Un coup d’œil sous le capot des FNB

Par Carole Le Hirez | 10 juin 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les fonds négociés en Bourse (FNB) deviennent de plus en plus sophistiqués. Voici quelques tendances à surveiller et des suggestions de stratégies pour profiter des occasions offertes par ces produits en période de volatilité.

Les FNB ont connu une forte croissance des entrées nettes d’actifs au cours des derniers mois, a souligné d’entrée de jeu Laurent Boukobza, vice-président stratège en FNB chez Mackenzie, lors d’une table ronde présentée le 26 mai dernier par le Cercle Finance du Québec.

Alors qu’en 2007 les FNB au Canada représentaient 3 % des actifs en fonds mutuels, cette proportion atteignait près de 13 % en 2021, selon une compilation de Banque Nationale du Canada. Les entrées nettes d’actifs pour les FNB canadiens se sont élevées à près de 15 milliards de dollars (G$) entre le début de l’année et la fin avril 2022. « Si cette tendance se maintient, cela devrait être une nouvelle année record pour les entrées nettes d’actifs », a estimé le spécialiste.

L’offre de produits a été multipliée par 12, tandis que l’actif a grossi plus de huit fois au cours des dix dernières années, a renchérit Alain Desbiens, directeur FNB, Est canadien, BMO gestion mondiale d’actifs, indiquant que les besoins, les produits et les solutions en matière de FNB deviennent de plus en plus « sophistiqués et robustes ».

Autre tendance: la présence importante de FNB en dollars américains. Pour le courtage de plein exercice et à escompte, sur un volume d’actifs de 190 G$ en FNB inscrits au Canada, les FNB américains représentent environ 60 G$, signale l’expert de BMO.

Face à cet engouement, une question revient, celle de la rentabilité des FNB. En gestion de patrimoine, le « benchmark » reste la fiabilité des rendements, estime Guy Lalonde, conseiller principal en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille chez Financière Banque Nationale.

Pour Jean-François Giroux, gestionnaire de portefeuille et chef IGP Canada, les FNB ne sont pas très différents des fonds mutuels et des fonds ségrégués. « C’est seulement la coquille qui change. Les FNB restent un véhicule de placement au même titre que les fonds communs », estime-t-il.

INTÉGRER LES ACTIFS ALTERNATIFS

Le marché canadien compte plus de 1200 FNB. La forte demande stimule le développement de nouveaux produits. Dans ce contexte, un nombre croissant d’investisseurs se tournent vers les fonds alternatifs, qui pèsent près de 30 G$ dans l’industrie canadienne, selon Alain Desbiens, dont la moitié, sous la forme de FNB d’options couvertes. Les fonds de cryptomonnaies représentent 25 % de ce marché, le reste étant un mélange de hedge funds, d’infrastructures et de commodités.

La gestion alternative des FNB donne accès à des produits que les clients et les conseillers ne comprennent pas toujours bien, constate Guy Lalonde. « Ils ne sont pas toujours conscients de la dynamique de l’effet de levier et de la structure des contrats à terme. » Pour intégrer les classes d’actifs non traditionnelles dans les FNB, le spécialiste identifie plusieurs critères : la fiabilité des rendements, la gestion du risque, des frais très faibles, la transparence du produit et la gestion indicielle.

Pour ces classes d’actifs moins connues des investisseurs de détail, Jean-François Giroux recommande de mettre l’accent sur la simplicité, d’avoir des fonds prévisibles, faciles à comprendre et avec des frais raisonnables, tout en gardant la liquidité comme priorité.

ROTATIONS ET RÉÉQUILIBRAGES

Plusieurs stratégies cohabitent pour mieux utiliser les fonds de FNB dans les portefeuilles, comme les rotations et les rééquilibrages. En situation de crise ou lorsqu’on anticipe plus de stress dans le marché, Jean-François Giroux recommande de privilégier la liquidité. « On veut ajouter de l’alpha, mais pas au risque d’avoir des frais de transaction plus élevés », explique-t-il. Il ajoute que la hausse des taux d’intérêt offre des opportunités de réinvestir les liquidités à des niveaux plus intéressants qu’en 2021.

Les rééquilibrages de portefeuilles trimestriels sont aussi une avenue utilisée par les conseillers de BMO. « On a beaucoup de fonds spécialisés, mais nos mammouths restent les fonds indiciels, précise Alain Desbiens. Ils se négocient sur une base trimestrielle et sans émotion afin de garder le plan de match pour revenir là où l’on devrait être. »

Guy Lalonde voit quant à lui dans la volatilité actuelle une occasion d’ajouter de la valeur dans le conseil en proposant des stratégies fiscales, qui permettront notamment de profiter de la baisse des obligations pour cristalliser des pertes à la suite des gains en capital réalisés durant les années 2020-2021.

GESTION ACTIVE OU INDICIELLE ?

Le Canada est le marché où il se fait le plus de gestion active en FNB. Celle-ci représentait 20 % de l’activité à la fin de 2021. « La frontière tend à se brouiller entre la gestion active et la gestion indicielle », soulève Laurent Boukobza. Alain Desbiens préfère le terme de gestion non indicielle à celui de gestion active. « Il faut scruter la composition du FNB pour voir quelle est l’évolution de la gestion non indicielle, déclare-t-il. Parfois, cela manque de transparence. Lorsque l’on consulte le site web du manufacturier, on ne voit souvent que le top 10 des titres qui composent le FNB. »

Jean-François Giroux prône pour sa part une approche combinant gestion active et systématique. « Je recherche des produits qui livrent le plus fidèlement possible le rendement de l’indice de référence à moindres frais. On ajoute de la valeur de façon systématique en jouant sur la courbe et sur l’allocation dans les différents secteurs. »

Guy Lalonde opte pour la diversification des classes d’actifs assortie d’un rééquilibrage régulier. « Je m’appuie sur le principe du retour à la moyenne, selon lequel toute classe d’actifs qui surperforme va un jour ou l’autre sous performer. On ne tombe jamais en amour avec une classe d’actifs et on n’en abandonne jamais : c’est la règle. »

Le talon d’Achille du rééquilibrage, selon lui, est que le retour à la moyenne peut prendre quelques années. Pour éviter cet écueil, il effectue une sélection parmi cinq classes d’actifs basés sur la performance relative. « On s’expose au plus grand nombre de risques possible, car on ne veut pas qu’un seul facteur de risque, comme la baisse des taux d’intérêt, puisse faire chuter le portefeuille. Le socle est constitué par les FNB indiciels. Notre apport est le rééquilibrage des positions avec un ajustement au momentum. »

COUVRIR LE RISQUE DE CHANGE

La couverture de devise est l’un des facteurs de risque particulier au marché canadien des FNB. Les équités canadiennes étant naturellement surpondérées dans les portefeuilles, les devises sont souvent utilisées à des fins de diversification. Cette approche comporte cependant plusieurs limites.

Les mouvements de devise, souvent inattendus, peuvent affecter les stratégies en créant un risque supplémentaire, mentionne Laurent Boukobza.

L’exposition à la devise peut augmenter la volatilité de la classe d’actifs de 2 à 5 fois, estime Jean-François Giroux. Guy Lalonde considère les devises comme un « beau diversificateur » dans les portefeuilles.

Une précaution consiste à regarder si un FNB est couvert ou non couvert. « Normalement, cela devrait être mentionné dans le nom du FNB », informe Alain Desbiens. Il faut également se rappeler que certains fonds peuvent être assujettis au bilan de vérification du revenu étranger (T1135). De plus, il peut y parfois 500 à 1000 points de base de différentiel entre être couvert et non couvert, ajoute le spécialiste.

ENCORE DE LA CROISSANCE EN VUE
Le Canada est un des pays où la croissance des FNB sera la plus importante au cours des prochaines années, selon une étude mondiale de PwC.

On pourrait voir à l’avenir plus de FNB lancés pour ajouter de l’efficacité fiscale, comme les FNB de dividendes canadiens libellés en dollars américains, mentionne Alain Desbiens.

Jean-François Giroux estime que la demande pour les fonds mutuels continuera à être importante, « car ils permettent d’avoir des propositions avec des frais attirants et se marient très bien avec les FNB dans certains portefeuilles ».

Guy Lalonde tempère un peu cette ardeur. « On n’entendra plus parler de certains produits dans quelques années, pense-t-il. On lance un peu n’importe quoi en ce moment, car on est en processus d’innovation. » Il souhaiterait que la croissance des FNB soit davantage l’occasion de promouvoir les bonnes pratiques et l’éducation financière.

378

Nombre de FNB canadiens identifiés comme étant couverts pour la devise.

68 G$

L’actif net sous gestion que ces FNB représentent.

Source : Laurent Boukobza, Mackenzie