Chéri, j’ai donné aux enfants! Ou comment le faire judicieusement

31 août 2012 | Dernière mise à jour le 31 août 2012
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Charité bien ordonnée…

« Puis-je leur en donner de mon vivant? » Voilà une question qu’un notaire se fait poser régulièrement. Une fois parvenus à l’âge de la retraite, de plus en plus de parents envisagent donner de leur vivant une somme d’argent importante à leurs enfants. Ils constatent bien qu’à 30 ans ou 40 ans, leurs descendants ont à assumer de lourdes responsabilités financières. Il s’agit sans doute du moment idéal pour leur venir en aide. Cependant, plusieurs considérations entrent en ligne de compte lorsqu’ils décident de le faire, que ce soit en vue de les aider à démarrer dans la vie ou encore à poursuivre leur route plus aisément.

Il n’est pas rare, en triant les papiers du défunt dans le cadre d’une liquidation de succession, que le l’on mette la main sur des documents visant ses proches, tels que des billets à demande, des reconnaissances de dettes, des annotations de paiements partiels ou des reçus de dons sans aucune autre mention. Ces écrits présentent souvent des difficultés d’interprétation quant à la véritable intention du parent. Très souvent, aucun remboursement n’aura suivi ces transferts de biens ou de sommes d’argent, qualifiés de « dons » par les héritiers avantagés, et « d’avance d’héritage » par les autres intéressés de la succession, comme les frères et les sœurs.

Une aide importante envisagée par le parent devrait impérativement être précédée d’une projection de retraite confirmant que ce geste ne fragilise pas son indépendance financière. Les actuaires le confirment, l’espérance de vie aussi bien que le coût de la vie croissent sans cesse. Ce sont là des éléments primordiaux à considérer dans l’évaluation de l’aide proposée et de la forme qu’elle prendra.

Il est à noter que ce même facteur de longévité incitera souvent les parents à devancer l’aide à leurs enfants pour que ceux-ci en profitent au moment où ils en ont le plus besoin. Il arrive de plus en plus fréquemment que les enfants rejoignent leurs parents dans cette période de retraite qui pour chacun, nous disent les statistiques, peut se prolonger considérablement dans le temps.

Si l’exercice démontre que le parent peut être généreux sans hypothéquer sa retraite, il déterminera alors le mode de transmission qui lui convient, généralement le don ou le prêt. Il est important de se rappeler les incidences légales et fiscales rattachées à chacun de ces modes.

Sophie Ducharme

Le don

Retenons que le don n’est pas imposable en lui-même. Ainsi, le don d’une somme de 75 000 $ à un enfant ne s’accompagne d’aucun impôt additionnel entre les mains du parent donateur ou de l’enfant. Cependant, toute disposition de biens rendue nécessaire en vue d’effectuer le don, telle la vente de valeurs mobilières, pourra occasionner un gain en capital imposable entre les mains du parent donateur. Le don en nature, tel un chalet, donnera lui aussi lieu à une disposition réelle imposable, le cas échéant. Signalons qu’en présence de biens agricoles, des règles particulières permettent de reporter les impôts qui seraient autrement payables l’année du don.

Le don constitue un dessaisissement irrévocable, sauf dans de très rares cas. Par conséquent, retenons que le bien donné fait dorénavant partie du patrimoine de l’enfant qui devra s’imposer sur les revenus générés par le bien et pourra en disposer comme bon lui semble, de son vivant ou encore a son décès par testament.

« Donner et retenir ne vaut », dit l’adage. Il sera donc, dans certains cas, approprié de donner à plus petite dose et de façon progressive dans le temps.

S’il s’agit d’un don important, il peut également être avantageux de le formaliser au moyen d’un acte notarié, en vue de protéger le bénéficiaire, et ce, à bien des égards. Par exemple, la clause d’insaisissabilité insérée dans l’acte de donation, suivie de sa publication au registre des droits personnels, aura pour effet de soustraire ce bien des mains de ses créanciers éventuels. L’acte notarié assurera également une protection accrue pour l’enfant advenant une réclamation de son conjoint à la suite du partage du patrimoine familial ou du régime matrimonial, en établissant d’une façon irréfutable la provenance du bien, la date du transfert et son exclusion des biens conjugaux, tant en capital qu’en revenus, tel que prévu et permis par la loi. Bref, l’acte notarié officialisera clairement aux yeux de tous, la volonté claire et nette du parent de procéder à un tel don.

En ce qui concerne le parent entrepreneur désireux d’assurer sa relève au sein de sa famille, attention de ne pas confondre gel successoral et don. En effet, le transfert par le parent de la croissance future de son entreprise au moyen de l’émission de nouvelles actions à une valeur nominale au profit de ses enfants, par exemple, ne constitue pas une donation mais bien un mode de financement accordé à l’enfant qui prend la relève de l’entreprise. D’ailleurs, il sera prudent d’inclure le parent parmi les bénéficiaires éventuels de ces nouvelles actions… en cas de besoin financier éventuel de ce dernier.

Le prêt

Pour plus d’un parent, le prêt présente un attrait majeur par rapport à la donation puisque celui-ci conserve alors le droit, comme tout autre créancier, d’en réclamer le remboursement suivant les modalités prévues à l’acte. Par exemple, dans le cas d’un prêt à demande, comme son nom l’indique, le parent prêteur se retrouvant dans le besoin pourra en réclamer le remboursement partiel ou complet. De façon à s’assurer de l’éventuel remboursement, il sera parfois prudent d’assortir le prêt de garanties en cas d’insolvabilité éventuelle de l’enfant. La renonciation à réclamer le paiement des intérêts ou le remboursement du capital pourra constituer un don échelonné dans le temps, adapté à la situation de l’enfant, financière ou matrimoniale, ainsi qu’aux circonstances, et ce, sans incidence fiscale.

Un prêt sur billet se prescrit après le délai de trois ans à partir de la date du dernier paiement de capital ou d’intérêt. Il y aura donc lieu de le renouveler en temps opportun pour en maintenir la validité lorsqu’aucun remboursement n’est effectué et éviter bien des accrocs possibles entre les enfants, au moment du décès du parent créancier demeuré impayé.

Si l’un des principaux motifs à l’origine du prêt consenti par le parent consiste à réduire ses impôts sur le revenu généré, excluant le gain en capital et le revenu d’entreprise, le revenu généré par le prêt sera attribué au parent. Dan un tel cas, il est recommandé d’exiger de l’enfant un intérêt égal au taux prescrit. Tout rendement sera alors imposable entre les mains de l’enfant, réalisant de ce fait le fractionnement de revenu souhaité.

Enfin, le prêt hypothécaire sans aucun intérêt, consenti par le parent à son enfant en vue de l’achat d’une résidence, demeure une formule souvent retenue puisqu’elle offre l’avantage de la sécurité, et ce, sans incidence fiscale.

Le REEE

En présence de petits-enfants, un don ou un prêt pourra être fait à l’enfant en vue de souscrire à un régime enregistré d’épargne-étude au profit de ses propres enfants et ainsi bénéficier des subventions gouvernementales. Le don en vue d’aider l’enfant à contribuer à son propre régime enregistré d’épargne-retraite (REER) est également possible

Enfin, tel que mentionné plus haut, il y aura lieu de clarifier certains aspects dans son testament, en vue d’éviter les malentendus. La donation a-t-elle été consentie en avance sur la part d’héritage destinée au donataire et devra-t-on l’inclure dans la succession, aux fins de calcul des parts des héritiers de façon à rétablir l’équité entre eux ? Le prêt fera-t-il l’objet, tant pour les intérêts que pour le capital, d’une remise de dettes dans le testament au profit de l’emprunteur au moyen d’un legs particulier ?

Retenons enfin qu’il est difficile en cette matière d’établir des règles précises puisque plusieurs éléments ne sont pas strictement financiers, mais plutôt de nature personnelle et familiale. Rappelons qu’à tous égards, il est toujours préférable de formaliser et de bien documenter toutes ces transactions.

Sophie Ducharme, notaire, Pl. Fin., Vice-présidente, Fiducie et service conseil Gestion Privée 1859, Banque Nationale du Canada

Cet article est tiré de l’édition de juin du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.