Dur, dur d’être un boomer!

Par Sophie Stival | 6 mai 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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RIKA NAKAMURA / 123RF

Contrairement à ce qu’affirmaient les publicités des années 1990, les boomers n’ont plus les moyens de se payer une retraite dorée dans la cinquantaine. La crise de 2008 a troué le bas de laine de bon nombre d’entre eux. Le concept de retraite à 55 ans est devenu la retraite à 65 ans, quand ce n’est pas à 70 ans… À ce contexte difficile, s’ajoutent une espérance de vie qui s’allonge et des taux historiquement bas. Un casse-tête financier qui complique la tâche de bon nombre de conseillers.

Quelle portion de son portefeuille un boomer qui approche de la retraite doit-il détenir en actions? Quel pourcentage de son capital peut-il dépenser année après année sans risquer de l’épuiser? Il n’existe évidemment pas qu’une seule réponse à ces questions…

La clientèle d’Hélène Gagné est constituée en grande partie de baby-boomers. L’auteure de Votre retraite crie au secours (Éditions Transcontinental) est également gestionnaire associée chez PWL Capital. Elle est quotidiennement confrontée aux défis qui s’imposent à cette génération. De plus en plus de clients s’occupent d’un parent qui a aujourd’hui 88, 90 et parfois même 95 ans.

« Ces gens me disent : Hélène, puisque mes parents sont encore vivants, est-ce que mon portefeuille va me suffire, si je vis aussi longtemps? »

Le formateur et conseiller en gestion de risques Denis Preston, voit la retraite de bien des boomers comme une contrainte budgétaire à vie. « Avant, les parents avaient un souci de léguer un héritage à leurs enfants. De nos jours, la plupart n’ont pas assez d’épargne pour ça. Si on réussit à léguer une maison libre de toute hypothèque, c’est déjà beau », constate le planificateur financier et actionnaire de Bachand Lafleur Preston, groupe conseil inc.

« Chaque situation est différente », croit Nathalie Bachand également planificatrice financière chez Bachand Lafleur Preston, groupe conseil. « Tout le monde cherche la recette des sept épices du Colonel, mais il n’y a pas une bonne réponse », dit-elle à la blague. Par exemple, le fait d’avoir encore une hypothèque sur sa résidence à la retraite n’est pas nécessairement une si mauvaise chose. « Il est toutefois important d’en tenir compte dans l’analyse et les projections faites pour le client, afin d’avoir le vrai portrait d’ensemble », précise-t-elle.

Coauteure du livre Tomber à la retraite, une planification complète (Éditions Logiques), Mme Bachand rencontre plusieurs types d’épargnants à son bureau. Parmi eux, il y a ceux qui sont endettés ou qui ont moins d’épargne. Ils n’ont pas assez accumulé pour prendre leur retraite. « Dans ces cas-là, on ne fait pas de magie. Le boomer doit soit travailler plus longtemps, soit réduire ses dépenses », dit-elle. Hélène Gagné remarque que la génération des baby-boomers n’est pas prête à faire de compromis quand il s’agit de qualité de vie. Si elle n’est pas prête à réduire ses dépenses, elle n’a d’autre choix que de travailler plus longtemps avant la retraite.

Une retraite progressive

Beaucoup de gens ne souhaitent d’ailleurs pas s’arrêter du jour au lendemain de travailler. « Quand on se retrouve avec 2000 heures par année de temps libre à combler, on a tendance à négliger l’aspect psychologique de la chose », constate Nathalie Bachand.

Les boomers se sont énormément investis dans le travail, constate Hélène Gagné. Le contexte social du milieu de travail a également une grande importance pour cette génération. « Ceux qui ont pris une pleine retraite du jour au lendemain, alors qu’ils avaient encore beaucoup à donner, ont ressenti après un an ou deux un grand vide », dit-elle.

Les gens souhaitent vivre une transition vers la retraite, croit Mme Gagné. Le travail à temps partiel permet aux boomers de se bâtir graduellement un nouveau réseau social et de mieux appréhender cette nouvelle réalité qu’est la pleine retraite. Et du même coup, on s’assure d’avoir un coussin financier beaucoup plus solide.

Quelles catégories d’actifs choisir?

L’approche de la retraite nécessite une gestion de portefeuille plus prudente et qui ne néglige pas pour autant de protéger le capital contre l’inflation. Y a-t-il une catégorie d’actifs qui offre un meilleur rendement ajusté au risque pour les boomers? D’emblée, Hélène Gagné rappelle qu’on ne peut échapper à la relation risque-rendement. « Et d’une année à l’autre, on ne peut jamais deviner quelle catégorie d’actifs fera le mieux. La performance est aléatoire », explique-t-elle.

La durée de la retraite dépasse souvent 20 ans de nos jours. « On ne peut donc plus regarder les rendements historiques sur une période de dix ans », constate Mme Gagné. « Même d’une décennie à l’autre, on ne peut prévoir le rendement d’une seule catégorie d’actifs. Pensons aux actions américaines, par exemple, qui ont connu des rendements près de zéro sur un horizon de dix ans », illustre-t-elle. « On ne veut pas exposer l’investisseur à ce genre de risque. Si on choisit un nombre très limité de catégories d’actifs et qu’on fait le mauvais choix, c’est la valeur du portefeuille qui va s’en ressentir », dit la gestionnaire. La diversification : mère de la fiabilité

Selon Hélène Gagné, un portefeuille fiable doit nécessairement être bien diversifié. « Se limiter au Canada dans le choix de ses actifs serait une erreur », dit-elle. Même si la capitalisation boursière mondiale du Canada atteint aujourd’hui 5 %, ça demeure un marché très restreint puisque les trois quarts cette capitalisation sont limités au secteur des ressources et au secteur financier. Pour avoir un portefeuille mieux diversifié, l’investisseur doit aller voir du côté du marché américain, à l’international, ainsi que les marchés émergents, dit-elle. Cette dernière aime bien pondérer également le marché canadien, américain et international. Dans un portefeuille contenant 45 % en actions, on aurait 15 % d’investi dans chacun de ces marchés. La portion internationale contiendrait environ 3 % de titres des marchés émergents.

« Si je divise mon portefeuille entre les deux grandes catégories d’actifs, soit les titres à revenus et les titres de croissance, je souhaiterai avoir dans cette deuxième catégorie une diversification géographique. J’éviterai ensuite les risques qui ne rémunèreront pas l’investisseur correctement. Par exemple? Lorsqu’on concentre ses investissements dans un seul pays, un seul secteur ou un seul titre, il est prouvé que ce type d’approche rémunère généralement mal l’investisseur. »

Chez PWL, on privilégie une approche indicielle qui permet de combiner des catégories d’actifs afin de structurer la portion de croissance du portefeuille. « Puisque les gestionnaires surpassent rarement les indices, on préfère miser sur des risques qui sont les plus susceptibles de rémunérer l’investisseur, c’est-à-dire en donnant un biais valeur au portefeuille et en misant aussi sur des petites et moyennes capitalisations, », explique Mme Gagné. Pour y arriver, on achètera certains fonds négociés en Bourse (FNB) et certains fonds communs avec des structures indicielles bien spécifiques (Fonds DFA : Dimensional Fund Advisors).

Les contraintes de décaissement

La répartition d’actifs est également tributaire de la contrainte de décaissement des retraités. Chaque situation est unique. La proportion de titres à revenus dans le portefeuille sera donc intimement liée à cette variable.

Un taux de décaissement annuel sécuritaire, quand on a 65 ans, par exemple, serait de l’ordre de 4 à 5 % indexé, affirme Mme Gagné. Ce pourcentage est une règle qui s’est généralisée ces dernières années grâce aux différentes recherches dans le domaine.

Pour hausser le rendement moyen de la portion à revenus du portefeuille, la gestionnaire aime bien acheter des titres à revenus élevés tels que des fiducies, des sociétés à dividendes élevées ou un FNB indiciel à rendements élevés. Un retraité qui détient 60 % de titres à revenus pourrait en avoir jusqu’à 10 % dans son portefeuille. À ces titres, s’ajouteront des actions privilégiées, des obligations individuelles de qualité et parfois certains FNB obligataires afin d’obtenir une meilleure diversification. « Les gens qui craignent l’approche indicielle oublient de compléter l’équation suivante : la croissance provient de la gestion indicielle, mais on fait le contrepoids grâce à la portion à revenu fixe. C’est la combinaison des deux approches qui donne de la fiabilité au portefeuille », affirme Mme Gagné.

Les stratégies de décaissement

Plusieurs recherches menées par des universitaires dans le domaine du décaissement à la retraite soulignent l’importance d’apparier les besoins des retraités avec les sorties de fonds du portefeuille. Denis Preston lit les travaux de ces chercheurs. Il s’inspire notamment de William Sharpe et Moshe Milevsky lorsqu’il conseille ses clients boomers.

« Quelques années avant la retraite, les clients doivent cesser de penser uniquement en terme d’accumulation et de richesse. Il faut plutôt considérer les décaissements à venir et penser davantage en termes de flux monétaires », affirme-t-il.

Comme certains l’ont déjà dit, « il est préférable d’avoir 500 000 $ qui rapportent 5 % qu’un million qui rapporte 1 % », illustre M. Preston. Comment apparie-t-on des flux monétaires à la retraite? Simplement en établissant une roue obligataire ou une boîte (lockbox en anglais).

Par exemple, un boomer de 60 ans, qui prévoit prendre sa retraite dans cinq ans, établira dès aujourd’hui ses besoins à la retraite. Il achètera des placements à terme qui auront des échéances successives entre cinq et dix ans. En échelonnant des placements à revenus fixes de maturités différentes, on s’assure d’avoir les montants nécessaires pour vivre.

« La pensée américaine recommande d’apparier les besoins et les sorties de fonds des sept à dix années suivant la retraite. Ces premières années sont charnières au bon déroulement du reste de la retraite, disent les chercheurs. Pour la portion restante du portefeuille, on investira davantage dans des actions ou dans un fonds équilibré », explique Denis Preston.

Quand elle estime les revenus nécessaires aux décaissements de ses clients, Hélène Gagné tient aussi compte des différents flux monétaires qui sont générés par l’ensemble du portefeuille, incluant les retraits obligatoires dans le FERR. « C’est là où il est important d’arrimer la gestion du portefeuille avec la planification de retraite », note la gestionnaire.

Liquidités : trop ou pas assez?

Détenir trop de liquidités à l’aube de la retraite peut se révéler aussi dommageable que d’en manquer. Trop d’argent placé à très court terme dans des instruments qui ne rapportent presque rien compromettra l’atteinte des objectifs de retraite. Par contre, un portefeuille doit être assez liquide pour permettre les sorties de fonds nécessaires au moment de la retraite. La rente viagère traditionnelle jouera également ce rôle, puisque ce sont des flux monétaires garantie à vie pour le retraité.

Denis Preston aime également l’idée d’apparier des dépenses en dollars américains avec des actifs américains. « Ceci est particulièrement intéressant pour ceux qui passent quelques mois par année en Floride ou ailleurs », remarque-t-il. Quelqu’un qui passe quelques mois par an en France ou en Europe pourrait envisager le même genre de stratégie, mais en euros. « Il ne s’agit pas ici de spéculer sur les devises, mais d’apparier des flux monétaires », précise M. Preston.

Rente viagère traditionnelle

Pour les boomers qui souhaitent diminuer le risque de longévité, Denis Preston propose d’envisager l’achat d’une rente viagère traditionnelle. Le terme traditionnel a son importance, puisque trop de produits exotiques et coûteux ont gagné en popularité ces dernières années, sans toujours être à l’avantage des clients. C’est notamment le cas des fonds distincts avec garantie de retrait, précise M. Preston.

L’obligation de devoir décaisser du FERR des montants minimums qui augmentent avec les ans rend également l’achat d’une rente viagère classique intéressante, ajoute Mme Gagné. « Aujourd’hui, il faut faire une place à ce type de véhicule afin d’assurer au client un certain montant pour le reste de ses jours. Et la rente est le produit le plus approprié pour le faire », constate-t-elle. On peut donc transférer du REER ou du FERR un montant à l’abri de l’impôt dans une rente. On peut aussi le faire avec du capital non enregistré. Certaines sont indexées à l’inflation ou peuvent être transférées au conjoint survivant.

En somme, au cours de prochaines années, les boomers auront des choix déterminants à faire pour assurer leur retraite.

L’avis d’un expert américain : les boomers sont trop prudents

De nos jours, il n’y a pas de solution miracle et les investisseurs sont souvent trop prudents, explique à Conseiller le Dr Robert G. Ibbotson. Le professeur de finance à la prestigieuse Université Yale pense que les travailleurs n’épargnent pas suffisamment tôt et ne planifient pas assez leur retraite. Surtout, ils ne prennent pas assez de risques lorsqu’ils atteignent la trentaine et la quarantaine.

« On oublie qu’à 30 ans notre plus grand actif c’est notre capital humain », dit-il. En d’autres mots, c’est notre capacité à gagner des sous et un salaire important dans les années à venir. On entend aussi par capital humain l’ensemble de nos aptitudes, talents, expériences et qualifications qui font de nous des travailleurs capables de produire de la valeur ajoutée pour la société.

« Si on prenait davantage conscience de ça, on serait prêt à prendre plus de risques dans la phase d’accumulation. On investirait certainement bien plus que 50 % de notre portefeuille dans les actions », ajoute le professeur, également le fondateur de Zebra Capital, un fonds d’investissement qui fait de la gestion quantitative.

Bien sûr, lorsque le boomer approche de la retraite, il se doit d’être plus sage et prudent. « Mais ça ne veut pas dire de ne plus avoir d’actifs qui rapportent. Pour protéger un portefeuille contre l’inflation, ça prend des actions, renchérit-il. Les taux d’intérêt étant à des niveaux historiquement bas, on ne peut protéger ce risque en achetant des obligations pendant 30 ans. » Dr Ibbotson suggère également d’acheter des TIPS ou Treasury inflation-protected securities. Chez nous, on les appelle les obligations à rendement réel du gouvernement du Canada.

Les TIPS sont des obligations fédérales qui versent un coupon en fonction d’un principal indexé sur l’IPC américain ou, si vous préférez, sur le taux d’inflation. Le problème c’est qu’ils sont très chers ces TIPS. En octobre 2010, le Trésor américain a même émis des TIPS cinq ans à rendements réels négatifs…

Sortez du Canada

« La meilleure manière d’être prudent, c’est d’être bien diversifié », ajoute Dr Ibbotson. Et il entend par là, une diversification au sens large du terme. « Il faut diversifier les catégories d’actifs, les secteurs économiques, les lieux géographiques (sans protection de la devise, c’est encore mieux) », dit-il. Il est peut-être même souhaitable d’avoir une diversification dans les styles de gestion où l’on accorde une prépondérance à la valeur et à la petite capitalisation, suggère-t-il.

Sachant que le Canada représente 5 % de la capitalisation boursière mondiale, et que le marché boursier chez nous est très concentré dans le secteur des ressources et le secteur financier, un boomer ne devrait pas investir plus de 25 % de son portefeuille d’actions au Canada, croit Dr Ibbotson. « Les gens oublient de considérer le biais national ou «  home bias  » » , dit-il. C’est-à-dire qu’ils oublient que la majeure partie de leurs actifs sont investis et à la merci de la situation canadienne. Ceci inclut leur maison, leurs revenus de travail et souvent leur épargne.

Pour profiter d’une vraie diversification internationale, il faut investir en Europe, aux États-Unis, en Asie et dans les pays émergents. Si Dr Ibbotson était Canadien, il partagerait la portion restante de son portefeuille d’actions, soit 75 %, entre les États-Unis et le reste du monde.

En période de décaissement, les rentes sont aussi une solution que devraient envisager les boomers, conclut-il. « Bien sûr, les taux sont très bas et les rentes ne sont pas gratuites, mais en protégeant le risque de longévité on gagne une tranquillité d’esprit. »

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller.

Sophie Stival