Comment prévenir l’exploitation financière des aînés?

Par La rédaction | 21 Décembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les 55 ans et plus voient leurs rangs grossir rapidement au pays. Ils passeront de 27% de la population en 2011 à 35% en 2030, selon Statistique Canada. Pour les professionnels des services financiers, ce vieillissement de la société risque de multiplier les cas d’exploitation financière. Les aînés sont sujets à diverses escroqueries, décrites par le Centre antifraude du Canada dans un document publié l’an dernier.

Les rares données canadiennes sur l’escroquerie financière figurent dans un rapport (en anglais) paru en 2015 par la National Initiative for the Care of the Elderly. Dirigée par la Dre Lynn McDonald, de l’Université de Toronto, l’étude démontre que 2,6% des personnes âgées sont victimes d’exploitation financière d’un océan à l’autre, soit environ 245000 personnes. Leur agresseur est soit un enfant ou un petit-enfant adulte (37%), un conjoint ou ex-conjoint (22%), un frère ou une sœur (15%), ou encore un «ami» (8%). Aux États-Unis, le département de la Justice estime pour sa part que de 20% à 40% des cas de maltraitance envers les aînés comportent une forme d’exploitation financière.

«Le secteur, les organismes de réglementation et les groupes de défense des intérêts des investisseurs observent déjà cette tendance se dessiner et se préoccupent sérieusement des conséquences potentielles sur le bien-être financier des investisseurs», s’alarmait l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) à l’automne 2016. Notant que les conseillers et planificateurs financiers sont souvent les premiers à observer les signes d’exploitation financière, l’IFIC a publié à leur intention un guide-conseil pour les aider à mieux se préparer aux deux principaux défis liés au vieillissement des investisseurs: le déclin cognitif et l’exploitation financière. Dans ce contexte, voici d’autres informations qui pourraient vous intéresser.

1) Apprendre à mieux protéger les investisseurs vulnérables

Pendant que les cas de maltraitance se multiplient au pays, les personnes âgées ou aux prises avec une perte cognitive ne sont pas assez protégées, conclut un rapport (en anglais) publié en novembre par Fair Canada et le Canadian Centre for Elder Law (CCEL). Analysé par Le Devoir, ce document d’une centaine de pages recommande à l’industrie financière et aux autorités de se pencher davantage sur cet enjeu. Ses auteurs estiment même qu’il pourrait être souhaitable de créer une agence pancanadienne de protection pour ce type de clientèle.

Pour les représentants de l’industrie financière, le phénomène pose plusieurs difficultés, souligne Le Devoir. Les professionnels qui ont des doutes sur une situation problématique avec un client âgé «sont pris entre leur obligation de confidentialité et les conséquences légales de déroger à leur mandat», note le quotidien. Pour assainir la situation actuelle, les auteurs du rapport proposent par exemple: que les firmes fassent un «effort raisonnable» pour obtenir le nom d’une personne-ressource de confiance pour chaque client, qui pourrait ainsi être prévenue en cas de soupçon de maltraitance ou de perte cognitive; qu’une société puisse suspendre les transactions et retraits en cas de soupçon d’abus ou lorsque son client a «perdu sa capacité de donner des instructions»; que les fournisseurs de services qui transmettent un signalement profitent d’une sorte de «havre juridique»; et que les compagnies de services financiers forment davantage leur personnel pour le sensibiliser aux réalités de l’exploitation financière et aux conséquences physiologiques du vieillissement, notamment en matière de perte cognitive.

La publication de ce nouveau rapport intervient cinq mois après celle du plan d’action de Québec pour lutter contre la maltraitance envers les personnes âgées, note Le Devoir. Celui-ci observe que la maltraitance «matérielle ou financière» constitue le tiers des cas rapportés à la Ligne Aide Abus Aînés. «On en entend parler plus, car les gens vieillissent et l’espérance de vie s’allonge […] Il y a donc plus de possibilités, ou de malchances je dirais, qu’une situation comme ça se produise», explique au journal Jocelyne Houle-LeSarge, présidente-directrice générale de l’Institut québécois de planification financière.

2) L’AMF veut mieux lutter contre la maltraitance envers les aînés

À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées, en juin, l’Autorité des marchés financiers a annoncé une série d’initiatives contre les malversations financières envers les aînés. L’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est notamment engagée à instaurer des mesures dans le cadre du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022, initialement lancé en 2010 par le gouvernement du Québec. En outre, elle collaborera avec des ministères et des organismes pour mettre en place d’autres mesures, dont la mise en œuvre d’une entente-cadre nationale concernant la maltraitance envers les aînés.

Parmi les autres projets que l’AMF prévoit de réaliser dans le cadre du Plan 2017-2022, figure la publication, l’an prochain, d’un guide à l’intention de l’industrie qui détaillera les meilleures pratiques à adopter lorsque les consommateurs sont en situation de vulnérabilité. Cet outil en forme d’aide-mémoire est aussi destiné à fournir de l’information à leurs proches, notamment lorsqu’ils détiennent une procuration pour gérer les finances de ces personnes. «Quelqu’un qui, par exemple, pourrait avoir une procuration pour le compte de placement de la personne vulnérable. On sait que, depuis un certain nombre d’années, il y a malheureusement de l’abus et de la maltraitance à ce chapitre», précise Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF dans Le Devoir.

Par ailleurs, l’Autorité dit vouloir étendre «son offre de conférences sur la prévention de la fraude financière auprès des personnes aînées et des intervenants qui travaillent auprès de celles-ci». Enfin, elle «continuera également de collaborer avec des associations d’aînés et d’accroître sa présence à des événements destinés aux aînés afin de leur présenter ses services d’assistance et de les outiller pour reconnaître et prévenir les comportements fautifs.» «Les personnes aînées sont particulièrement vulnérables aux conséquences de mauvaises décisions en matière de finances personnelles et de fraude financière […] Le renforcement de nos mesures d’accompagnement de même que le développement de nouveaux outils spécialement conçus pour les personnes aînées permettront de les rassurer et d’encore mieux les protéger», résume Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF.

3) Protection des personnes âgées: tout le monde est concerné

Le thème de la violence financière était également au menu d’une table ronde consacrée aux plus de 65 ans durant le colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), tenu à Montréal au printemps dernier, rapporte Conseiller. À l’occasion de cette réunion, à laquelle participaient plusieurs journalistes spécialisés, la chroniqueuse économique de La Presse a rappelé que de nombreux membres de l’âge d’or sont chaque année victimes de violences financières. «La maltraitance des aînés passe un peu sous le radar. Elle reste à l’intérieur des chaumières. Pourtant, la communauté financière va y être de plus en plus confrontée puisque cette génération va bientôt représenter un quart de la population canadienne. Ajoutons à cela qu’à 65 ans, 15% des personnes ont déjà des capacités mentales réduites et que ce chiffre double ensuite tous les cinq ans», a souligné Stéphanie Grammond.

De son côté, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) assure prendre la situation «très au sérieux». Il a lancé l’an dernier une série d’outils pour aider à protéger les investisseurs âgés, et leur rappeler l’importance d’obtenir copie des procurations et de les valider avant d’accepter de procéder à quelque transaction que ce soit. «Les communications doivent être plus fréquentes qu’avec d’autres clients […] leur situation peut changer plus rapidement. Nous insistons également sur le fait d’avoir au dossier une personne-ressource de confiance, qui ne fasse pas partie des décisions d’investissement et qui ne soit pas la personne visée par la procuration. Une personne susceptible d’être contactée en cas de doute», détaille France Kingsbury, directrice régionale, Réglementation à l’OCRCVM.

Mme Kingsbury rappelle l’importance de bien connaître les produits et de s’assurer que les recommandations sont adaptées à la situation du client. «Il faut exercer son jugement […] Ça ne signifie pas forcément qu’un aîné doit faire des placements à horizon court. Il peut vouloir laisser de l’argent en héritage. Mais il faut tout documenter au dossier. Savoir pourquoi on fait telle ou telle chose et laisser des traces des conseils que l’on a donnés», insiste-t-elle. En effet, relève Conseiller, les scénarios sont multiples: «Il y a les clients qui refusent d’admettre que leurs capacités mentales baissent et qui commencent à poser des gestes qui pourraient nuire à leur situation financière. Ceux qui se font abuser par leur mandataire ou les membres de leur entourage sans s’en rendre compte… et ceux qui ne veulent pas le voir. Et enfin, ceux qui en ont conscience, mais qui ne veulent pas porter plainte parce qu’ils se sentent menacés ou ne veulent pas perdre le peu de gens qui reste dans leur réseau social.»

«Face aux personnes vulnérables, il faut se questionner deux fois plus […] Si les investissements d’une personne passent de prudents à agressifs, ça doit allumer des signaux. Il faut s’informer sur ce que le mandataire a le droit de faire ou non. Les conseillers se tournent souvent vers le siège social pour savoir quoi faire, quand dire non, quand geler un compte, etc. À la conformité, nous sommes là pour les aider», explique Danielle Tétrault, vice-présidente adjointe, Examens de conformité au Groupe Investors, qui participait à la table ronde du Conseil des Fonds d’Investissement du Québec (CFIQ). En cas de doute, la dirigeante recommande aux conseillers de ne pas procéder aux transactions sans en avoir au préalable avisé le siège social. «Une fois que l’argent est parti, il est parti. Il faut prévenir. Ce n’est pas simple, car le mandataire met souvent de la pression sur le conseiller. Il veut agir vite. Juste ça, ça doit l’alerter […] L’important en pareil cas, c’est de conserver des notes [sur les rencontres]. Il faudra des preuves si les enfants en viennent un jour à poser des questions.»

4) Un mandat de protection «plus simple et plus efficace»

Conscient du fait que le vieillissement de la population risque de multiplier ce genre de problèmes, le Curateur public du Québec a diffusé en octobre une nouvelle édition simplifiée de son mandat de protection (autrefois intitulé «mandat en prévision de l’inaptitude»). Le communiqué de presse du Curateur public souligne que le guide et le formulaire de ce document, qui a valeur juridique, ont ainsi été repensés «pour répondre davantage aux besoins des Québécois», leur faciliter la tâche et «les guider dans leur réflexion». Le mandat est offert sans frais en ligne en version PDF, sur le site web du Curateur, ou en librairie au coût de 9,95 $. L’organisme a en outre lancé «une campagne publicitaire numérique et interactive» en vue de «sensibiliser la population quant à la nécessité de remplir son mandat de protection» et de mettre fin à certaines idées reçues. «Nous souhaitons que le mandat de protection soit encore plus accessible à davantage de citoyens. En offrant un document plus simple, plus clair, nous souhaitons favoriser la réflexion de celui qui s’apprête à faire ce geste», a indiqué dans le communiqué du Curateur public, Me Normand Jutras. Il cite un sondage réalisé l’an dernier où neuf Québécois sur dix souhaitent qu’un membre de leur famille soit là pour eux si un jour, ils deviennent inaptes. «C’est, à mon avis, un désir légitime, naturel. Rien ne vaut la présence d’un proche qui vous aime, qui vous connaît, qui sait ce qui en est de votre vécu, de vos goûts, de vos préférences», ajoute-t-il.

Le fait de remplir ce document représente «un véritable geste d’amour envers soi-même et ses proches», insiste Normand Jutras dans son allocution prononcée le 16 octobre 2017. «C’est vous-même qui choisissez la personne qui s’occupera de vous et de vos biens advenant que vous deveniez inapte. Si vous n’avez pas de mandat, la décision sera prise par le tribunal, avec le concours de l’assemblée de parents et amis. Or, la personne qui sera ainsi désignée pourrait très bien ne pas correspondre au choix que vous auriez fait», estime le dirigeant. Et s’il évoque un «geste d’amour» à l’endroit de ses proches, c’est que le fait d’avoir rempli un mandat permet de leur «simplifier la vie». «Vous leur évitez ainsi de devoir procéder à l’ouverture d’un régime de protection, dans un contexte où vos proches ne connaissent pas vos volontés. Imaginez qu’un de vos proches devient inapte à la suite d’un AVC ou d’un accident. Il vous sera difficile de soutenir cette personne sans savoir précisément ce qu’elle aurait souhaité pour son hébergement, ses soins, ses finances. Avec un mandat, vous savez à quoi vous en tenir», soutient le curateur public.

En outre, il assure avoir maintes fois constaté qu’en l’absence de mandat, «des tensions peuvent apparaître au sein de la famille, des désaccords, voire même de la discorde». Autre avantage, et non les moindres, observe-t-il, le fait d’avoir signé un tel document permet à une personne de «rester aux commandes» de ses affaires même lorsqu’elle aura perdu le contrôle, «d’où l’importance de bien choisir son mandataire, une personne en qui vous avez confiance». Enfin, avoir un mandat demeure «un des meilleurs moyens de se protéger contre d’éventuels abus financiers». Conclusion de Normand Jutras : «… bien évidemment, personne ne souhaite s’imaginer être incapable de s’occuper de sa personne ou de ses biens. Mais l’inaptitude peut survenir n’importe quand, à n’importe quelle étape de la vie. D’où l’importance de choisir maintenant qui s’occupera de nous en cas d’inaptitude.»

5) Que faire quand son conseiller en placement prend sa retraite?

De son côté, l’OCRCVM a lancé en juin des vidéos éducatives s’adressant autant aux professionnels du secteur qu’aux investisseurs, pour les aider à se préparer en cas de départ à la retraite d’un conseiller. Dans l’une d’elles, John Scott, qui compte plus d’un quart de siècle d’expérience en matière de placements, prodigue des conseils aux personnes âgées pour trouver la bonne personne qui remplacera leur conseiller partant et suggère plusieurs questions à poser aux conseillers candidats.

«Il est important que les investisseurs aient du soutien durant la transition d’un conseiller à un autre, et qu’ils se sentent à l’aise de poser des questions lorsqu’ils recherchent un nouveau conseiller en placement», insiste Lucy Becker, vice-présidente aux affaires publiques et aux services de formation des membres de l’OCRCVM dans un communiqué de presse.

Enfin, les investisseurs âgés peuvent lire le bulletin Êtes-vous bien préparé financièrement? ou encore consulter la liste de ressources utiles fournies par d’autres organismes de réglementation, organismes gouvernementaux et organismes sans but lucratif réunis dans une section du site web de l’OCRCVM réservée aux personnes âgées. Dans le cas du bulletin, ils trouveront par exemple de nombreux renseignements sur la formation et les compétences des conseillers, ainsi qu’un Glossaire des titres de compétence en finances pour mieux s’y retrouver.

La rédaction