Ce qui nous empêche de prendre action pour le climat

Par Sylvie Lemieux | 5 juin 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Tirelire en verre à l'intérieur de laquelle pousse un signe de dollar végétal.
pogonici / 123RF

Le climat est déréglé, et l’inaction n’est plus une option viable. Pourtant, même si la protection de l’environnement fait partie de leurs valeurs, certains tardent à intervenir. Qu’est-ce qui empêche les individus et les entreprises de prendre action pour contrer le réchauffement climatique ? Une partie de la réponse tient en deux mots : biais cognitifs.

Personne n’est à l’abri des biais cognitifs. Selon les recherches en neurosciences, il y aurait entre 200 et 300 de ces formes de pensée qui peuvent influencer nos décisions et notre jugement. Ils sont généralement le résultat de notre cerveau qui tente de simplifier les informations qu’il a à traiter. Il y a toutefois moyen de les déjouer.

Les reconnaître et les comprendre est la première étape pour les surmonter, selon Laurent Da Silva, cofondateur de Nada Conseils, une firme spécialisée en gestion des changements climatiques, de la diversité et de l’inclusion dans les organisations.

Lors du Sommet de la finance durable, il a animé une classe de maître pour aider les participants à mieux comprendre les comportements humains et les obstacles à la mise en place de stratégies plus durables dans les entreprises.

DÉJOUER LES PARADOXES HUMAINS

L’un des principaux paradoxes du comportement humain est que l’être humain n’agit pas toujours en fonction de ses valeurs ou de l’importance qu’il accorde à certaines choses comme sa santé ou l’environnement, ce qui lui fait choisir des actions néfastes.

« Il y a souvent des écarts entre les valeurs et les actions, explique Laurent Da Silva. Une étude a démontré que si 96 % des entreprises se sont fixé des cibles de réduction de gaz à effet de serre, seulement 11 % ont atteint leurs objectifs au cours des cinq dernières années. »

Parmi tous les biais cognitifs, il y en a trois qui empêchent plus spécifiquement l’action climatique, explique-t-il. Il est toutefois possible de les contrer.

Il y a l’actualisation hyperbolique, soit lorsque les gens accordent plus de poids aux récompenses immédiates qu’aux récompenses futures, même si ces dernières sont potentiellement plus grandes. Un phénomène que l’on voit aussi au sein des organisations qui ont moins d’attrait pour des actions avec des retombées à moyen et long terme.

« Une façon de déjouer ce biais est de démontrer les gains à court terme des actions à long terme. Quand on documente un projet, il y a toujours des possibilités de gains immédiats, c’est ce qu’il faut mettre de l’avant », affirme Laurent da Silva.

Un autre biais qui entre en jeu, c’est l’effet de spectateur, un phénomène social dans lequel les individus sont moins susceptibles de proposer une aide lorsqu’ils sont en présence d’autres personnes.

« Plus il y a de gens, plus on est susceptible de penser que quelqu’un d’autre va intervenir, dit Laurent Da Silva. En conséquence, on se sent moins personnellement responsable de faire quelque chose. Il y a aussi la peur d’être jugé si on entreprend une action et qu’on se trompe. C’est souvent un frein pour l’adoption de technologies vertes, entre autres. »

C’est un biais cognitif qui a été étudié pour la première fois après l’assassinat tragique de Kitty Genovese à New York en 1964, alors que de nombreux témoins ont observé l’attaque sans intervenir ou appeler à l’aide.

« Il y a moyen de responsabiliser les gens face aux enjeux climatiques en trouvant des référents qui sauront les toucher, soutient le consultant. Si par exemple la personne aime aller skier dans les Rocheuses, c’est de lui rappeler que les conditions ne sont plus les mêmes aujourd’hui. »

Il y a aussi le piège des coûts irrécupérables qui se produit lorsqu’une organisation continue un projet ou une action en raison des ressources (temps, argent, etc.) déjà engagés, même si les preuves montrent clairement que le projet est en train d’échouer ou n’est plus viable. De façon irrationnelle, les dirigeants se disent qu’abandonner serait gaspiller ces investissements, ce qui est souvent perçu comme plus douloureux que de continuer à investir malgré les perspectives négatives.

Un exemple concret de ce biais : l’échec financier du Concorde qui a été maintenu en service malgré les pertes astronomiques qu’il engendrait, illustre Laurent da Silva.

Pour aider les dirigeants à avoir le courage de reconnaître qu’ils ont eu tort et de prendre la décision qui s’impose, il faut aller au-delà des données concrètes et les questionner sur d’autres aspects du projet, comme sa pertinence, par exemple, suggère Laurent Da Silva.

LA TÊTE, LE CŒUR ET LES MAINS

Quels arguments faire valoir pour convaincre des changements climatiques et persuader un dirigeant à s’engager dans une démarche concrète ?

Il faut faire en sorte de toucher à la fois la tête, le cœur et les mains de son interlocuteur. C’est sur ces trois piliers qu’il faut bâtir sa stratégie.

Pour le côté rationnel, il existe beaucoup de données scientifiques. Même si elles sont éloquentes, les statistiques ne disent pas tout et ne sont pas toujours inspirantes.  De savoir qu’entre 1880 et 2022, la hausse des températures a été de 1,15 degré Celsius à l’échelle de la planète et de 2 degrés Celsius au Canada n’incite pas forcément à l’action.

« Cela reste théorique pour plusieurs personnes. On ne sait pas forcément ce qu’on doit faire ou ne pas faire pour améliorer la situation. Il vaut mieux raconter une histoire, développer un narratif qui rejoint les gens dans leur vécu », dit-il.

Les toucher en plein cœur, c’est le chemin à prendre pour le passage à l’action. Et cela peut commencer par de petites modifications dans ses façons de faire, ses politiques ou ses procédés qui peuvent faire une grosse différence.

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Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.