Attention aux pièges de l’analyse financière

Par Institut de planification financière (IQPF) | 26 septembre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

De par la nature de son travail, le planificateur financier est appelé à effectuer des analyses financières et à soupeser les conséquences de diverses décisions pour ses clients. Il a les connaissances pour le faire, mais parfois, surtout s’il travaille seul, il peut tomber dans certains petits pièges. Le présent article dressera quelques exemples afin d’inviter le planificateur financier à toujours se méfier de lui-même. Il l’encouragera également à être minutieux, rigoureux et consciencieux.

TAUX DE RENDEMENT NET DE FRAIS

J’observe à l’occasion une petite faille dans la façon d’utiliser le rendement net de frais dans les diverses projections financières. Les Normes d’hypothèses de projection de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) et de FP Canada disent bien que pour obtenir le rendement net, il faut soustraire les frais de gestion et d’administration payés par le client, autant pour les produits que pour les conseils.

Par exemple, si mon portefeuille d’actions canadiennes obtient 6,3 % de rendement (dont 1/3 en dividendes) et que les frais sont de 1,0 %, le rendement net devient 5,3 %. Si les sommes sont investies dans un REER ou un CELI, sans imposition annuelle, cette approche fonctionne bien.

Toutefois, dans un univers imposable, en utilisant ce raccourci, on surestime les impôts du contribuable. En effet, pour un placement de 100 000 $, le 5,3 % donnerait 5 300 $ de revenus imposables, soit 3 533 $ en gain en capital et 1 767 $ en dividendes. Avec un taux d’inclusion de 50 %, l’impôt total serait de 1 650 $[1]. La réalité est pourtant différente, car les frais de gestion de 1 000 $ (1 % de 100 000 $) sont déductibles du revenu imposable.

En reprenant l’exemple de façon détaillée, le rendement de 6 300 $ avant frais inclut 4 200 $ en gain en capital et 2 100 $ en dividendes, pour un revenu imposable de 4 998 $ (suivant un taux d’inclusion de 50 % et un taux de majoration de 38 %). En déduisant les frais de 1 000 $, l’impôt avant le crédit pour dividendes équivaut à 2 131 $. En appliquant le crédit pour dividendes déterminés de 702 $ (soit 24,2415 % du dividende majoré), l’impôt final représente 1 429 $, soit 222 $ de moins que le premier estimé.

Dans le même ordre d’idées, j’entends trop souvent dire que détenir des titres directement permet de déduire les frais de gestion, ce qui n’est pas possible avec les placements détenus par un fonds constitué en fiducie. Mais dans les faits, dans sa déclaration fiscale, la fiducie applique la même mécanique, qui consiste à déduire les frais de la partie imposable (revenu d’intérêts, inclusion du gain en capital et dividende majoré) avant de procéder aux distributions.

CALCUL DU TAUX DE RENDEMENT INTERNE D’UN CONTRAT D’ASSURANCE VIE DÉTENU PAR UNE SOCIÉTÉ PAR ACTIONS

Il est fréquent de voir la rentabilité d’un contrat d’assurance vie exprimé en taux de rendement interne (TRI). Prenons l’exemple d’un contrat payable au 2e décès pour un couple de 65 ans, versant 10 primes de 100 000 $.

Imaginons que la valeur projetée du capital-décès (barème – 1 %) soit de 2 479 443 $ à l’âge de 95 ans, avec une valeur de rachat (VR) de 2 079 786 $ et un coût de base rajusté (CBR) nul. Le TRI corporatif est alors calculé à 3,47 %… Un taux identique au TRI d’un contrat détenu personnellement. Assez curieux n’est-ce pas?

L’erreur est de considérer les primes brutes de 100 000 $ avec la valeur nette successorale comme valeur future. Dans ce calcul, on erre en prenant du brut comme « entrée » et du net comme « sortie ». En fait, avec un taux d’impôt de 48,70 % sur le dividende non déterminé, le coût net de la prime n’est que de 51 300 $ pour l’actionnaire, haussant le TRI à 6,07 %.

Ce taux ressemble davantage au TRI plus élevé auquel nous nous attendons avec une détention plus efficace par une société par actions. Petit bémol toutefois, la valeur successorale nette pourrait être ajustée à la baisse, car dans ce cas précis, la VR fera partie de la juste valeur marchande des actions au décès pour le calcul de la disposition présumée, occasionnant une facture fiscale de 554 315 $[2], baissant le produit net de l’assurance vie à 1 925 128 $. Les possibilités de planification post-mortem pour éviter ces impôts additionnels sont plus limitées en présence d’un contrat payable au second décès. Le TRI corporatif devient alors 4,96 %, mais demeure supérieur à celui de la détention personnelle.

Dans les deux cas, le TRI baissera si on a un barème – 2 % sur la partie non-garantie de l’illustration des projections.

REEE : DÉPÔT UNIQUE OU DÉPÔTS ÉCHELONNÉS

Dans La Cible de septembre 2007, j’abordais une erreur fréquemment observée lorsqu’on compare la croissance immédiate sans impôt d’un dépôt unique au REEE et la croissance graduelle de dépôts étalés pour maximiser les subventions.

Dans mon article, je comparais un dépôt initial de 50 000 $ à une série de dépôts de 2 500 $. La faille est d’omettre de tenir compte du montant de 47 500 $ qui reste après le premier dépôt de 2 500 $.

Dans les faits, la somme existe et génère un rendement annuel avant d’être transférée dans le REEE, et ce, malgré les impôts. En fait, on pourrait même transférer immédiatement 14 000 $ (partie ultime ne recevant jamais de subvention) dans le REEE pour éviter les impôts annuels sur cette partie. Autre petit détail : il faut faire attention de ne pas présumer qu’il n’y aura aucun impôt sur le paiement d’aide aux études (PAE) payé à l’étudiant. Il n’est pas rare que l’enfant ait d’autres revenus ou que le parent perde son crédit pour enfants aux études postsecondaires.

D’AUTRES EXEMPLES

Pour terminer, voici rapidement cinq  autres erreurs courantes :

  • Parfois lorsqu’on cherche à déterminer l’âge optimal pour demander la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ), on omet de distinguer l’hypothèse de hausse du MGA de celle de l’indexation de la rente, soit respectivement 3,1% et 2,1 % en 2022. Dans la même veine, on oublie occasionnellement l’impact des revenus admissibles à zéro (à la retraite, par exemple).
  • Lorsqu’il est question de payer un chalet comptant ou non, on néglige parfois de comparer le maillon le plus faible de nos placements avec le taux d’emprunt, ce qui génère une perte fixe récurrente.
  • Au moment de choisir entre salaire ou dividende, il n’est pas rare de voir des calculs qui tiennent compte du coût des cotisations au RRQ, mais qui n’incluent aucune prestation de retraite en compensation. De façon similaire, la valeur des droits REER du scénario « salaire » est souvent simplement absente de la modélisation. Finalement, la solution optimale est peut-être une combinaison, sans être 100 % salaire ou dividende.
  • L’avance qu’un actionnaire fait à sa société par actions peut lui permettre de conserver la pension de la Sécurité de la vieillesse, mais sans calculs détaillés, on ne remarque pas qu’à long terme, la facture fiscale découlant de la surimposition des revenus de placement dans la société peut être salée, rendant la stratégie perdante.
  • Lorsqu’on compare des scénarios financiers sur plusieurs années, il est tentant d’additionner les coûts d’intérêts. Ce faisant, on ne respecte pas la valeur de l’argent dans le temps. Un prêt à 5 % sur 10 ans semblera ainsi plus avantageux qu’un prêt à 2 % sur 30 ans.

Ce ne sont ici que quelques pièges dans lesquels un planificateur financier peut tomber. On constate qu’il doit être très attentif et que l’apport d’un collègue qualifié et de confiance peut l’aider à mieux considérer tous les angles du problème. Le rôle du réviseur n’est pas simple, car il doit prendre du recul face au travail de son collègue. La dernière chose qu’on souhaite de lui, c’est qu’il soit complaisant. Parfois les calculs sont bons, mais la modélisation du problème est déficiente.

Restez donc sur vos gardes… et consultez vos pairs!

[1] Présumant un taux maximal de 53,305 % sur le revenu ordinaire et de 40,108 % sur le dividende déterminé.

[2] Présumant taux maximal de 53,305%.