Loin des yeux, loin du portefeuille?

Par Martin Morin | 8 Décembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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En septembre dernier, on pouvait lire dans l’article « Quand la techno remplace le contact humain », que même si les technologies de visioconférences et autres ont permis aux propriétaires de PME et à leurs clients de continuer à garder le contact, « cette nouvelle façon de communiquer n’est pas sans défis ».

Ainsi, selon un rapport publié par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), presque la moitié des chefs d’entreprises sondés affirment être « débordés par le suivi des nombreux canaux numériques qu’ils utilisent dans le cadre de leurs activités ».

Un sondage effectué le même mois par Finance et Investissement spécifiait que la COVID-19 avait agi « comme un catalyseur [d’adoption d’outils technologiques] », et soulignait qu’un retour en arrière était difficilement imaginable.

Mais qu’en est-il sur le terrain, et que restera-t-il de l’âme d’un métier dont l’un des arguments de vente est le service personnalisé, près des gens? Loin des yeux, loin du portefeuille?

LE PENDANT

Il ne faut pas assumer automatiquement que 100 % des conseillers ne font plus de véritables rencontres individuelles, souligne toutefois David Parent, vice-président aux ventes et développement des affaires chez Groupe Cloutier. « Évidemment qu’il s’en fait moins, mais il se fait encore des rencontres en personne parce que les conseillers sont considérés comme un service essentiel, ce qui fait qu’ils peuvent rencontrer des clients en personne, évidemment dans le respect des mesures sanitaires. »

Mais « c’est sûr qu’au niveau de la clientèle actuelle, il y a quand même un nombre important de conseillers qui ont fait le virage de façon assez rapide vers le Web. Le feedback des clients est extrêmement positif, parce que dans le fond, à part la poignée de main, il ne manque pas grand-chose. Je vous dirais même que les conseillers voient qu’il y a un gain de temps parce qu’on limite le temps de déplacement », ajoute-t-il.

Chez Diversico, le travail à domicile existe depuis six ou sept ans, comme nous l’explique son président fondateur Daniel Guillemette. « Notre personnel travaillait déjà à partir du domicile depuis longtemps. On faisait la promotion de la visioconférence étant donné qu’on l’a intégrée dans notre système de gestion directement.  Les plus jeunes conseillers étaient toutefois plus enclins [à l’intégrer]. Ils avaient déjà compris que la visioconférence permettait de faire plus de rencontres dans une journée qu’en mettant du gaz dans ton char, par exemple. »

L’arrivée de la pandémie mondiale n’a fait que cimenter cette réalité chez Diversico. « La COVID-19 est non seulement venue aider la transition qu’on avait déjà mise en place il y a plusieurs années, mais a aussi aidée à [détruire] le mur de résistance [aux visioconférences], autant chez certains conseillers que chez les clients. »

Résultat? « Nous de notre côté, ça a provoqué une explosion des rencontres. Cette semaine, il y a trois de nos conseillers qui avaient 21 rencontres… Vous comprendrez que c’était impossible dans ‘ l’ancien monde ‘, soit le monde avant la COVID. Ceci étant dit, on utilisait déjà la signature électronique, donc nos clients étaient déjà habitués à notre avance technologique. »

« Comme on sait qu’il y a 55 % du message qui passe par le non verbal, une conversation dure la moitié moins longtemps et est aussi efficace, ou elle dure le même temps, mais elle est moitié moins efficace. Donc, on voit la valeur de ça », rajoute-t-il.

Même discours du côté de David Parent. « Si on recule avant la pandémie, ça existait déjà, il y avait déjà des conseillers qui avaient commencé à faire des rencontres par vidéoconférence, et des trucs comme ça, mais c’était somme toute marginal. À un moment donné, quand tu passes ta journée devant un écran, alors que tu étais habitué à la passer devant des humains, ça a des répercussions. On le sent, on s’en rend compte un peu partout. L’être humain est une créature sociale qui a besoin de voir du monde. Puis c’est sûr que quelqu’un qui choisit le métier de conseiller en services financiers, oui il est passionné par les finances, mais quelque part il aime le monde! »

L’APRÈS-COVID

Tous s’entendent pour dire que plusieurs changements imposés cette année demeureront permanents une fois que les verbes entourant la COVID-19 se déclineront au passé. « Quand on va arriver à la fin de tout ça, je pense qu’il n’y a pas mal de conseillers qui voudront retourner voir leurs clients en personne assez rapidement. Je m’attends à peut-être voir une augmentation à court terme des rencontres, puis après, ça va vraiment retomber vers la nouvelle normale », prédit David Parent.

Du même souffle, il nous indique que plusieurs professionnels ont profité de cette période difficile pour se tourner vers la production de contenu et le marketing de contenu, particulièrement sur les réseaux sociaux, qui permettent l’interaction directe.

« Si je publie quelque chose, ça se rend jusqu’à vous, vous trouvez ça intéressant, vous me posez une question en messagerie privée, et on peut engager une conversation directe. Il y a des conseillers qui y ont vu un autre canal de développement. Ça faisait un bout de temps qu’on en parlait, mais la situation a mis ça à l’avant-plan pour certaines personnes. »

De son côté, Daniel Guillemette s’inquiète pour la perte de sécurité des données confidentielles, une situation résultant du travail à domicile.

« La sécurité, malheureusement, n’est pas un élément pour lequel les gens sont vraiment meilleurs maintenant qu’ils l’étaient avant. Au contraire, en fait. En envoyant les gens à la maison, tout le monde se connecte avec un laptop sur le wi-fi domestique, puis dans le même environnement que fiston… Donc, au niveau de la sécurité de l’information confidentielle, moi je trouve ça beaucoup plus risqué maintenant que ça ne l’était avant. Il restera pendant longtemps des risques beaucoup plus élevés au niveau de la cybersécurité qu’avant la COVID-19 », ajoute-t-il.

D’après lui, on risque de voir davantage de brèches de sécurité à l’avenir. « Le pire est à venir! », annonce-t-il.

Le président de Diversico est également inquiet de la suite des choses pour le conseil financier en lui-même. « Il va rester un risque plus élevé pour le conseil indépendant que lors de la période pré-COVID. La voie est encore plus ouverte. Avant, il y avait une seule voie. Maintenant, il y en a au moins 14 [qui sont dégagées] pour qu’Amazon ou Google ou n’importe quoi débarque éventuellement dans notre monde. Parce que [l’accélération] technologique à laquelle la clientèle a participé les amène plus près de transiger avec une machine qu’avec un humain. La machine la plus forte, la plus intelligente, c’est elle qui va aller chercher le marché, c’est elle qui va gagner. Et sur ce terrain-là, le conseil indépendant, c’est sûr qu’il est le dernier de classe. Il n’y a pas de doute, parce qu’il n’a pas le budget des multinationales. Le conseiller indépendant non adapté à la technologie, son agonie vient de s’amplifier. »

Et vous, quelle analyse faites-vous des changements qui ont secoué le métier en 2020? Voyez-vous l’avenir avec espoir?

Martin Morin