Aide médicale à mourir et assurance vie : vers la fin des prestations?

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 26 novembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La mort médicalement assistée est aujourd’hui considérée par les assureurs comme une mort naturelle et donne droit au versement des prestations d’assurance vie. Mais jusqu’à quand?

L’article 49 de la Loi concernant les soins de fin de vie, entrée en vigueur en décembre 2015, est on ne peut plus clair à ce sujet. Il stipule en effet que « la décision prise par une personne […] qui consiste à refuser de recevoir un soin qui est nécessaire pour la maintenir en vie ou à retirer son consentement à un tel soin, de même que celle de recourir à la sédation palliative continue ou à l’aide médicale à mourir, ne peut être invoquée pour refuser de payer une prestation ou toute autre somme due en matière contractuelle ».

Dans la foulée, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), dont les membres détiennent 99 % des assurances vie et maladie en vigueur au Canada, prend position et recommande que l’aide médicale à mourir ne soit pas considérée comme un suicide.

« Chaque assureur est libre de prendre la décision qu’il veut à ce sujet-là », note la présidente Québec de l’Association, Lyne Duhaime.

« Mais il n’en demeure pas moins que de façon globale, ils estiment que lorsque quelqu’un décède après avoir opté pour l’aide médicale à mourir selon les règles inscrites dans la législation du Canada et du Québec, il ne s’agit pas d’un suicide au sens de la loi. »

« Le choix de recourir au programme d’aide médicale à mourir ne peut pas être invoqué par l’assureur pour refuser de verser une prestation de décès. »

Gaétan Veillette

Un soin… pour l’instant

Une position qui a son importance puisque la plupart des contrats d’assurance vie sont caducs en cas de suicide dans les deux années qui suivent leur signature.

« Le choix de recourir au programme d’aide médicale à mourir ne peut pas être invoqué par l’assureur pour refuser de verser une prestation de décès, confirme Gaétan Veillette, planificateur financier à IG Gestion de patrimoine. S’il n’y a pas eu de fraude durant le processus de demande, si la police d’assurance est toujours en vigueur et qu’elle n’est pas en déchéance, faute de paiement des primes, et si le mourant répond bien à tous les critères requis par la loi, l’assureur versera la prestation aux bénéficiaires désignés, même si cela survient dans les deux premières années du contrat. »

De toute façon, les gens atteints d’une maladie grave et incurable ne sont généralement pas admissibles à la souscription d’une assurance vie au cours des deux dernières années de leur vie, pas plus que les personnes âgées, fait remarquer M. Veillette. Il ajoute qu’à sa connaissance, il n’y a pas eu de litiges pour l’instant à ce sujet.

Les termes « pour l’instant » ont eux aussi leur importance. Car si toutes les compagnies d’assurance contactées par Conseiller confirment qu’elles considèrent l’aide médicale à mourir comme un soin, certaines avouent que la décision Gladu-Truchon, rendue le 11 septembre dernier par la juge Baudouin, jette un pavé dans la mare.

Celle-ci vient élargir le cadre de l’aide médicale à mourir en rendant admissibles ceux qui vivent une importante souffrance ne pouvant être soulagée et pour laquelle il n’existe pas de remède, et non pas seulement ceux dont la mort est prochaine.

« Notre procédure est claire, affirme Jacques Bouchard, conseiller principal, relations publiques au Mouvement Desjardins. Si un assuré décède alors qu’il a eu recours à l’aide médicale à mourir, la réclamation sera étudiée comme lors d’un décès naturel. Il est important de noter que la procédure s’applique à toutes les polices d’assurance, peu importe le moment de l’achat. »

Desjardins ajoute que la récente décision de la Cour supérieure du Québec ne change en rien son approche. Il n’en est pas tout à fait de même du côté de La Capitale et de SSQ Assurance.

« Notre position est assez simple, déclare Jean-Pascal Lavoie, conseiller en relations avec les médias et affaires publiques à La Capitale. Nous ne faisons pas de distinction entre un adhérent décédé de causes usuelles et un adhérent qui a eu recours à l’aide médicale à mourir. Mais si les gouvernements en venaient à modifier leurs lois, nous réétudierions la situation. »

« Nous avons eu une dizaine de cas et chaque fois, nous avons payé, rapporte Éric Trudel, premier vice-président, Stratégies et gestion de l’offre à SSQ Assurance. Mais si la loi venait à être modifiée, nous remettrions ça dans les mains de nos avocats. »

Qui a droit à l’aide médicale à mourir?

Au Québec, pour obtenir l’aide médicale à mourir, il faut :

  • être majeur et détenir une carte d’assurance maladie du Québec
  • comprendre sa situation médicale
  • être capable de prendre des décisions qui concernent son état de santé et les soins dont on a besoin
  • avoir une maladie grave et incurable
  • être dans une situation médicale où ses capacités sont gravement atteintes et aucune amélioration n’est possible
  • endurer continuellement de grandes souffrances physiques ou psychologiques qui sont intolérables et ne peuvent être soulagées par les moyens normalement utilisés (soins palliatifs, sédation, etc.)
  • être en situation de fin de vie (critère remis en cause par la décision Gladu-Truchon)

Ouverture d’une brèche?

La décision Gladu-Truchon vient en effet remettre en cause le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible » inscrit dans la loi québécoise et celui de « fin de vie » contenu dans la loi fédérale.

Ainsi, les patients qui souffrent de pathologies chroniques graves et irrémédiables, en particulier les maladies neurodégénératives physiques (sclérose latérale amyotrophique, sclérose en plaques, myélopathie, etc.) pourront avoir accès à ce soin ultime. Les gouvernements ont six mois pour modifier leur législation en ce sens.

« C’est un jugement très satisfaisant, estime Georges L’Espérance, neurochirurgien et président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. La juge Baudouin renvoie le législateur à sa table de travail et l’exhorte à enlever ces critères. Cela ne devrait pas être difficile : les autres critères sont adéquats, clairs et il n’y a qu’à enlever ces deux références temporelles. »

Peut-être pas difficile pour le législateur. Mais pour les assureurs, cela ouvre-t-il une brèche? Si la mort n’est pas imminente, peut-on alors qualifier cet acte de suicide, puisqu’il s’agit d’un choix de la part du patient et que celui-ci n’est pas à proprement parler mourant?

Pour M. L’Espérance, il n’y a aucune raison que cela change quoi que ce soit en matière d’assurance. « Non seulement les compagnies contreviendraient à l’article 49 de la loi québécoise, mais il faut noter que sur le certificat de décès, il n’est inscrit nulle part que la personne décédée a eu recours à l’aide médicale à mourir. Ce qui est indiqué, c’est la cause initiale de son décès, que ce soit une insuffisance respiratoire, un cancer, etc. » rappelle-t-il.

« Si les lois sont modifiées, il faudra analyser jusqu’à quel point cela ouvre l’aide médicale à mourir à d’autres situations. »

Lyne Duhaime

Vers une augmentation des primes?

Du côté des assureurs, la réponse n’est pas aussi claire.

« La décision vient d’être rendue, commente Mme Duhaime. Nous allons observer attentivement la suite des choses. Encore une fois, cela ne concernera que les personnes qui ont contracté leur police d’assurance dans les deux ans avant leur décès. Les répercussions devraient donc être limitées. Mais si les lois sont modifiées, il faudra analyser jusqu’à quel point cela ouvre l’aide médicale à mourir à d’autres situations. Et donc quelle incidence cela aura sur les compagnies d’assurance. »

M. Trudel estime quant à lui qu’un vide juridique s’est installé depuis le jugement. Si durant les six prochains mois, un médecin ou une infirmière administre l’aide médicale à mourir sans que le critère temporel ne soit rempli, cela peut-il être considéré comme un homicide? questionne-t-il.

« Dans certaines polices d’assurance, il y a des exclusions en cas d’acte criminel », fait-il remarquer.

Il note par ailleurs que retirer le critère de mort imminente pourrait devancer le décès de certains clients de 10 ou 15 ans et, à terme, avoir un effet sur les tarifs des assurances vie.

« Les primes des polices sont calculées en fonction des tables de mortalité, rappelle-t-il. Encore une fois, on parle d’une toute petite partie de la population, mais ça peut avoir une légère incidence. »

Sur un ton plus positif, M. Trudel signale que nombre de contrats d’assurance vie prévoient la possibilité de profiter d’un paiement anticipé en cas de maladie incurable.

« Les candidats à l’aide médicale à mourir peuvent très bien y être admissibles, indique-t-il. Ça peut leur permettre de réaliser un dernier rêve avant l’issue finale. »

Le visage de l’aide médicale à mourir

Selon le dernier rapport intermédiaire publié par Santé Canada en avril dernier :

  • On compte 6 749 personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir au Canada.
  • Ce nombre représente environ 1 % de tous les décès au pays.
  • Dans la grande majorité des situations, ce sont des médecins qui l’ont donnée au patient.
  • Dans moins de 10 % des cas, le processus s’est déroulé sous la responsabilité d’une infirmière praticienne.
  • Seulement six personnes ont choisi de s’auto- administrer des médicaments pour mettre fin à leurs jours.
  • Les hôpitaux et le domicile des patients sont les endroits où l’aide médicale à mourir est survenue le plus.
  • Les gens qui y ont recours souffrent du cancer dans la majorité des cas.
  • Les raisons les plus souvent citées pour refuser une demande d’assistance à mourir sont la « perte de compétence » et « la mort non raisonnablement prévisible ».

• Ce texte est paru dans l’édition de novembre-décembre 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann