Exercer à l’écart des grandes villes

Par Jean-François Venne | 9 octobre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Anna Grigorjeva / 123RF

Un nombre important de professionnels en services financiers exercent loin des centres urbains. Leur pratique se situe à des lieues de celle des conseillers qui travaillent en ville, tout comme les demandes de leurs clients.

JULIE ROY, GILBERT ET ASSOCIÉS OÙ : Val- d’Or, Abitibi- Témiscamingue ANNÉES DE PRATIQUE : 19 TITRES : Planificatrice financière, conseillère en sécurité financière, conseillère en assurance et rentes collectives et représentante en épargne collective

« Les conseillers qui réussissent en ville ne réussiraient pas nécessairement en région et vice- versa, croit Julie Roy. La proximité est très grande loin des centres urbains et les contacts avec les clients, très fréquents.»

Celle dont la pratique verse davantage dans l’assurance que les placements affirme desservir environ 400 clients. Elle refuserait d’en avoir plus que 600, afin de pouvoir offrir un service de proximité, essentiel en région. Les clients y sont très fidèles et n’apprécient pas qu’il y ait un gros roulement de conseillers, comme c’est souvent le cas dans les caisses populaires ou les banques, soutient- elle. Les résidents de la région aiment connaître leur conseiller et choisissent davantage en fonction de la personne que du prix.

« Le service après- vente est très important pour eux, dit- elle. Ils nous appellent souvent et dans une ville de la taille de Val- d’Or, on les croise régulièrement à l’épicerie ou ailleurs. On développe des liens assez forts avec eux.»

SUR LA ROUTE

En 2016, il y avait 43 899 habitants dans la MRC de la Vallée- de-l’Or et 147 982 dans toute l’Abitibi- Témiscamingue, répartis sur 57 349 kilomètres carrés. En guise de comparaison, l’arrondissement montréalais de Côte- des-Neiges– Notre-Damede- Grâce compte à lui seul 166 520 résidents.

Inutile de dire que la voiture devient rapidement un outil incontournable pour une conseillère abitibienne, particulièrement si, comme Julie Roy, elle préfère se déplacer chez les clients à leur convenance. « Beaucoup de gens dans notre région ont des horaires atypiques, comme les camionneurs qui partent le lundi matin et reviennent le vendredi soir, explique- t-elle. Si on veut les rencontrer, il ne reste que la fin de semaine. Je suis très flexible côté horaire.»

Si une bonne partie de ses clients habite Val- d’Or et les environs, Julie Roy doit tout de même régulièrement rouler jusqu’à trois heures pour en visiter d’autres.

Leurs besoins peuvent s’avérer un peu plus complexes, même si la moyenne a des besoins similaires aux résidents des grands centres. « Dénicher une bonne assurance vie ou invalidité pour des mineurs, des travailleurs forestiers ou des dynamiteurs, par exemple, n’est pas toujours simple », illustre- t-elle.

Quant aux clients très riches, il y en a peut- être dix dans toute l’Abitibi- Témiscamingue, estime la planificatrice financière. Les stratégies visant à utiliser l’assurance comme abri fiscal et autres concepts de ce type sont peu en demande.

LES CONSEILLERS SE FONT RARES

D’année en année, plus de citoyens quittent la région vers le reste du Québec que l’inverse. Cela entrave la croissance de la population. Pourtant, c’est moins une pénurie de clients qu’une rareté de conseillers qui guette l’Abitibi- Témiscamingue, selon Julie Roy.

« Beaucoup de conseillers sont très âgés, mais les nouveaux ont de la difficulté à vivre de ce métier dans la région, déplore- t-elle. Dans une ancienne vie, alors que j’étais gestionnaire, j’ai formé 48 conseillers en sept ans, il en reste trois. Les conseillers plus âgés hésitent à vendre leur clientèle, parce qu’ils n’aiment pas l’idée de perdre les commissions de renouvellement. Moi- même, j’aimerais acheter de la clientèle, mais c’est très ardu.»

Cette situation risque de laisser plusieurs clients orphelins lorsque ces professionnels plus expérimentés décideront bel et bien de prendre leur retraite sans qu’une relève n’ait pu s’établir dans la région.

ÉRIC VALLÉE, LA CAPITALE SERVICES CONSEILS OÙ : Baie- Comeau, Côte- Nord ANNÉES DE PRATIQUE : 10 TITRES : conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective

À 35 ans, Éric Vallée, de La Capitale services conseils, se sent bien positionné pour profiter d’un phénomène de plus en plus présent sur la Côte-Nord. « Les conseillers qui travaillent dans les caisses ou les banques vieillissent et plusieurs quittent pour la retraite, mais la relève se fait rare, explique- t-il. Il y a beaucoup de roulement. Il arrive fréquemment que des clients aient changé de conseiller, contre leur gré, trois ou quatre fois en cinq ans. Ils n’aiment pas cela et viennent vers des cabinets comme le mien pour retrouver un service plus stable ».

Ces situations surviendraient moins souvent dans ce genre de firmes, notamment chez les indépendants, où le dossier client ne serait généralement transféré qu’une seule fois à la personne qui prend la relève.

Après dix ans de pratique, Éric Vallée compte 2 000 clients (épargne et assurance confondues). Baie- Comeau se trouve dans la MRC de Manicouagan, laquelle a connu plus que sa part de difficultés économiques depuis quelques années. Selon l’Institut de la statistique du Québec, le territoire a vécu la plus forte baisse de l’emploi au Québec entre 2009 et 2014, perdant 7,1 % de ses travailleurs. Depuis 2004, leur nombre n’a jamais cessé de décliner.

Un contrecoup qu’Éric Vallée n’a pas trop ressenti jusqu’à maintenant. Baie- Comeau est une ville de services et la vaste majorité de ses clients travaillent dans l’administration publique, par exemple à Hydro- Québec, dans des hôpitaux, des commissions scolaires, etc.

MOINS DE COMPÉTITION, MOINS DE RESSOURCES

Selon lui, la compétition est moins féroce sur la Côte-Nord que dans les grands centres. À condition d’être mobile. Si environ 85 % de ses clients demeurent à Baie- Comeau, d’autres habitent à plus de deux heures de route. Comme bien des conseillers en région, il a aussi des clients à Montréal, Québec ou Trois- Rivières. Des gens qu’il sert depuis de nombreuses années, mais qui ont quitté, souvent au moment de prendre leur retraite, pour se rapprocher de leurs enfants et petits-enfants.

« Plusieurs des jeunes qui quittent Baie- Comeau pour aller faire des études dans les grands centres ne reviennent jamais, raconte- t-il. Alors, les parents vont les rejoindre. Mais ils restent mes clients. Je me déplace environ trois ou quatre fois par année, mais les nouvelles technologies facilitent grandement les contacts à distance ».

Pour Éric Vallée, la pratique en région exige surtout une grande autonomie. Il rappelle que les sièges sociaux se trouvent généralement dans les grands centres. Si vous travaillez à Baie-Comeau, vous n’aurez pas accès à un directeur sur place, souligne- t-il. Idem pour les formations, moins disponibles sur la Côte-Nord que dans les centres urbains.

UNE APPROCHE GLOBALE

Les besoins de la clientèle en région peuvent aussi varier de ceux des épargnants des grandes villes. Éric Vallée cite en exemple le secteur de l’immobilier. « La moyenne des hypothèques est d’environ 150 000 $ à Baie-Comeau, donc elles occupent une place moins importante lorsqu’on évalue la situation du client, explique- t-il. Le volume d’hypothèques et de produits qui y sont rattachés, comme les assurances prêts, est aussi beaucoup plus faible ».

Pour s’adapter, Éric Vallée a donc développé une approche holistique, afin de répondre le plus possible à tous les besoins de ses clients en planification de retraite, placement et assurance. « Nous évoluons dans de petits milieux, alors si on performe et on sert bien les gens, ça se sait très vite, conclut- il. Cela reste le meilleur moyen d’attirer de nouveaux clients ».


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2017 de Conseiller.

Jean-François Venne