La démocratisation des fonds dits alternatifs valait le coup

Par Gérard Bérubé | 8 octobre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Sergey Nivens / 123RF

À peine venait-elle de célébrer son premier anniversaire que la démocratisation des fonds dits alternatifs a eu à en découdre avec une crise sanitaire sans précédent. Le constat : leur ouverture réglementaire aux petits investisseurs en a valu la peine. 

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont simplifié la réglementation des organismes de placement collectifs (OPC) et apporté des changements aux fonds dits alternatifs pour les rendre accessibles aux investisseurs de détail. Depuis le 3 janvier 2019, les conseillers peuvent ajouter cette catégorie d’actif à leur offre de fonds d’investissement.

Jusque-là, les fonds non traditionnels étaient accessibles aux investisseurs institutionnels et aux investisseurs qualifiés. Ardente promotrice de leur démocratisation aux clients de détail, l’Alternative Investment Management Association (AIMA) y voit donc une grande évolution dans l’univers des fonds d’investissement au Canada, inspirée de ce qui se faisait déjà au Royaume-Unis et aux États-Unis.

Avec cette ouverture, les OPC dits alternatifs se voient aussi conférer plus de marge de manœuvre quant au choix de leurs stratégies de placement. Les limites de concentration sont relevées, les placements dans d’autres fonds, les ventes à découvert et l’utilisation des dérivés sont facilités. Ils peuvent également recourir à plus de levier, sous forme d’emprunt, à des fins de placement. Et leurs obligations quant au prospectus ont été simplifiées, ramenées au niveau des autres OPC.

DES AVANTAGES

Les spécialistes reconnaissent généralement qu’ils combinent les meilleurs aspects des fonds communs (liquidité, transparence) à ceux des fonds de couverture ou hedge funds (rendements non corrélés, stratégies d’atténuation de risque).

Dans sa documentation, l’Autorité des marchés financiers souligne que « les gestionnaires de fonds alternatifs possèdent davantage de latitude quant au choix de leurs stratégies de placement que les gestionnaires de fonds communs de placement et de fonds négociés en Bourse classiques. En utilisant des stratégies différentes, les gestionnaires de fonds alternatifs peuvent vous aider à diversifier votre portefeuille ».

Elle rappelle cependant que « les stratégies qui différencient les fonds alternatifs des fonds classiques, notamment l’utilisation accrue de dérivés et la vente de titres à découvert, peuvent accélérer le rythme auquel le fonds perd de la valeur si les conditions de marché s’avèrent défavorables ».

Claire Van Wyk-Allan, directrice de l’AIMA Canada, estime que les fonds non traditionnels ont également démontré qu’ils étaient adaptés au contexte d’une fin de cycle économique.

« Ils peuvent neutraliser l’effet de la hausse des taux d’intérêt, augmenter la diversification et réduire la volatilité», énumère-t-elle, ajoutant qu’ils donnent accès à des stratégies de niche, qu’ils apportent une diversification aux portefeuilles et permettent d’espérer obtenir un rendement dans un marché volatil.

Sa collègue Belle Kaura, présidente du conseil d’administration de l’Association, insiste sur l’importance d’avoir accès à des stratégies ou à des actifs non corrélés aux marchés pour le petit investisseur, permettant d’anticiper un rendement positif même dans un contexte de récession ou de revers en Bourse. L’approche des fonds dits alternatifs s’apparente à celle des hedge funds et offre l’accès à quelque 25 styles d’investissement différents.

LE BILAN, 18 MOIS PLUS TARD

Selon les données d’AIMA, l’actif sous gestion des fonds alternatifs liquides (liquid alts) avoisinait les 8 milliards de dollars au Canada en février, réparti entre une quarantaine de fonds. Les fonds moins liquides abritent des placements privés et en immobilier ou dans les infrastructures.

Denis Senécal, consultant indépendant, a également longuement milité en faveur de cette ouverture réglementaire.

« Il a fallu beaucoup de temps pour que ces restrictions en matière de levier et de vente à découvert soient levées, mais je dirais, un an et demi plus tard, que cela a valu le coup », estime celui qui a occupé des postes de cadre auprès de plusieurs institutions financières, notamment BMO, Desjardins, State Street et Montrusco Bolton, ainsi qu’un emploi d’analyste à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Il rappelle l’objectif de base consistant à obtenir un rendement absolu, non lié à un indice boursier. « Avoir entre 5 et 8 % par année avec une volatilité plus faible, cela se défend bien dans un contexte de taux d’intérêt au plus bas », illustre-t-il.

Denis Senécal soulève cependant un problème de frais. Les coûts associés à la production d’un prospectus les font grimper. La gestion, lorsqu’elle emprunte au modèle des hedge funds, comprend aussi des frais fixes, souvent entre 1 et 2 %, et une rémunération liée à la performance, entre 10 et 20 %. Au total, « les frais de gestion peuvent être parfois jusqu’à trois fois plus élevés qu’aux États-Unis ».

Il déplore également le peu de professionnels en mesure d’offrir ces fonds. « Ce sont des produits un peu plus complexes que les FNB. Les conseillers sont moins nombreux à s’y connaître. Il faut dire que dans la jungle de produits actuelle, avec tous ces types de fonds, il peut devenir difficile de se positionner. »

Le consultant en placement ajoute que de nombreux conseillers pouvant s’adonner à la gestion discrétionnaire n’empruntent pas l’avenue des fonds communs et préfèrent la voie des sociétés en commandite ou des partenariats limités de placements non traditionnels auprès d’investisseurs qualifiés afin d’abaisser les frais de gestion et d’éviter le prospectus.

RENDEMENT « CORRECT »

La performance des « liquid alts » depuis janvier 2019 a été « correcte » compte tenu de la conjoncture que l’on connaît, estime Denis Senécal.

Geneviève Blouin précise davantage. La présidente d’Altervest souligne que quatre fonds alternatifs liquides ont affiché des rendements positifs en mars, entre 0,6 et 2,8 %, dans un environnement de baisse rapide des indices boursiers.

Dans l’ensemble, l’indice Alternative Mutual Fund de la Banque Scotia a affiché un recul de 6,6 % en mars, contre un repli de 17,7 % pour l’indice S&P/TSX et de 12,5 % (en dollars américains) pour le S&P 500. Côté revenu fixe, les bons du Trésor à 91 jours ont offert un rendement positif de 0,4 % en mars et l’indice obligataire Univers s’est replié de 2 %.

Après le premier trimestre 2020, l’indice Scotia était en recul de 8,7 %, contre 21,6 % pour l’indice de référence de Toronto et 20 % pour celui de New York.

« Pour le conseiller, c’est le bon temps d’entrer sur ce marché. La crise sanitaire a été un excellent test. En à peine un peu plus d’un an, on a pu voir ceux qui livrent ce qu’ils promettent et ceux qui ont réussi à préserver le capital dans cette période de stress intense. Les fonds alternatifs prudents étaient mieux outillés en ce sens », commente Geneviève Blouin.

La spécialiste préside une firme de gestion dont 80 % des portefeuilles étaient investis en fonds non traditionnels au printemps dernier. Elle ajoute que les FNB à gestion passive ont eu des problèmes de liquidité durant la correction des marchés, particulièrement du côté du revenu fixe. Cette situation a favorisé les fonds alternatifs tactiques.

« La gestion active va reprendre du poil de la bête », croit-elle.

Le Mouvement Desjardins gère l’un des quatre fonds non traditionnels ayant dégagé un rendement positif au cours de la tempête boursière de mars : le FNB Desjardins Alt long/court marchés boursiers neutres (DANC). Il a obtenu 1 % en mars et 2 % au premier trimestre 2020.

« Il faut une certaine expertise pour bâtir ces produits, car le fonds dit alternatif peut renfermer des dérivés, des options, des swaps [contrats d’échange]… », dit Jérôme Lacombe.

Le gestionnaire de portefeuille chez Desjardins et son collègue Tommy Nguyen, directeur, actions mondiales, expliquent qu’ils ont « développé un produit plus simple, [qu’ils offraient] auparavant aux institutionnels, ayant pour objectif un rendement moins volatil et positif, tant dans les marchés baissiers que haussiers. Un produit dit à bêta zéro ».

La préservation du capital, combinée à des rendements espérés entre 5 et 7 % sur un an, peu importe la conjoncture, rendent ce produit d’autant plus intéressant lorsque l’investisseur est près de la retraite. Il est près d’atteindre son objectif, ayant obtenu un rendement de 4,7 % entre la fin de février 2019 et la fin de février 2020.

« C’est une approche baby-boomers! » lance Tommy Nguyen.

Gérard Bérubé