Les aînés face à la catastrophe : entre traumatisme et résilience

Par La rédaction | 26 septembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le réchauffement climatique fera en sorte que la planète vivra de plus en plus d’événements extrêmes et le Québec ne sera pas épargné. Déjà, les inondations printanières sont plus récurrentes que dans les dernières décennies. De quoi perturber longtemps les personnes âgées sinistrées? La réponse n’est pas si simple.

Danielle Maltais est professeur au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Selon elle, si ces catastrophes peuvent être traumatisantes pour les aînés, ceux-ci font preuve de résilience et développent de l’empathie à l’égard des drames vécus par les autres.

Conseiller : Quels sont les enjeux particuliers pour les aînés, lorsque survient une catastrophe naturelle?

Danielle Maltais : Il ne faut pas mettre tous les aînés dans la même catégorie, car cela dépend vraiment de leur degré d’autonomie et du soutien assuré par les membres de leur famille. Mais on se rend compte quand même qu’en règle générale, les aînés ont tendance à ne pas suivre les consignes de sécurité et à ne pas être attentifs aux alertes.

Comment expliquez-vous cela?

En raison des expériences qu’ils ont vécues. Par exemple, dans le passé, il est possible que les autorités aient donné l’alerte alors que finalement il n’est tombé que trois pouces d’eau. Ils se disent qu’ils ont déjà vu l’ours… Ils pensent que tout le monde exagère et qu’ils peuvent rester chez eux. Certains craignent également de quitter leur domicile parce que les secours n’assurent pas l’évacuation de leur animal domestique; leur chat ou leur chien est souvent leur seul compagnon et ils ressentent un attachement particulier pour lui. Enfin, parfois ils n’ont ni famille ni amis chez qui loger et préfèrent demeurer dans leur maison plutôt que de vivre en hébergement.

Vos recherches démontrent également que les aînés sont moins enclins à demander de l’aide sociale que le reste de la population, n’est-ce pas?

Il existe plusieurs raisons à cela. D’abord, cette génération a beaucoup vécu sous l’emprise de la religion catholique, avec l’idée que si on vit des choses difficiles, si on souffre, on va aller au ciel. De plus, on se rend compte qu’ils attendent beaucoup de leur famille et qu’ils sont souvent déçus. Il est aussi possible que leurs enfants soient eux-mêmes sinistrés et n’aient pas de temps à consacrer à leurs parents. Ou bien, ils habitent loin et ne peuvent pas tout quitter du jour au lendemain pour une période indéterminée. J’ajouterais aussi que les aînés ont tendance à sous-estimer leurs besoins.

Les répercussions sont-elles plus grandes chez eux?

La majorité des aînés s’en sort très bien, sans séquelles. En fait, cela dépend de l’ampleur de la catastrophe, du temps, des pertes subies, de l’aide apportée aux sinistrés ainsi que des conséquences engendrées sur leur santé. Certains vivent des dépressions ou subissent un choc post-traumatique. Ils vont limiter le nombre de sorties et s’isoler. Par contre, on se rend également compte que quelques années plus tard, les conséquences peuvent s’avérer positives : plus résilients parce que ce n’est sans doute pas la première catastrophe qu’ils vivent, ils savent qu’ils arrivent à s’en sortir. Mais il faut de prime abord qu’il y ait eu une bonne prise en charge. Les sinistrés qui ont tout perdu et qui, en plus, n’ont pas eu l’aide espérée vivent un double traumatisme, soit la catastrophe actuelle et la crainte que cela recommence. Ils ne sont pas sereins face à l’avenir.

Comment vivent-ils la perte de leur bien, comme dans le cas des récentes inondations au Québec par exemple?

Là encore, tous ne la vivent pas de la même manière. Certains deviennent nostalgiques parce qu’ils avaient beaucoup de souvenirs dans leur résidence. S’ils vivaient encore dans la maison familiale, elle pouvait représenter le lieu où toute la famille élargie se réunissait régulièrement. En disparaissant, les relations peuvent alors se distendre. D’un autre côté, on observe qu’en vieillissant, un phénomène normal de détachement face aux biens matériels se produit. Et c’est encore plus vrai chez ceux qui sont victimes de catastrophes et qui perdent tout; ils développent de nouvelles valeurs personnelles. Ils deviennent moins matérialistes parce qu’ils savent qu’on peut tout perdre en deux ou trois minutes. Plus sensibles au vécu des autres, ils souhaitent développer des relations humaines plus satisfaisantes, plus chaleureuses.

Sauf que pour certains, perdre sa maison, c’est la ruine…

Lors des inondations de 2017 au Québec, 80 % des sinistrés retraités et préretraités n’avaient plus d’hypothèque avant la catastrophe; après, 70 % d’entre eux en détenaient de nouveau une. La valeur de reconstruction est toujours plus grande que la valeur municipale. Donc, en plus du choc psychologique, il y a le choc financier.

Le point de vue de Sylvain B. Tremblay, planificateur financier et vice-président, Gestion privée à Optimum Gestion de placements.

« À la suite des inondations de 2017 et de celles de ce printemps, il y a des gens littéralement ruinés, affirme Sylvain B. Tremblay. En quelques jours, ils perdent la maison qu’ils avaient achetée au bord de l’eau pour leur retraite. C’est l’épargne de toute une vie. C’est sûr que certains d’entre eux vont être obligés de retourner sur le marché du travail pour payer la nouvelle hypothèque ou le loyer. »Le planificateur financier indique en effet que la valeur d’un terrain mouillé est nulle et que se reloger coûtera plus cher que l’indemnité que les sinistrés peuvent toucher de la part du gouvernement. « Il ne faut pas oublier que les assurances, elles, ne couvrent pas ce type de risque, rappelle-t-il.

« Les compagnies d’assurance protègent contre ce qui peut arriver, et non contre ce qui va se produire avec certitude, précise-t-il. Or, si tu t’installes en zone inondable, il est certain qu’un jour, tu vas avoir les pieds dans l’eau. »

M. B. Tremblay recommande donc en tout premier lieu de ne pas construire dans ces zones-là. Mais à ceux qui y sont déjà, il conseille de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier en matière d’investissements.

« La maison ne peut pas être la seule épargne-retraite, précise-t-il. C’est vrai pour tout le monde, mais encore plus quand on peut la perdre du jour au lendemain. Pour ne pas prendre trop de risque, la règle numéro un consiste à ne pas concentrer son épargne dans une seule catégorie d’actifs. »

La rédaction