Les conseillers doivent-ils craindre les assurtechs?

Par Pierre-Luc Trudel | 11 avril 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Conseiller se cachant derrière son bureau.
Photo : alphaspirit / 123RF

L’industrie de l’assurance a mis du temps à prendre le virage numérique, mais elle semble maintenant déterminée à rattraper son retard. Alors que les assurtechs, ces startups qui redéfinissent la notion même de produits d’assurance, se multiplient, les conseillers en sécurité financière ont-ils du souci à se faire pour l’avenir de leur profession? Un peu, mais ils conservent tout de même certains atouts face à l’intelligence artificielle.

Après avoir atteint un sommet il y a quelques années, le niveau d’activité des startups évoluant dans le secteur des services financiers a commencé à reculer, signe d’une certaine stabilisation du marché. Il y a toutefois une exception : le monde de l’assurance. Les assurtechs continuent d’attirer des capitaux de façon croissante. En 2018, elles ont réussi à lever un total de 2,6 G$ pour financer leur développement, selon des données de Deloitte.

« Les banques ont pris le virage numérique il y a une dizaine d’années. Chez les assureurs, c’est beaucoup plus récent. En assurance vie, où les polices ont des durées de 20, 30 ou 40 ans, les changements sont plus lents », a expliqué Benjamin VonEuw, leader du Centre d’innovation à iA Groupe financier, lors de l’événement Insurtech QC, lundi à Québec.

Le secteur de l’assurance n’allait toutefois pas être épargné éternellement, surtout à l’ère où les exigences des clients changent radicalement. « Les consommateurs s’attendent à tout pouvoir faire assis confortablement dans leur salon, y compris souscrire des polices d’assurance. Et jusqu’à maintenant, l’industrie n’a pas très bien réussi à le faire », indique Philippe Gosselin, directeur à la Direction Innovation chez Desjardins Groupe d’Assurances générales. 

LA FIN DES DISCUSSIONS DE CUISINE?

La tendance est de plus en plus à la distribution directe aux consommateurs, ce qui n’est pas, a priori, une nouvelle très réjouissante pour les conseillers. « Certains segments de la population cherchent à acheter leurs assurances directement en ligne sans avoir à discuter avec un conseiller autour de la table de cuisine, et surtout sans avoir à passer d’examens médicaux », affirme Ian Jeffrey, cofondateur et président de Breathe, une assurtech qui offre aux assureurs des solutions de vente directe en ligne.

Le fait que 70 % des ventes d’assurance vie réalisées par le biais de la plateforme soient conclues à partir d’un appareil mobile prouve que les gens veulent pouvoir acheter des produits financiers quand ils le veulent et où ils le veulent, juge-t-il.

« Ce n’est pas vrai que les Y ne veulent pas acheter d’assurance vie. C’est seulement que personne ne s’intéresse à eux. Les primes qu’ils achètent sont trop petites, ce n’est pas rentable pour les conseillers », poursuit-il.

Malgré tout, Ian Jeffrey ne prévoit pas, et ne souhaite pas non plus, la disparition des conseillers en sécurité financière. « Les insurtechs permettent de simplifier et d’accélérer le processus de vente. C’est de la plomberie. Les gens auront toujours besoin de conseils humains. Nous ne sommes pas des ennemis, nous sommes des alliés », assure-t-il.

Il cite notamment la firme Hublio, qui a développé un robot-conseiller non pas conçu pour court-circuiter les conseillers humains, mais plutôt pour les aider à travailler plus rapidement et efficacement. « Plusieurs solutions technologiques sont destinées aux conseillers. Ceux-ci ne vont pas disparaître, mais leur rôle va évoluer », croit-il.

LES LIMITES DE L’AUTOMATISATION

Félix Deschatelets, qui a participé à un concours de pitch organisé dans le cadre d’Insurtech QC, est du même avis. « Le but des insurtechs n’est pas de remplacer les humains. De toute façon, l’intelligence artificielle n’est pas encore prête à le faire », a-il affirmé en présentant la startup qu’il a fondée, Emma, devant un panel de juges.

Emma est une solution de clavardage (chatbot) qui guide les clients à travers le processus d’achat d’une assurance vie. Les clients échangent à la fois avec un agent humain et avec un robot propulsé par l’intelligence artificielle. « Le contact humain demeure important, l’IA n’est là que pour automatiser les questions », indique-t-il, en ajoutant que la conversation peut parfois se poursuivre au téléphone, selon le désir du client.

Benjamin VonEuw croit lui aussi que l’automatisation a ses limites, et que les relations humaines vont toujours avoir leur place dans l’industrie de l’assurance. « Certains éléments ont sans doute intérêt à être automatisés, par exemple les réclamations pour les assurances auto. Mais quand il s’agit d’un bénéficiaire d’assurance vie dont le père vient de décéder, c’est totalement différent. Dans de telles circonstances, c’est certain qu’il va vouloir parler avec un être humain. Il faut faire très attention avec l’automatisation et s’assurer de trouver le juste équilibre. »

Insurtech QC a assumé les coûts liés à la couverture de la conférence. Cet article a toutefois été rédigé sans aucune contribution ou surveillance de la part des organisateurs de l’événement.

Pierre-Luc Trudel