Quand rendement se conjugue avec éthique

Par Alizée Calza | 6 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 27 février 2024
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Photo : nikilitov / 123RF

« La finance n’est pas incompatible avec des objectifs [autres que le rendement] ». Ce message, il est martelé tout au long des 786 pages de l’ouvrage collectif Éléments de la finance responsable : une perspective multidimensionnelle.

Frank Coggins, Claudia Champagne et Lyne Latulippe, qui ont dirigé la rédaction du livre, tentent ainsi de mieux définir la finance responsable afin de proposer des pistes pour tendre vers une forme de finance « plus éthique ».

« Nous pensons qu’il y a beaucoup de choses qui devraient être améliorées », déclare Frank Coggins, professeur titulaire à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, en entrevue avec Conseiller.

Les catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, les crises économiques comme celle de 2008 et les scandales financiers comme les Panama Papers sont, selon les chercheurs, des signes clairs : il faut que les entreprises, les gouvernements et les particuliers prennent davantage en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour éviter que l’histoire ne se répète.

Dans leur livre, les auteurs tentent de montrer que d’adopter la finance responsable permettrait de limiter les risques en investissement, tout en contribuant à améliorer l’environnement et la société.

Le rendement et les retombées de ce genre d’investissement sont analysés dans la première partie de l’ouvrage. Cette étude montre qu’en plus de prendre en compte les facteurs ESG, ces titres performent aussi bien que les autres d’un point de vue financier. Une bonne façon pour les investisseurs de faire fructifier leur argent tout en agissant positivement sur leur communauté.

La deuxième partie s’intéresse au rôle des institutions financières et aux risques extrafinanciers, c’est-à-dire les risques que les entreprises font courir à leur milieu. Selon les auteurs, les intervenants du secteur financier devraient faire particulièrement attention aux considérations sociales et environnementales dans leur prise de décision considérant leur rôle central dans la répartition des actifs.

Ils évoquent par exemple la gestion des risques à long terme, tels que les changements climatiques ou l’accessibilité à l’eau potable. Les investisseurs devraient, selon les auteurs, examiner ces risques et voir comment ceux-ci pourraient avoir une incidence sur l’entreprise dans laquelle ils désirent investir. Ils espèrent ainsi les sensibiliser au danger de ne pas considérer les facteurs ESG. Les entreprises elles-mêmes devraient s’y intéresser. Les intégrer leur permettrait de croître plus sainement et de réduire la possibilité de risques futurs.

Les chercheurs abordent finalement la question de l’éthique fiscale, notamment l’évasion fiscale et son incidence non seulement sur l’économie, mais aussi sur la société. « Si l’on accepte que l’impôt constitue une contribution reconnue et essentielle pour le soutien de l’État, on peut invoquer que l’évasion, mais également l’évitement de l’impôt par des moyens jugés abusifs, constituent des comportements incompatibles avec l’aspect social des critères ESG », peut-on lire dans l’ouvrage.

Selon les auteurs, l’évitement fiscal diminue les possibilités de redistribution de la richesse et empêche d’agir sur les inégalités mondiales croissantes.

UN LIVRE À PLUSIEURS MAINS

Les trois chercheurs ont fait en sorte que cet ouvrage collectif soit multidisciplinaire. Ils voulaient bénéficier de réflexions critiques sur la finance responsable, mais aussi avoir des exemples plus concrets. C’est pour cela qu’ils se sont tournés vers des gens de l’industrie pour écrire certains chapitres, comme « De l’investissement responsable vers l’investissement axé sur les retombées », rédigé par Rosalie Vendette, leader de pratique ESG chez Desjardins.

« On voulait vraiment ouvrir la porte à des spécialistes qui venaient d’autres disciplines. On a communiqué avec des professionnels du secteur parce qu’on ne voulait pas que ce soit seulement théorique, mais également appliqué », explique Claudia Champagne, professeure à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, en entrevue avec Conseiller.

« C’est vraiment une situation gagnant-gagnant que d’échanger avec des gens de l’industrie. [On en tire des connaissances pratiques], mais on espère aussi que cela leur apporte une perspective plus scientifique par rapport à leurs modèles et leur méthodologie », affirme Frank Coggins.

En intégrant les textes de membres de l’industrie, les chercheurs souhaitaient aussi que le livre ait une influence concrète sur la finance en général.

« Tant qu’ils ne sont pas impliqués, la finance responsable ne pourra jamais devenir le nouveau standard. Il faut qu’ils soient préoccupés par ce sujet, qu’ils soient engagés à la développer », soutient Claudia Champagne.

Et tant dans l’industrie que dans le milieu universitaire, tous les auteurs potentiels qui ont été approchés ont accepté de participer au projet.

Pour Claudia Champagne, c’est parce qu’il s’agit d’un sujet concret qui peut amener des changements réels dans la société. Selon elle, la finance responsable soulève beaucoup plus les passions que d’autres sujets financiers.

« On dirait que ça ne peut pas faire autrement que d’être motivant. Les gens veulent venir travailler sur ce sujet avec nous. C’est vraiment un thème qui est rassembleur et positif », ajoute-t-elle.

Les trois auteurs s’attendent à ce que leur livre soit lu par des universitaires et des gens de l’industrie, mais aussi par des personnes qui ont simplement un intérêt pour la finance.

« Notre livre ne peut pas initier à la finance, mais les textes sont vulgarisés autant que possible. On pense que ça s’adresse à des gens qui veulent en apprendre davantage sur l’investissement responsable sans être nécessairement des spécialistes. Ce sont des textes accessibles », précise Frank Coggins.

PAS UNE FINALITÉ

Pour Claudia Champagne comme pour Frank Coggins, ce projet n’est que le début, un moyen pour lancer les discussions. Avec leur livre, les auteurs veulent encourager d’autres universitaires à se lancer dans des recherches connexes pour approfondir le sujet. Du côté de l’industrie, ils espèrent que les épargnants comme les conseillers voudront s’informer davantage pour se lancer dans l’investissement responsable.

« C’est un moyen de leur montrer que s’ils ont besoin d’outils, il y a des équipes qui peuvent leur transmettre des connaissances sur le sujet. On est totalement disponibles pour répondre aux questions », affirme Claudia Champagne.

Les directeurs de l’ouvrage pensent déjà à d’autres projets. Ils aimeraient notamment organiser un colloque au début de 2019, lors duquel les collaborateurs du livre seront invités à parler des thèmes abordés dans le livre. Ils animeront aussi des tables rondes pour répondre à certaines des questions qu’ils soulèvent dans leurs écrits, comme trouver un moyen de freiner l’évasion fiscale des entreprises. Les auteurs espèrent que cet événement puisse mener à la rédaction d’un deuxième ouvrage collectif.

« On aimerait sortir du contexte provincial. On pense faire un deuxième livre qui aurait une portée géographique plus large. Il y a des gens aux États-Unis et en France qui nous ont dit qu’ils étaient intéressés à collaborer. Ce n’est pas confirmé, mais il y a beaucoup d’intérêt », conclut Frank Coggins.

Frank Coggins, Claudia Champagne et Lyne Latulippe, Éléments de la finance responsable : une perspective multidimensionnelle, Éditions Yvon Blais, 2018, 786 pages.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.