouvoir, alors qu’il détiendra lesdites actions, de procéder lui-même à certaines opérations (l’ensemble de telles opérations étant communément appelé « planification fiscale post-mortem ») ayant pour effet d’éviter la double imposition. L’une des stratégies fréquemment envisagées consiste à procéder à la liquidation de la société de portefeuille entre les mains du liquidateur, lequel remettra ensuite les actifs corporatifs aux enfants de l’entrepreneur-retraité. Si les actions de la société de portefeuille avaient plutôt été léguées à une fiducie constituée au bénéfice exclusif du conjoint de l’entrepreneur-retraité aux termes du testament de ce dernier, ledit testament accorderait plutôt ce pouvoir au fiduciaire de ladite fiducie. Ce dernier pourra procéder aux opérations de planification fiscale post-mortem après le décès du conjoint ayant été le bénéficiaire de telle fiducie.

Ce genre de stratégie permet généralement d’éliminer l’impôt sur le gain en capital qui est habituellement à payer à la suite du décès du conjoint de l’entrepreneur-retraité. Seul l’impôt sur le dividende de liquidation reste donc à payer.

À lire : Succesion : l’ABC pour léguer sa PME

Rachat des actions de gel à la suite du décès de l’entrepreneur-retraité

Si l’entreprise de l’entrepreneur-retraité a fait l’objet d’un transfert intergénérationnel et que ce dernier détient des actions privilégiées de la société opérante, il pourra être primordial de s’assurer que les actions privilégiées qui n’auront pas été rachetées avant son décès puissent être rachetées dans les meilleurs délais possible après sa disparition.

Ces actions privilégiées seront généralement léguées au conjoint de l’entrepreneur-retraité (ou à une fiducie constituée pour son bénéfice) ou encore, à l’ensemble de ses enfants (ou à des fiducies créées pour leur bénéfice respectif). Très souvent, le conjoint de l’entrepreneur-retraité, ou, selon le cas, certains de ses enfants, ne seront pas impliqués dans la conduite des affaires de la société opérante. Dans de tels cas, il importera à l’entrepreneur-retraité que ses héritiers n’étant pas impliqués dans l’entreprise puissent rapidement recevoir la valeur monétaire des actions dont ils hériteront. D’autre part, l’entrepreneur-retraité voudra aussi s’assurer que la société opérante dispose, au moment voulu, des liquidités nécessaires au paiement du prix de rachat desdites actions.

Dans cette optique, il sera souvent conseillé, lors de la mise en place du gel successoral, que la société opérante souscrive à une assurance sur la vie de l’entrepreneur-retraité, de manière à ce qu’au décès de ce dernier, la société opérante puisse disposer des liquidités nécessaires au paiement du prix de rachat de ses actions privilégiées (ou à tout le moins au paiement d’un acompte substantiel sur ce prix de rachat).

Si les actions privilégiées ont été léguées au conjoint de l’entrepreneur-retraité (ou à une fiducie constituée au bénéfice dudit conjoint), la transmission des actions à la suite du décès de l’entrepreneur-retraité et leur rachat subséquent par la société opérante pourront s’effectuer en franchise d’impôt (roulement des actions suivi d’un rachat à même le compte de dividende en capital de la société opérante).

Actions d’une société de portefeuille transmises à une fiducie au bénéfice exclusif du conjoint

Comme mentionné plus haut, il est possible que l’entrepreneur-retraité détienne les actions d’une « société de portefeuille » au moment de son décès. Il arrive aussi que le testament de l’entrepreneur prévoie que ses actions seront léguées à une fiducie créée au bénéfice exclusif de son conjoint (par exemple, pour s’assurer que ces biens iront d’une manière certaine à ses enfants à la suite du décès de ce conjoint).

Même si le testament de l’entrepreneur prévoit que son conjoint aura droit de recevoir, sa vie durant, la totalité des revenus nets de la fiducie (c’est là l’une des conditions imposées par les lois fiscales pour qu’une telle fiducie puisse hériter de biens par « roulement fiscal »), reste que les actions de la « société de portefeuille » détenues par la fiducie ne produiront des revenus que dans la mesure où cette société paiera elle-même des dividendes sur lesdites actions. Les fiduciaires de la fiducie détenant les actions de la « société de portefeuille » sont ceux qui devront décider, bon an mal an, du montant des dividendes que la « société de portefeuille » versera à la fiducie.

Afin de leur offrir une « balise » à cet égard, il sera souvent indiqué que le testament prévoit un montant minimum (généralement indexé) que le conjoint se verra procurer par la fiducie chaque année.

De cette manière, les fiduciaires disposeront d’une indication claire du niveau de confort financier que l’entrepreneur a voulu fournir à son conjoint, minimisant par la même occasion les risques de conflit avec les bénéficiaires du capital de la fiducie.

Cette chronique ne présente qu’un bref aperçu de certains des éléments à considérer dans la planification successorale d’un entrepreneur à la retraite. L’énumération que nous avons faite des principales étapes d’une bonne planification fiscale successorale montre bien qu’il s’agit d’un exercice qui, en pratique, sera bien plus complexe.


Sylvain Carpentier est notaire chez Gendron Carpentier, notaires fiscalistes.

À lire : États financiers d’entreprise : lecture simple…

Jean-Guy Grenier

Deux questions à poser lorsqu’un client entrepreneur prend sa retraite :

1. Est-ce que le client a besoin ou souhaite, en priorité, léguer une succession nette d’impôts au décès ou croit-il que les liquidités qu’il possède sont suffisantes pour les payer?

2. Si le client retraité a suffisamment de liquidités pour payer les impôts au décès, souhaite-t-il faire récupérer à sa succession ces liquidités ou les donner à une cause qui lui tient à cœur?


Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, AdmA, Pl.Fin., conseiller principal en planification financière, fiscale et successorale, Desjardins Sécurité financière.

Sylvain Carpentier