Les limites du RAP

Par Gérard Bérubé | 25 février 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Derrière la popularité du régime d’accession à la propriété se cachent plusieurs contraintes. Contrairement à l’idée reçue, « RAPer » ne devrait pas être un automatisme.

Lancé en 1992, le régime d’accession à la propriété (RAP) permet de retirer jusqu’à 25 000 $ de son REER dans une année civile pour acheter ou construire une maison. Il faut ensuite rembourser les sommes retirées, généralement en 15 ans.

Le RAP est devenu omniprésent dans les transactions d’achat domiciliaire. Selon les données publiées par la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ), le nombre de retraits annuels moyen a oscillé autour de 35 000 au Québec de 2002 à 2015, sur des ventes résidentielles moyennes de 73 500 propriétés. Le RAP est donc utilisé lors d’un achat sur deux au Québec, ou presque.

Mais est-ce avantageux de puiser ainsi dans son REER pour devenir propriétaire? « Je vais vous offrir une réponse de comptable : ça dépend. On ne peut échapper au cas par cas », lance Hugo Neveu, directeur au développement hypothécaire à AFL Groupe Financier.

« Pour une personne dont les entrées d’argent vont demeurer stables sur 15 ans, RAPer aurait du sens. Mais si le revenu est appelé à croître, la personne va perdre une déduction d’impôt sur des revenus plus élevés. »

Une déduction fiscale est en effet octroyée sur les cotisations au REER en fonction du taux d’imposition. Plus le revenu est élevé, plus le taux d’imposition l’est aussi et plus le remboursement d’impôt sera grand.

Pourtant, RAPer n’est-il pas populaire auprès des jeunes désireux d’accéder à la propriété? « Les jeunes ont trop souvent une vision à court terme. Un RAP, c’est emprunter de son REER », répond le spécialiste hypothécaire.

On emprunte ainsi sur les cotisations futures, que l’on doit ensuite rembourser. Cependant, les remboursements ne donnent pas droit à une déduction fiscale, déjà octroyée lors du RAP.

«Vous faites ce que vous voulez avec l’argent retiré.»

– Pascal Guérin, représentant en épargne collective et conseiller en sécurité financière à Synergie Patrimoine

Les défis du prêt REER

Selon les observations de Hugo Neveu, 20 % des RAP en cours s’appuient sur de l’argent accumulé. Les autres reposent sur un prêt REER, généralement sous forme de prêt temporaire de 90 jours, la déduction fiscale servant de mise de fonds à l’achat. « Si une personne n’a pas la capacité d’épargner, peut-être n’a-t-elle pas les moyens de devenir propriétaire. »

N’est-ce pas là de l’épargne forcée? « Oui et non. Omettre un remboursement au REER vient ajouter ce montant au revenu imposable. »

Hugo Neveu rappelle qu’il est difficile d’épargner avant la mi-trentaine. Et à ses yeux, être propriétaire est davantage un mode de vie qu’un investissement. « Surtout dans la conjoncture actuelle, la hausse des taux d’intérêt venant éroder la valeur économique de la propriété. Sans oublier qu’une maison coûte entre 25 et 30 % plus cher qu’un appartement en location. »

Daniel Laverdière acquiesce. Il faut attendre d’atteindre son revenu maximal. Un jeune n’a peut-être pas intérêt à RAPer un prêt REER si l’avantage qu’il aurait de cotiser à un salaire plus élevé en est éliminé ou réduit.

« S’il emprunte 25 000 $ pour RAPer à un taux marginal d’imposition de 40 %, son remboursement d’impôt est de 10 000 $, alors qu’à un taux d’impôt de 53 %, il recevrait 13 250 $, soit 32,5 % de plus. Difficile de trouver un outil de placement pour ces 10 000 $ qui générerait un tel rendement », souligne le directeur principal, Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.

Mais en contrepartie, « le particulier obtient presque immédiatement ses remboursements d’impôt à l’égard de cotisations qu’il fera en réalité sur 15 ans », lit-on dans un document du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF).

Le resserrement des règles hypothécaires change-t-il la donne? « Ça vient compliquer les choses. Le taux d’admissibilité est déjà plus difficile à atteindre, souligne Hugo Neveu. Si on y greffe un prêt REER, cela s’ajoute au ratio d’endettement. »

«D’abord, il faut s’assurer d’être admissible à un emprunt hypothécaire sans le ­RAP. Puis, si l’on ­RAPe, s’en remettre à son profil d’investisseur.»

– Daniel Laverdière, directeur principal, Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

Avantages et inconvénients

Pascal Guérin, représentant en épargne collective et conseiller en sécurité financière à Synergie Patrimoine, classe dans la liste des avantages le fait que le RAP permet d’emprunter à son REER sans payer de pénalités fiscales ni d’intérêts. La mise de fonds peut donc être plus importante, ce qui fait diminuer le coût des primes d’assurance prêt hypothécaire et peut même les réduire à zéro si les sommes investies représentent plus de 20 % de la valeur marchande de la propriété.

Hugo Neveu ajoute toutefois qu’il n’est pas toujours avantageux d’effectuer une mise de fonds supérieure à 20 %, un prêt assuré se voyant offrir très souvent de meilleures conditions par le créancier, notamment sous la forme d’un rabais de taux d’intérêt. « Le choix dépend, ici, de la différence entre le taux d’intérêt sur le prêt assuré et le coût de l’assurance. »

Pascal Guérin apprécie également la souplesse à l’égard des sommes retirées du REER, pour lesquelles il n’existe aucun suivi obligatoire. « Vous faites ce que vous voulez avec l’argent, [pourvu que vous soyez admissible au RAP et que la propriété soit acquise dans les délais prévus]. Il n’y a aucun lien entre le montant de la mise de fonds et le montant du retrait au REER. »

De plus, ceux ne disposant pas des sommes dans leur REER peuvent maximiser leurs cotisations non utilisées grâce au prêt REER.

« Le RAP vous permet de cotiser au maximum à votre REER, de toucher un remboursement d’impôt, de mettre une mise de fonds plus importante sur votre maison, de rembourser plus rapidement vos dettes hypothécaires ou de payer les dépenses encourues pour l’achat d’une première maison », résume le conseiller de Synergie Patrimoine.

Dans la liste des inconvénients, Pascal Guérin retient que des contraintes peuvent se présenter si les fonds détenus à l’intérieur d’un REER sont gelés, par exemple s’ils sont dans un certificat de placement garanti à échéance de cinq ans. « Il faudra négocier avec l’institution financière et il sera peut-être impossible d’y avoir accès. »

Évidemment, le RAP a aussi une incidence sur le capital du REER à la retraite. « Tant qu’il n’a pas remboursé en totalité, le titulaire du REER perd l’avantage de la capitalisation des intérêts ou des revenus de placement à l’abri de l’impôt. S’ajoute la contrainte de devoir effectuer le remboursement du RAP, qui vient limiter la capacité de verser de nouvelles cotisations. Encore là, vous mettez en danger le capital de votre retraite. »

Ce faisant, même en présence d’épargne excédentaire, le remboursement doit être limité au minimum annuel requis, juge Pascal Guérin.

Selon lui, le RAP demeure un outil important, notamment pour ceux qui désirent acheter une première maison. Mais il ne doit pas servir à se payer une maison dont on n’a pas les moyens.

Daniel Laverdière fait la même observation. « Si l’on peut emprunter 300 000 $ et que l’on veut RAPer, il ne faut pas s’acheter une maison 25 000 $ plus cher, ou 50 000 $ plus cher si l’on ajoute le conjoint. »

Pour éviter les problèmes, le planificateur financier propose cette simple marche à suivre : d’abord, s’assurer d’être admissible à un emprunt hypothécaire sans le RAP. Puis, si l’on RAPe, s’en remettre à son profil d’investisseur. La décision n’est pas la même pour un investisseur prudent, dont le REER génère un rendement de 1 ou 2 %, que pour un investisseur plus audacieux, qui obtient un rendement de 6 ou 8 %.

Avec, par exemple, un taux hypothécaire de 4 %, le premier gagnerait en effet à RAPer pour réduire l’intérêt à payer, plus élevé que le rendement qu’il ferait en laissant les sommes dans son REER. Ce qui n’est pas le cas de l’investisseur plus audacieux.

«Si une personne n’a pas la capacité d’épargner, ­peut-être n’­a-t-elle pas les moyens de devenir propriétaire.»

– Hugo Neveu, directeur au développement hypothécaire à AFL Groupe Financier

Étendra, étendra pas?

On le devine, une éventuelle expansion du RAP ne ferait donc pas consensus. Lors de la dernière campagne électorale provinciale, le Parti libéral évoquait l’idée de doubler le montant pouvant être retiré en vertu d’un RAP à 50 000 $ par personne. « Ça n’aiderait pas. Le problème n’est pas tant la mise de fonds que le ratio d’endettement », réplique Hugo Neveu. Comme la plupart des gens contractent un prêt pour RAPer, un RAP plus élevé ne ferait donc qu’accroître leur dette.

De toute façon, le seuil maximal actuellement autorisé est déjà peu utilisé. Selon les données publiées par la FCIQ, le retrait moyen annuel se situe plutôt autour de 12 500 $.

Un gouvernement libéral aurait également repris la proposition de l’Association canadienne de l’immeuble de permettre aux parents de RAPer pour leur enfant désirant accéder à la propriété.

« De plus en plus, sur une base régulière, la mise de fonds vient du don d’un parent », explique Hugo Neveu. La contribution des parents est d’autant plus nécessaire que la Société canadienne d’hypothèques et de logement ne permet pas que la mise de fonds initiale obligatoire de 5 % vienne d’un remboursement d’impôt.

« Or, en permettant aux parents de RAPer, il en résulterait une perte de rendement dans leur portefeuille REER. Et si le don prenait la forme d’un prêt REER intergénérationnel que l’enfant rembourserait à ses parents, cette créance viendrait s’ajouter à son ratio d’endettement », explique le spécialiste hypothécaire.

Mais pour l’heure, les gouvernements n’en sont pas là. « Nous ne commentons pas sur des éléments qui pourraient être ou ne pas être dans le budget », indique par courriel Fanny Beaudry-Campeau, attachée de presse du ministre québécois des Finances. À Ottawa, le ministère des Finances n’a pas répondu à nos demandes répétées.

Optimisation fiscale

Puisque le contribuable peut faire ce qu’il veut des fonds retirés de son REER pour RAPer, diverses stratégies d’optimisation fiscale peuvent être envisagées.

Le CQFF propose notamment :

  • de canaliser l’argent retiré vers un régime enregistré d’épargne-études et d’ainsi bénéficier de la subvention de 20 % au fédéral et d’au moins 10 % au Québec
  • de l’utiliser comme cotisation déductible au REER (on retire du REER que l’on a RAPé pour cotiser à son REER ou à celui du conjoint, s’il a des droits de cotisation inutilisés, et ainsi recevoir un deuxième remboursement d’impôt)
  • de le diriger vers le CELI, permettant ensuite de faire des retraits sans être imposé
  • de réaliser une cotisation excédentaire de 2 000 $ à son REER, laquelle peut être maintenue à vie sans pénalité

Le retrait peut aussi servir à investir dans les actions du Fonds de solidarité FTQ ou de Fondaction jusqu’au plafond annuel de 5 000 $ afin d’obtenir les crédits d’impôt respectifs de 30 et 35 %.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2019 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé