Inégalités sur le marché du travail, inégalités à la retraite

Par La rédaction | 26 avril 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Somchai Khunwiset / 123RF

Malgré l’existence de plusieurs lois, le Québec peine à réduire de manière radicale les inégalités entre les hommes et les femmes sur le marché du travail, et la charge domestique incombe encore largement à ces dernières. Une situation qui a des conséquences importantes sur les revenus à la retraite. 

Joëlle Steben-Chabot est professionnelle de recherche au Conseil du statut de la femme. Selon elle, il y a une réflexion profonde à mener afin que les inégalités que vivent les femmes sur le marché du travail n’aient pas d’incidence sur leurs revenus à la retraite. 

Conseiller : Aujourd’hui encore, les revenus des femmes à la retraite sont inférieurs à ceux des hommes. Qu’est-ce qui l’explique?

Joëlle Steben-Chabot : C’est le reflet de la somme des inégalités qu’elles vont vivre tout au long de leur vie. D’abord le choix de carrière, qui est encore très genré. Or, les emplois traditionnellement féminins sont dévalorisés, donc peu rémunérateurs. Ensuite, les femmes ont moins accès à des postes de direction, ce qui contribue aux inégalités économiques. Si l’on évalue le pourcentage de femmes siégeant à un conseil d’administration et celles travaillant à la haute direction des sociétés inscrites en bourse, on en dénombre que 20 %. Enfin, celles-ci sont moins disponibles au travail puisque la charge domestique leur incombe encore davantage. Dans les familles où il y a un enfant d’âge préscolaire, leur taux d’emploi est de 75 % contre 90 % chez les hommes. Et ce sont également elles qui sont le plus généralement les proches aidantes. Cette situation a un impact sur le temps qu’elles peuvent accorder au travail rémunéré.

Et qui dit plus faible salaire, dit plus faible cotisation.

Les femmes ont des carrières discontinues. Elles font des allers-retours sur le marché du travail et choisissent des temps partiels pour prendre soin des enfants ou de leurs parents. Tous ces choix, qu’ils soient forcés ou assumés, ont des répercussions sur leur rémunération tout au long de leur vie, donc sur leurs cotisations aux régimes publics de retraite, mais aussi sur leur capacité à épargner.

: Vous avez déposé un mémoire lors des consultations sur la réforme du Régime de rentes du Québec (RRQ) en 2017. Que préconisiez-vous?

JSC : Nous avions une préoccupation quant à l’usage de l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) lorsque des politiques publiques sont à l’étude. Certes, Retraite Québec utilise déjà l’ADS, mais nous considérons que les analyses ne sont pas assez raffinées, ce qui fait en sorte que les inégalités ne sont pas assez mises en évidence. Aujourd’hui par exemple, les femmes peuvent retirer des années prises en compte pour le calcul de la pension, celles durant lesquelles elles se sont occupées de leurs enfants en bas âge, et ce, afin que cela n’ait pas d’impact négatif. Ce que nous demandions à l’époque, c’est qu’elles puissent faire de même lorsqu’elles faisaient de la proche aidance. Cela n’a pas été retenu, mais continue d’être un enjeu important si l’on considère le vieillissement de la population.

C : Ce que vous souhaitez, c’est que le travail « socialement utile » des femmes soit reconnu dans le calcul des rentes, n’est-ce pas?

JSC : D’une manière ou d’une autre, oui. Il y a des réflexions profondes à mener dans ce sens. Prenons par exemple, la rente pour la conjointe survivante. Il y a là une forme de reconnaissance du travail socialement utile, mais non rémunéré des femmes. Le système s’avère cependant très imparfait puisque la rente peut très bien être touchée par une seconde conjointe qui ne s’est pas nécessairement occupée des enfants du ménage.

C : Vous insistez également sur le fait d’informer les femmes des conséquences liées à leurs décisions.

JSC : Il ne s’agit pas de dire aux femmes de travailler moins pour s’occuper des enfants ou d’un parent, mais de les informer clairement quant aux impacts financiers que cela aura en fin de compte sur leur retraite. Si elles sont en couple, elles peuvent avoir des discussions à ce sujet avec leur conjoint afin d’équilibrer la situation. De manière générale, nous devrions insister davantage sur l’éducation financière; sans tomber dans les stéréotypes, il semblerait que les femmes soient moins passionnées que les hommes pour les questions d’argent.

C : Si l’on observe le problème de la durée, est-ce que la situation des femmes à la retraite s’améliore?

JSC : Les écarts demeurent importants si l’on examine la moyenne des rentes mensuelles pour les bénéficiaires du RRQ en 1993, il y avait un écart de 184 dollars entre les hommes et les femmes; en 2013, il était de 191 dollars. Cela dit, beaucoup de femmes qui touchent aujourd’hui leur retraite n’ont pas participé au travail rémunéré. Les nouvelles générations, elles, sont sur le marché du travail. Mais l’équité salariale demeure un enjeu important, non seulement à court terme, mais encore plus si l’on regarde en avant.

C : Au-delà des cotisations obligatoires, peut-on affirmer que femmes ont moins de capacité d’épargne?

JSC : Le taux horaire quotidien des femmes est de 90 % de celui des hommes; le taux hebdomadaire est quant à lui de 86 %. Si l’on considère également que ce sont les femmes qui sont le plus souvent à la tête des ménages monoparentaux, il reste peu de revenus disponibles à placer dans les REER.

Le point de vue de Jean-François Therrien, directeur du régime public de rentes à Retraite Québec

Retraite Québec a pris plusieurs mesures afin de tenir compte des inégalités que vivent les femmes sur le marché du travail et des répercussions qu’elles engendrent lorsqu’elles accèdent à la retraite. La première d’entre elles : dans le calcul de la rente, ne pas tenir compte des sept années qui suivent la naissance d’un enfant, période où traditionnellement les femmes prennent quelques années pour s’occuper de leur famille. Dans la même veine, bien qu’il ne s’agisse pas là d’une mesure qui cible particulièrement les femmes, les 15 % des années à plus faible revenu eux aussi retirés du calcul.

« Cela permet par exemple aux femmes qui prennent une pause pour prendre soin d’un proche en perte d’autonomie de ne pas en subir les conséquences une fois à la retraite, illustre Jean-François Therrien. C’est aussi vrai pour les hommes, mais on sait que ce sont surtout les femmes qui ont une carrière moins rectiligne. »

Au-delà de ces mesures, Retraite Québec rappelle quelques stratégies gagnantes pour éviter de vivre des situations de précarité. Dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre, M. Therrien évoque la possibilité de continuer à travailler quelques heures par semaine lorsque les compétences et l’état de santé de la personne le permettent. Reculer l’âge de la prise de la retraite peut également s’avérer très payant. En effet, lorsque les rentes gouvernementales sont débloquées à 60 ans, le montant de la retraite est réduit d’un tiers par rapport à 65 ans. À 70 ans, la personne va gagner mensuellement, 42 % de plus qu’en s’arrêtant à 65 ans.

« Or, 60 % des femmes quittent le marché du travail à 60 ans, indique-t-il. Nous supposons que lorsqu’elles sont en couple, elles prennent leur retraite au même moment que leur conjoint. Toutefois, statistiquement, celui-ci est plus âgé. »

Même si Retraite Québec incite, notamment les plus jeunes, à épargner pour la retraite avec les véhicules que sont les REER, le CELI et, le cas échéant les régimes collectifs offerts par les employeurs, l’organisme insiste sur la nécessité d’optimiser le plus possible ses rentes gouvernementales, celles-ci étant indexées sur le coût de la vie, d’une part, et versées jusqu’à la mort de la personne, d’autre part.

« C’est un bon moyen de pallier le risque de longévité », conclut Jean-François Therrien.

La rédaction