Familles recomposées : solide testament requis !

Par Julien Busque | 26 mai 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le tien, le mien, le nôtre, ça vous dit quelque chose? Le tien, c’est Simon, 12 ans, le fils de Catherine. Le mien, c’est Antoine, 28 ans, le fils de François, et le nôtre, c’est Samuel, 4 ans, le fils de Catherine et François. Ces derniers vivent en union de fait depuis maintenant six ans et François, qui souffre d’une maladie incurable, aimerait bien, par son testament, protéger tout son monde. Il détient des placements non enregistrés, des REER, un CELI, une compagnie de gestion et il est le seul propriétaire de la résidence familiale. Il est également détenteur d’une police d’assurance vie dont Catherine est la bénéficiaire. Il reçoit aussi depuis peu une rente de retraite d’un ancien employeur.

Le cas de François n’est pas un cas isolé et présente bon nombre d’éléments pouvant avoir des conséquences très importantes sur sa planification successorale. Sans en faire une analyse détaillée, examinons quelques suggestions qui pourraient être proposées à François et ainsi éviter bien des tensions parmi les futurs héritiers.

JONGLER AVEC LES CHIFFRES 

Dans un premier temps, il importe de déterminer, avec François, quel est le pourcentage de la valeur de sa succession qu’il souhaite, d’une part, transférer à sa conjointe, et d’autre part, à ses enfants, Antoine et Samuel. Il faudra aussi que François décide s’il souhaite protéger d’une façon quelconque le fils de sa conjointe, Simon, car ce dernier ne bénéficie, d’un point de vue successoral, d’aucune protection en vertu de la loi. Aussi, compte tenu des différences dans la situation qui les unit à leur père, Antoine et Samuel pourront se voir traiter par ce dernier de façon tout à fait distincte. Une fois ces premières réflexions complétées, il sera par la suite plus facile de déterminer quels actifs il sera préférable d’attribuer à l’un des héritiers plutôt qu’à un autre. Dans une telle décision, il faudra tenir compte, notamment, des conséquences fiscales engendrées par le transfert de tels actifs en faveur de tel ou tel héritier.

Le cas de la résidence principale mérite qu’on s’y attarde particulièrement. Il faudra évidemment tenir compte de la valeur de cette propriété, et surtout, de la portion que cette valeur représente par rapport à l’ensemble du patrimoine successoral. C’est sans doute ce qui permettra à François de décider s’il en fera un transfert en pleine propriété à sa conjointe, choisissant alors de léguer à ses enfants d’autres actifs. Si la valeur de la résidence constitue une part très importante du patrimoine successoral, François pourrait décider de la transmettre à son fils Antoine tout en accordant à Catherine un droit d’habitation pendant une certaine période. Il devra alors tenir compte du temps qu’il sera nécessaire à Catherine pour retrouver son autonomie et du fait que Samuel est encore en bas âge. Si l’on retient cette solution, il y aura lieu de préciser au testament qui, pendant la durée du droit d’habitation, sera responsable du paiement des dépenses liées à la résidence, et de s’assurer que les personnes impliquées auront la capacité financière d’assumer ces frais.

Dans l’hypothèse où François souhaite remettre une certaine valeur monétaire à Catherine, il pourrait être décidé d’effectuer le transfert de son CELI et de ses REER en faveur de celle-ci. Il y aura lieu aussi de vérifier si Catherine sera, suivant les lois qui régissent ces régimes, bénéficiaire d’une rente de la Régie des rentes du Québec ainsi que d’une portion de la rente de retraite provenant du fonds de pension de François. Cela nous permettra de tenir compte de la valeur de ces droits dans l’établissement des sommes et du pourcentage global des actifs que l’on souhaite transférer à Catherine.

UNE FIDUCIE TESTAMENTAIRE?

Si François souhaite avantager, dès son décès, ses fils Antoine et Samuel, il pourrait le faire au moyen des sommes détenues dans ses placements non enregistrés ainsi qu’au moyen de sa prestation d’assurance vie . Dans le cas de Samuel, l’utilisation de la fiducie testamentaire sera sans aucun doute l’option à retenir, compte tenu de son jeune âge et pour éviter l’application des règles relatives à la tutelle. Une réflexion pourra aussi être menée par rapport à l’utilisation de la fiducie testamentaire dans le cas d’Antoine. En effet, bien que ce dernier ait déjà 28 ans, et bien que les règles fiscales relatives aux fiducies testamentaires risquent d’être moins attrayantes à l’avenir qu’elles ne le sont actuellement , d’autres éléments, tels sa situation matrimoniale et familiale, sa maturité financière, ou d’autres problèmes de comportement (jeu, alcool, drogue) pourraient justifier l’utilisation d’une fiducie testamentaire pour assurer la protection d’Antoine et des actifs qui lui seront transmis.

En ce qui concerne la compagnie de gestion, un legs en faveur d’une fiducie créée pour le bénéfice exclusif de Catherine pourrait être considéré. L’utilisation d’une telle fiducie permettrait d’octroyer à Catherine la totalité des revenus sa vie durant, et aussi de prévoir que les fiduciaires lui remettent une partie du capital pour répondre à des besoins particuliers. Au décès de Catherine, ce qui reste des biens conservés en fiducie pourra être remis aux personnes préalablement désignées par François et non aux héritiers de Catherine, permettant ainsi une protection du patrimoine de François. Dans la mise en place d’une telle structure, il s’avère important d’évaluer les revenus qui seront générés par la fiducie et de mesurer s’ils seront suffisants pour satisfaire les besoins de Catherine. Il est aussi possible d’envisager que Catherine ait droit à un montant de revenu minimum annuel, indexé au fil des ans, revenu minimum auquel elle aura droit sans avoir à discuter avec les fiduciaires, et ce, même si, pour assurer la remise d’un tel montant, il devait y avoir un empiétement sur le capital de la fiducie. La présence d’une telle clause peut souvent éviter bien des conflits entre le conjoint survivant, les fiduciaires, les bénéficiaires éventuels du capital et les administrateurs de la compagnie.

Un autre élément à considérer est l’âge du conjoint survivant par rapport à celui des enfants. Il arrive en effet parfois que le nouveau conjoint ait à peu près le même âge que les enfants nés d’une première union. Dans une telle situation, l’utilisation de la fiducie en faveur du conjoint nous paraît moins appropriée, car il y a de fortes chances que l’enfant bénéficiaire éventuel du capital décède avant le conjoint survivant, ne profitant ainsi jamais de l’héritage qu’aura voulu lui laisser son parent.

Dans le cadre de sa planification globale, François pourra également garder en tête que la protection accordée à Catherine permettra d’assurer la sécurité financière de Samuel, voire même celle de Simon, par rapport à celle d’Antoine, ce dernier n’étant pas le fils de Catherine. Il pourra donc décider d’en remettre davantage à Antoine dès son décès plutôt que de reporter une partie de l’héritage de ce dernier au décès de Catherine.

En terminant, nous aimerions souligner qu’au-delà de tous les mécanismes juridiques qu’il est possible d’utiliser, nous sommes d’avis qu’il faut aussi s’arrêter au côté pratique de l’après-décès. À cet effet, il nous paraît souhaitable, lorsque la situation financière du défunt et la nature des actifs impliqués le permettent, de séparer les biens entre les héritiers. Chaque fois que le testateur utilisera un même bien en y accordant des droits différents à diverses personnes, il pourra obliger l’une d’entre elles à rendre des comptes à une autre quant à l’utilisation faite de cet actif, forçant ainsi le maintien d’une relation financière entre les parties concernées, et ce, des années durant. Une bonne réflexion, en compagnie de professionnels compétents, permet de prendre en considération tous les éléments exposés et d’obtenir les résultats désirés.

Comme le mentionne l’écrivaine française Marie Darrieussecq : « Dans une famille on a beau avoir vécu les mêmes choses, on n’a pas les mêmes souvenirs. » Bien planifier sa succession, c’est sûrement faire en sorte de laisser à chacun de ceux qu’on aime les plus beaux souvenirs!


Me Julien Busque, notaire, Pl. Fin., est conseiller principal, Fiducie et service conseil, Banque Nationale – Gestion Privée 1859.

Ce texte est paru dans l’édition de mai 2014 de Conseiller.

Julien Busque