Un conseiller demande des excuses publiques à BMO Assurance

Par Priscilla Franken | 24 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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C’est sans doute une première au Canada : David Hébert réclame à BMO Assurance 4 000 000 $ ou 2 000 000 $ et des excuses publiées sur Conseiller.ca, Advisor.ca, Le Journal de l’assurance et The Insurance Journal « afin de rétablir sa réputation », comme on peut le lire dans sa requête.

Le conseiller en sécurité financière, qui poursuit BMO Assurance, son PDG Peter McCarthy et deux de ses vice-présidents, Daniel Walsh et Caron Czorny pour la perte de son emploi auprès d’un agent général, a en effet décidé d’augmenter substantiellement le montant des dommages punitifs qu’il demande, puisque la somme s’élevait initialement à 60 000 $.

De la même façon, David Hébert a récemment réévalué le montant des dommages matériels qu’il estime avoir subis : ils sont passés de 640 000 $ à 925 000 $ à la suite d’un rapport d’expertise réalisé par Mazars Harel Drouin Conseils.

La facture totale s’élève donc désormais à 5 025 000 $ sans excuses ou 3 025 000 $ avec des excuses.

DU JAMAIS VU

C’est très probablement la première fois qu’un conseiller réclame des excuses publiques à une institution financière.

« Je n’ai jamais vu ça auparavant, ni au Québec, ni au Canada », commente Karen Rogers, avocate chez Langlois, qui pratique depuis 1988.

De manière générale, les excuses publiques ne sont pas monnaie courante, comme le souligne Me Robert Brunet, de Brunet & Brunet. « Mais rien n’empêche d’en demander », dit-il.

« Une personne qui estime avoir subi un préjudice à sa réputation peut réclamer une ordonnance d’excuses, mais il faut démontrer qu’elles sont méritées, dans un contexte de diffamation ou d’atteinte à la réputation, par exemple », analyse pour sa part Me Alexandre De Zordo, de Borden Ladner Gervais.

« Ça m’étonnerait que BMO accepte de faire des excuses, poursuit Me Rogers. Ils ne voudront pas créer un précédent. »

QUAND CIBC A DÛ CASQUER 1 500 000 $

Il faut en outre rappeler que les dommages punitifs sont rarement accordés au Québec, et que quand c’est le cas, ils sont assez faibles.

À ce jour, les plus élevés qu’un juge a imposés atteignent 1 500 000 $.

C’est Marchés mondiaux CIBC qui a été condamnée à les payer le 14 juin 2006 : un couple d’anciens clients, M. et Mme Markarian, a décidé de poursuivre la banque après que leur conseiller en placement chez CIBC, Harry Migirdic, les eut dépouillés de près de 1 500 000 $, soit le tiers de toutes leurs économies.

La fraude, qui concernait aussi d’autres clients, s’est étalée sur plusieurs années. Le procès a démontré que CIBC a non seulement failli à son devoir de contrôle et de surveillance vis-à-vis de son employé – un employé à problèmes de surcroît, qui s’était déjà vu imposer des amendes et des réprimandes de la part de son employeur, mais a en plus préféré se protéger elle-même plutôt que ses clients.

Les demandeurs, qui alléguaient que « c’est en toute connaissance de cette situation que CIBC les a dépouillés de leurs avoirs », ont également obtenu le remboursement de toutes les sommes qu’ils avaient perdues, ainsi que 50 000 $ chacun à titre de dommages moraux et 75 % des frais et honoraires extrajudiciaires qu’ils avaient dû débourser.

LE MÉPRIS PEUT COÛTER CHER

Dans sa décision, le juge Jean-Pierre Sénécal souligne que les dommages punitifs sont dans ce cas « absolument nécessaires » et que leur montant « doit être suffisamment élevé pour assurer leur fonction préventive ».

Selon son analyse, la banque, après la découverte de la fraude, n’a pas accordé aux Markarian « le respect auquel ils avaient droit en tant qu’êtres humains – et comme victimes – , mais elle les a traités avec un profond mépris ».

Le jugement parle également de mauvaise foi, d’humiliation et de gestes d’oppression à l’endroit des Markarian.

« En fait, tout concourt à penser que la défenderesse [CIBC] a tout fait pour éviter d’avoir à se défaire des services de Migirdic. Peut-être parce que, comme le prétendent les demandeurs, il générait de fabuleuses commissions. Mais en choisissant de garder à son emploi un employé « problématique » et ayant démontré des comportements inappropriés, la défenderesse a peut-être fait preuve de complaisance, sinon d’aveuglement volontaire », peut-on encore lire sous la plume du juge Sénécal.

« Ce genre de décision est très exceptionnelle », insiste Me Rogers.

Rappelons que David Hébert reproche à BMO Assurance la perte de son emploi, début 2011, auprès de l’agent général Benoît Bouchard Assurances (BBA) où il était cadre depuis sept ans, ainsi qu’une tentative subséquente – mais infructueuse – de dissuader son nouveau partenaire d’affaires, Alain Parent, de l’embaucher au Centre financier SFL Vieux-Montréal.

Selon la défense, BMO Assurance n’a rien à voir avec ce congédiement, qui serait plutôt le résultat d’un litige entre David Hébert et l’ex-conseiller vedette de l’assureur, Jacques-André Thibault.

Ni David Hébert, ni son avocat Me Paul-Matthieu Grondin, ni BMO, ni Me Sophie Melchers, qui représente l’assureur dans cette affaire, n’ont souhaité formuler de commentaires.

Les dommages punitifs, pour dénoncer et dissuader

Lorsqu’il condamne CIBC le 14 juin 2006, le juge Jean-Pierre Sénécal énonce les principes sur lesquels il s’appuie en ce qui a trait au versement de dommages punitifs :

« La Cour suprême a bien établi que les dommages punitifs octroyés en vertu de la Charte visent la punition et la dissuasion. De fait, le mot « punitif » indique clairement que l’imposition de dommages punitifs constitue un châtiment.

Par ailleurs, l’article 1621 C.c.Q. énonce expressément que la fonction première des dommages punitifs est leur fonction préventive, donc la dissuasion : par leur imposition, on veut décourager le défendeur et autrui de recommencer ou de faire la même chose.

D’où l’expression « dommages exemplaires » qui est souvent utilisée comme synonyme des dommages punitifs. En raison de leurs caractères punitif et dissuasif, les dommages punitifs ont aussi une fonction de dénonciation. »

Priscilla Franken