Un avenir en demi-ton pour les régimes de retraite

Par Soumis par la Financière Sun Life | 18 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Ça y est : pour la première fois depuis que le recensement existe au pays, les aînés sont plus nombreux que les jeunes, selon le portrait de la population publié au printemps 2017 par Statistique Canada. En effet, le vieillissement s’accélère à mesure que les baby-boomers quittent le marché du travail. Résultat : un Canadien sur quatre sera âgé de plus de 65 ans d’ici 15 ans. « C’est un changement générationnel durable. L’écart entre le nombre de personnes âgées et de jeunes va s’accroître avec le temps. Nous ne reviendrons pas en arrière », souligne Laurent Martel, directeur de la division de la démographie à l’agence fédérale, interrogé par Radio-Canada dans le cadre d’une enquête publiée en mai 2017.

L’analyste relève que la distribution entre les hommes et les femmes est elle aussi en train de changer, puisque ces dernières ont une meilleure espérance de vie. Ainsi, il y avait en 2016 deux femmes pour un homme de plus de 85 ans, et cinq femmes pour un homme centenaire!

Enfin, les données révèlent que si l’immigration a permis une croissance démographique d’un océan à l’autre depuis les années 1980, elle n’a pas pour autant ralenti le processus, explique Radio-Canada. En l’absence d’immigration, les naissances ne suffiraient pas à renouveler la population et celle-ci diminuerait, souligne même Laurent Martel. Ce tournant démographique majeur, qui perdurera dans le temps, aura d’importantes conséquences pour les régimes de retraite, comme plusieurs médias s’en font l’écho, à commencer par Conseiller. Le média se demandait au printemps dernier, par la voix de Daniel Laverdière, directeur principal du Centre d’expertise de la Banque Nationale Gestion privée 1859, si les programmes gouvernementaux seraient au rendez-vous le moment venu.

1) Vers la fin des régimes publics?

Près des deux tiers des Canadiens (62 %) se disent inquiets d’une éventuelle baisse des rentes des régimes publics, révèle un rapport publié en juin par HSBC. Par groupe d’âge, ce sont les baby-boomers qui se montrent les plus soucieux (66 %) par rapport aux générations X (34 %) et Y (57 %). Dans cette étude sur l’avenir de la retraite, intitulée Shifting Sands: the future of retirement (en anglais), la banque observe qu’un Canadien en âge de travailler sur cinq (21 %) croit même que les régimes de retraite gouvernementaux n’existeront plus quand il prendra sa retraite.

Une bonne moitié (52 %) affirme que depuis la crise de 2007-2008, il est devenu plus difficile de s’offrir une retraite confortable, tandis qu’une autre moitié (48 %) s’interroge sur la capacité future de payer du régime d’employeur. Autant de changements qui obligent les Canadiens à modifier leurs attentes : sur la base du rythme de progression de leur épargne, seul un tiers (29 %) pense vivre une retraite confortable, alors qu’un autre tiers avoue ne pas avoir commencé à mettre de l’argent de côté. Résultat : 55 % des personnes interrogées par HSBC disent s’attendre à devoir travailler pendant la retraite et les deux tiers envisagent de retarder le moment de leur départ de la vie active afin d’accumuler plus d’épargne.

Dans ce contexte de marasme et d’inquiétude, La Presse canadienne indique qu’un examen du plus important programme de prestations aux aînés au pays, celui de la Sécurité de la vieillesse (SV), anticipe des niveaux records de dépenses à la suite des départs à la retraite des baby-boomers. Dans un rapport rendu public en août dernier, l’actuaire en chef du Canada, Jean-Claude Ménard, précise que les dépenses annuelles de la SV devraient atteindre 247 milliards de dollars d’ici 2060 (soit cinq fois la somme projetée en 2016), dans un contexte où davantage de Canadiens prennent leur retraite et où l’espérance de vie ne cesse de progresser.

L’agence de presse précise qu’il s’agit du premier aperçu de l’impact qu’aura la bonification du Régime de pensions du Canada (RPC), qui s’échelonnera sur 40 ans, sur le programme de la SV. Elle note qu’en étant rehaussées, les prestations du RPC devraient faire baisser le nombre d’aînés à faible revenu, et du même coup aussi le nombre des personnes admissibles au Supplément de revenu garanti (SRG). Cela permettrait au programme d’épargner trois milliards à l’horizon 2060. Rappelant que le gouvernement Trudeau a annulé la décision du gouvernement Harper de faire passer l’âge d’admissibilité à la SV de 65 à 67 ans, La Presse canadienne précise que les libéraux « reconnaissent cependant qu’il faut encourager les Canadiens à demeurer plus longtemps sur le marché du travail. »

2) La réforme du RPC aura peu d’effet sur les faibles revenus

Sur le site de Conseiller, on peut y lire que la réforme du RPC décidée par Ottawa « n’améliorera guère les perspectives de retraite des salariés à faible revenu », selon une étude publiée en juin par l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). Intitulée Unfinished Business: Pension Reform in Canada (résumé en français), elle conclut que la hausse des prestations « sera récupérée pour l’essentiel par le biais de l’impôt sur le revenu et la réduction d’autres prestations sociales établies en fonction du revenu. » Les auteurs du rapport, Bob Baldwin et Richard Shillington, estiment que les importantes modifications au système de retraite apportées par Ottawa soulèvent de « vrais problèmes » en matière de coordination avec le régime fiscal.

Les deux chercheurs préconisent plutôt une révision globale des chevauchements d’impôts et des taux de récupération fiscale, qui « amoindrissent l’intérêt d’épargner en vue de la retraite pour les salariés à faible revenu et l’intérêt de rester sur le marché du travail pour les salariés âgés ». Et ils notent qu’en l’état actuel des choses, la réforme ne tient pas compte des effets du vieillissement de la population sur le système de revenu de retraite. Résultat : pour les salariés à faible revenu, la valeur accrue de remplacement du revenu du RPC risque d’être neutralisée par la valeur de remplacement moindre de la pension de la SV par rapport aux salaires. Enfin, Bob Baldwin et Richard Shillington doutent que l’âge doive rester le principal critère d’admissibilité au RPC, à la SV et au Supplément de revenu garanti (SRG), en raison de l’allongement de l’espérance de vie, des départs à la retraite de plus en plus tardifs et de l’âge avancé auquel les jeunes intègrent le marché du travail.

Un rapport publié au printemps par l’Institut C.D. Howe indique que ce sont les jeunes Canadiens qui risquent de devoir éponger les déficits du RPC amélioré si les rendements prévus ne se concrétisent pas. Dans ce document, Bigger CPP, Bigger Risks: What “Fully Funded” Expansion Means and Doesn’t Mean (en anglais), William Robson et Alexandre Laurin citent des calculs réalisés en 2016 par l’actuaire en chef du Canada pour expliquer que le régime devra obtenir un rendement annuel moyen d’au moins 3,41 % pour que ses obligations envers les bénéficiaires puissent être remplies. Mais pour atteindre cet objectif, il devra s’exposer à des risques d’investissement plus importants. Les deux chercheurs soulignent en effet que la réalisation d’un rendement minimal 3,41 % « exige une combinaison d’actifs comportant un risque élevé ainsi que de l’incertitude », qui pourrait se traduire par des performances plus élevées ou moins élevées que prévues. Si ce dernier cas se produit, il est possible que les jeunes travailleurs voient augmenter leur taux de cotisation au régime, ou reculer l’âge où ils pourront réclamer leurs prestations.

Rappelons que le gouvernement québécois a lui aussi décidé de bonifier les rentes versées aux retraités par le Régime de rentes du Québec (RRQ) pour s’aligner sur le régime fédéral. Annoncée à l’automne dernier, cette mesure prévoit que la rente passera d’un taux de remplacement du revenu de 25 % à 33,33 % à l’horizon 2025. Le ministre des Finances Carlos Leitão a justifié son changement de cap par le fait que la consultation publique organisée dans la province en janvier dernier l’avait convaincu qu’il existait un large consensus au sujet d’une telle réforme.

3) Le Canada est moins généreux que d’autres pays développés

Malgré leur récente bonification, les régimes de retraite au pays demeurent moins généreux que la moyenne des pays développés, explique Éric Desrosiers dans un article publié par Le Devoir au mois de décembre. Reprenant les conclusions d’un récent rapport (en anglais) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le journaliste note qu’un Canadien qui entrerait aujourd’hui sur le marché du travail et ferait toute sa carrière au salaire moyen aurait droit, pour ses vieux jours, à une pension équivalant à 53 % de son ancien chèque de paye. « C’est mieux qu’au Royaume-Uni, où le taux net de remplacement assuré par les régimes de retraite obligatoires n’est que de 29 %, mais c’est 10 points de pourcentage de moins que pour la moyenne des pays développés et à des lieues de pays comme l’Italie et les Pays-Bas, où ce taux atteint 90 % et même 100 % », souligne Éric Desrosiers.

Il reconnaît que le Canada fait un peu mieux pour les travailleurs à faible revenu « qui touchent un salaire moitié moindre que la moyenne, avec un taux net de remplacement de 62 %. Mais cela n’améliore pas sa position par rapport aux autres, les 38 pays membres de l’OCDE faisant mieux eux aussi à ce chapitre avec un taux de 72 % », précise le journaliste. Cependant, le « portrait devient plus favorable lorsqu’on tient compte du fait que le Canada est l’un des huit pays appartenant à l’OCDE où plus de 40 % des travailleurs ont accès à des régimes complémentaires de retraite privés, précise le rapport. Un Canadien au salaire moyen qui contribuerait durant toute sa carrière à l’un de ces régimes pourrait ainsi faire passer son revenu à la retraite d’un taux net de remplacement de 53 % à 98 %. »

Selon le rapport, un autre point positif pour le Canada est que le gouvernement fédéral semble avoir pris une mesure du fait que les inégalités se creusent parmi les personnes âgées et qu’il est important d’adapter le système actuel pour permettre aux travailleurs de retarder ou d’échelonner leur départ de la vie active. De ce point de vue, « le Canada a été l’un des pays de l’OCDE les plus actifs en matière de réformes des retraites les deux dernières années », observe l’Organisation. « Outre les changements apportés aux montants versés par les régimes publics, on en a assoupli les règles afin d’encourager financièrement les départs à la retraite plus tardifs. Les retraites anticipées sont aussi possibles, quoiqu’au prix de prestations sévèrement réduites », résume Le Devoir. Le quotidien note que le Canada a été « l’un des trois seuls pays de l’OCDE à réviser à la baisse un âge de la retraite qui venait tout juste d’être haussé » (par le gouvernement précédent). À ce chapitre, il se trouve désormais sous la moyenne des pays de l’OCDE, qui passera de 64 à 66 ans d’ici à 2065.

4) L’importance des régimes d’employeur

Les régimes de retraite des employeurs sont amenés à prendre de l’importance, selon une récente étude internationale de la banque suisse UBS. Passant en revue les systèmes de retraite obligatoires dans une douzaine de pays, l’indice UBS International Pension Gap Index (en anglais) note qu’une Torontoise « moyenne » (avec un enfant adulte et ayant travaillé à temps plein) âgée de 50 ans pourra compter sur un taux de remplacement de ses revenus de 42 % une fois qu’elle aura quitté la vie active (sans compter son épargne privée ou le régime de retraite de son employeur). Cette dernière percevra nettement moins que ses consœurs de Singapour (73 %), de Sydney (72 %) et de Milan (67 %), même si elle devance les Londoniennes (41 %) et les femmes de Hong Kong (41 %) ou de Taipei (32 %).

Après avoir passé au crible les systèmes de retraite obligatoires, l’étude mesure le taux d’épargne privé auquel notre Torontoise âgée de 50 ans devra parvenir pour maintenir son style de vie après son départ de la vie active, en présumant qu’elle n’a jamais épargné auparavant. Il appert qu’elle devra viser un taux d’épargne correspondant à 62 % de son revenu, mais UBS indique qu’en raison de ses faibles revenus de retraite, elle pourrait recevoir la totalité de la pension de la SV ainsi qu’une partie du SRG.

UBS rapporte par ailleurs que c’est en Suisse que le taux d’épargne-retraite privé nécessaire est le plus faible parmi les 12 pays passés en revue. Ainsi, une Zurichoise n’aura besoin d’économiser que 11 % de ses revenus pour conserver son niveau de vie une fois retraitée, car elle pourra compter sur des revenus plus généreux qu’ailleurs de la part du système public obligatoire. Le deuxième pays dans lequel les prestations publiques sont les plus conséquentes est l’Australie, puisqu’une femme habitant Sydney n’aura besoin d’épargner que 37 % de ses revenus à partir du début de la cinquantaine. Conseiller souligne que selon le rapport « les pays où le système de retraite obligatoire n’offre que des prestations de retraite minimales, il faut inciter les entreprises à offrir des régimes et les employés à utiliser l’épargne privée », faute de quoi les pays ayant un faible taux de remplacement du revenu risquent de voir augmenter la pauvreté parmi les personnes âgées.

5) Régimes hybrides : le meilleur des deux mondes?

Parce qu’ils offrent à la fois la sécurité d’un régime à prestations déterminées (PD) et la souplesse d’un régime à cotisation déterminée (CD), « les régimes de retraite hybrides représentent en théorie le meilleur des deux mondes », écrit Pierre-Luc Trudel. Dans une enquête en deux volets publiée en mai sur le site de Conseiller, le journaliste tente de savoir si ces régimes sont aussi prometteurs qu’on le pense. « Selon les données de Retraite Québec, la proportion de régimes mixtes ou hybrides comptant au moins un participant a d’ailleurs connu une croissance appréciable en dix ans, passant de 3,6 % en 2004 à 15 % en 2014. » Toutefois, malgré leur plus grande présence dans le paysage de la retraite canadien, ils demeurent une solution « peu souvent mise de l’avant pour régler, du moins en partie, les problèmes vécus par les promoteurs de régimes PD. »

La raison? « Il faut le dire, les régimes hybrides n’éliminent pas magiquement les risques propres aux régimes PD, ils ne font que réduire leur étendue en coupant, bien souvent de moitié, les prestations garanties versées aux retraités », note le journaliste. Selon Hubert Tremblay, conseiller principal chez Mercer, ces régimes peuvent néanmoins représenter une autre possibilité intéressante à une transition vers un régime CD. « Face à un régime CD standard, un régime hybride peut constituer un avantage pour l’attraction et la rétention de main-d’œuvre(…) Les promoteurs qui choisissent d’implanter ce type de régime croient à l’importance de jouer un rôle primordial dans la sécurité financière de leurs employés à la retraite, mais démontrent en même temps leur volonté de partager les risques », explique-t-il dans Conseiller. Ce qui compte aussi pour les promoteurs de régimes hybrides, c’est de faire prendre conscience de la valeur du régime à leurs employés, insiste le conseiller principal. « En plus de bénéficier d’un filet de sécurité, ils ont la possibilité de faire certains choix personnels. C’est une bonne occasion pour l’employeur d’aller vers eux et de les responsabiliser concernant la planification de leur retraite », conclut-il.

« L’un des avantages d’un régime hybride est que les participants constatent par eux-mêmes l’effet des fluctuations de marché sur leurs placements dans le compte CD. Ce n’est pas le cas dans un régime entièrement PD », croit pour sa part Alain Bélisle, directeur des ressources humaines à l’Union des producteurs agricoles sur le site de Conseiller. Celui-ci utilise depuis 2008 un régime hybride comptant aujourd’hui quelque 600 participants, tous employés par l’UPA ou par des fédérations affiliées. Pourtant, même si ce régime est apprécié du personnel, il en retire un avis mitigé : « Je suis mi-figue mi-raisin. Si on le compare à un régime CD, un régime hybride est intéressant en ce qui concerne la gestion des ressources humaines. Par contre, bien qu’il permette de diminuer les risques par rapport à un régime entièrement PD, l’enjeu du financement demeure important. » Sa conclusion? « Dans l’ensemble, il s’agit tout de même d’une bonne solution intermédiaire. » Un avis que partage Serge Charbonneau; interrogé par Conseiller, cet associé chez Morneau­ Shepell estime qu’« implanter un régime hybride, c’est reconnaître que les deux extrêmes (PD et CD) ont des lacunes et tenter de trouver une façon appropriée de combiner les avantages de l’un et de l’autre ».

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