Jamais sans mes commissions!

Par Ronald McKenzie | 15 octobre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les ACVM mettent l’accent sur les commissions de suivi qui seraient opaques et incomprises, donc préjudiciables aux épargnants. N’est-ce pas le cas?

Daniel Bissonnette : Non. Ces commissions servent à payer énormément de choses : nos infrastructures, nos sites Internet, les secrétaires, les adjoints, tout ce qui est nécessaire pour faire rouler une équipe. Ça, mes clients le savent. Quand ils me demandent comment je suis payé, je leur réponds : « À l’actif sous gestion. Plus tu fais d’argent, plus j’en fais aussi. Si au contraire tu n’en fais pas, je n’en fais pas aussi. »

Flavio Vani : Lors d’une consultation de l’Autorité des marchés financiers, j’ai expliqué comment sont structurés nos coûts et pourquoi il fallait rejeter le principe de la négociation, client par client, des commissions de suivi.

En effet, si on doit signer à chaque fois un contrat de commissions de suivi, un client pourrait se plaindre à la compagnie de fonds ou à mon courtier en disant : « Flavio Vani ne m’a pas donné tel service, je veux que vous lui enleviez toutes les commissions que j’ai payées. » Je devrai alors avoir un abonnement avec un avocat, car je serai continuellement en Cour!

Et de quoi parle-t-on au juste, avec les commissions de suivi? Elles s’élèvent à 1 % pour les fonds d’actions et les fonds équilibrés. Dans le cas des fonds d’obligations et à revenu fixe, c’est plus bas. Et encore, ce 1 % n’est pas net dans mes poches : je dois le partager avec mon courtier.

Par ménage que je sers, j’estime que ça me prend 1 538 $ en commissions de suivi pour payer mes frais d’exploitation. Donc, à 1 %, chacun de ces ménages devrait avoir 153 846 $ en actifs sous gestion, en présumant qu’ils n’ont que des fonds d’action ou des fonds équilibrés. Mais combien vaut un portefeuille moyen au Québec? Certainement pas 150 000 $. C’est plutôt 35 000 $ ou 40 000 $.

Guy Duhaime * : En effet, si on enlève les commissions de suivi, vous pouvez dire adieu au service. Nous avons des milliers de contrats en assurance qui ne payent aucune rémunération. Personne ne veut s’en occuper. Il faut faire le service directement de notre cabinet en espérant que, peut-être, nous réaliserons une vente de temps en temps.

Les consommateurs vont y perdre, c’est sûr. Ils n’accepteront jamais de recevoir des factures pour chaque intervention. Alors, ils feront comme certaines personnes qui ne consultent leur dentiste que quand leurs dents tombent!

Luc Larose : Si on veut revoir le mode de rétribution des conseillers, incluant les commissions, il faudrait tout mettre sur la table. Les grandes institutions financières aussi devraient faire partie du lot et divulguer le mode de rémunération de leurs employés, leurs quotas, leurs bonis, etc., car tout ceci est caché.

Jean-Benoît Laurin : En outre, le mode de rémunération devrait être le même pour toute l’industrie des services financiers. Il devrait également être divulgué de la même façon, qu’on soit indépendant ou employé d’une institution financière. Ça prend un poids, une mesure, pour que la transparence soit parfaite de tous les côtés. Or, on est très loin de ça aujourd’hui.

Par ailleurs, la problématique des commissions ne touche, pour le moment, que les gens qui distribuent des fonds communs. En assurance, aucun changement ne semble prévu. Je crois que cela peut créer un déséquilibre, car les conseillers qui vendent des fonds distincts, qui sont essentiellement la même chose que des fonds communs, pourront toucher des commissions, alors que leurs voisins ne le pourront pas.

Luc Larose : D’où la nécessité de tout mettre sur la table.

Michel Mailloux : Ça fait plus de 20 ans que le débat sur les commissions existe. Le ton général des politiciens et des consommateurs, c’est que les commissions, ce n’est pas bon. Alors, lorsqu’on parle de les faire disparaître, ma première réaction est : « Ah! C’est le fun! Je n’aurai plus de suivi à faire avec mon client ! » En effet, si ce dernier choisit de me verser des honoraires, plutôt que des commissions, je réviserai son portefeuille seulement s’il vient me voir…

L’avocat que j’ai consulté il y a trois ans a-t-il le devoir de m’appeler pour me demander : « Hé, Mailloux, comment se portent tes affaires? » Non, évidemment. Le système de commissions, avec tous les défauts qu’il peut avoir, oblige les professionnels à suivre leurs clients.

Si les commissions sont abolies au profit des honoraires, les petits épargnants risquent d’écoper. Imaginez ceux qui veulent acheter pour 2 000 $ de fonds communs pour leurs REER. Si je leur dis : « Ça va vous coûter 200 $ en honoraires », ils vont mourir d’une syncope!

Robert Viau : Oui, les consommateurs seront les plus grands perdants de la disparition des commissions. La plupart n’auront pas les moyens de faire affaire avec des conseillers indépendants qui leur facturent des honoraires. Ils vont aller à la banque et se faire servir par Pedro un jour, Joseph le lendemain, Marie le surlendemain, et ainsi de suite.

Marco Madon : Comme on s’est doté d’organismes d’autoréglementation, c’est normal qu’on s’interroge [sur la rémunération]. M. Larose vient de parler des fiches descriptives des fonds. Ces documents sont plus simples à lire qu’un prospectus. Je crois que c’est une bonne approche. Mais aident-ils réellement les clients? Non, car, pour la rémunération, on n’y indique que les commissions, avec les préjugés que cela suscite dans le public.

Dans ma pratique, je suis extrêmement transparent sur ma rémunération et les coûts pour les clients. Je leur remets un document qui détaille les frais d’entrée, de rachat, etc. Par exemple, s’ils choisissent l’option DSC [frais de rachat différés], je leur explique qu’il n’y a pas de frais d’entrée, mais qu’il y aura des frais de rachat échelonnés sur six ans. Chaque année, je leur dis combien d’unités de fonds ils peuvent retirer sans payer. Tout est mis par écrit. Les banques font-elles preuve d’autant de transparence? Je ne crois pas.

Flavio Vani : Laissez-moi donner une autre perspective au sujet des commissions. Selon moi, elles me sont versées par une entreprise pour que je cherche des clients et les convainque d’acheter un projet. Je cours des risques, là-dedans, parce que rien ne garantit que je vais dénicher des consommateurs intéressés. Pas de client, pas de commissions.

Au contraire, les honoraires sont payés par des clients qui recherchent des services. C’est très différent. Si les gens faisaient la queue pour acheter des fonds communs ou des polices d’assurance vie, je pense que je ne serais plus en affaires, car ils n’auraient pas besoin de moi! Mais comme je dois vendre les produits, c’est moi qui dois appeler les clients, leur signifier qu’il y a certains produits qui leurs sont nécessaires ou qui sont intéressants pour eux. C’est énormément de travail. Une fois que j’ai vendu un fonds à quelqu’un, rien ne dit que je vais en vendre encore, à lui ou à un autre. De plus, je dois fournir des conseils de façon continue. Or, certains clients m’appellent pour toutes sortes de raisons : l’achat d’une voiture, la souscription d’une hypothèque, etc. Et pourtant, je ne suis pas rémunéré pour ça!

Daniel Bissonnette : Comme le soulignait M. Madon, c’est vrai que le système de commission est pleinement divulgué. Les clients savent exactement combien ils paient et combien nous touchons. En outre, notre mode de rémunération est adapté à tous les types de consommateurs. Et c’est vrai également que les clients nous appellent pour régler des affaires de tous genres, et que les commissions ne couvrent pas ces services. Quant aux conflits d’intérêts, il faudrait se pencher sur ceux dans lesquels nage le système bancaire canadien qui refile aux consommateurs de façon indirecte ce qu’il ne peut pas leur passer directement.

Flavio Vani : Dans mon cas, c’est direct! J’ai un compte bancaire pour lequel je paie 20 $ par mois. En 2010, ma banque m’a envoyé une lettre me disant, comme ça : « Dorénavant, si vous voulez un relevé mensuel, ça vous coûtera 2,50 $. » En plus de mes 20 $ par mois. Ne se trouve-t-elle pas en conflit d’intérêts? Personne ne parle de ça!

Gaétan Veillette : À propos de transparence et de divulgation, admettons que vous allez au restaurant et que choisissez un plat à 12 $. Si la serveuse vous dit : « Par voie de prospectus, je dois vous divulguer le coût des ingrédients, vous décrire le mode de rétribution du cuisinier, sa contribution à son fonds de pension, etc. » Cela vous intéressera-t-il? Est-ce pertinent?

Vous dînez, êtes pressé, et avez choisi un plat avec service rapide. Vous ne voulez pas vous poser ces questions-là!

Si je rencontre un client et que j’ai deux heures à lui consacrer, qu’arrivera-t-il si je prends une demi-heure pour lui expliquer la conformité, lui dire que le produit financier X prévoit telle rémunération, alors qu’avec le Y, c’est différent, voici pourquoi? À un moment donné, il va me demander : « Bon, eh bien, quand analyserons-nous mon dossier? » Du service et des conseils, voilà ce que veulent les clients.

La conformité a un coût énorme pour tout le monde : conseillers, cabinets, institutions financières. En dernier ressort, ce sont les consommateurs qui paient pour ça.

Nos participants

  • Daniel Bissonnette, chef de la conformité, Services financiers Planifax.
  • Guy Duhaime*, président, Groupe Financier Multi Courtage.
  • Luc Larose, MBA et planificateur financier, Lafond Services financiers.
  • Jean-Benoît Laurin, directeur adjoint, Agence Labelle, SFL Placements.
  • Marco Madon, président, Services Financiers Marco Madon.
  • Michel Mailloux, propriétaire, Mayhews & associés.
  • Flavio Vani, président, Assurance et Produits Financiers Vani.
  • Gaétan Veillette, B.A.A., Fellow Administrateur agréé et planificateur financier, Groupe Investors.
  • Robert Viau, conseiller en épargne collective, InfoPrimes.
* Guy Duhaime a dû s’absenter à la dernière minute. Cependant, il nous a fait parvenir un texte qui répondait aux questions soumises aux participants. Ses interventions sont extraites de ce document.

Ronald McKenzie