Jasette avec Louis Morisset

28 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 28 septembre 2015
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Yves Bonneau, rédacteur en chef de Conseiller, s’est longuement entretenu avec le patron de l’Autorité des marchés financiers, Louis Morisset, en mai dernier. MRCC 2, Norbourg, fonds d’indemnisation, relations avec la CSF… tous les sujets qui vous préoccupent ont été abordés lors de cette grande entrevue.

Conseiller : Dix ans après le scandale Norbourg, quelles leçons ont été tirées par l’AMF ?

Louis Morisset : À l’origine de l’Autorité, il y avait à peu près 47 personnes qui œuvraient dans nos équipes d’enquêtes. Aujourd’hui, il y en a 161, dont 80 professionnels qui agissent comme inspecteurs ou enquêteurs, et on a 28 procureurs. Donc, en 10 ans, on a plus que triplé nos ressources dans les domaines de l’inspection, de l’enquête, de la poursuite. Et est-ce que ça, c’est une leçon tirée de Norbourg ? Peut-être, en partie.

Une chose est sûre, c’est que l’Autorité a investi pour solidifier ses équipes, pour ajouter de l’expertise et pour évidemment être en meilleure posture pour voir les enjeux qui pourraient survenir. Autre exemple : on a créé une équipe de cybersurveillance en 2010.Ce sont des gens qui parcourent le web, pour essayer de détecter des activités frauduleuses.

C : Avez-vous déjà, depuis l’instauration de cette équipe, fait des prises dans vos filets ?

LM : Absolument ! Nos activités de cybersurveillance nous ont permis d’identifier des gens qui, sur le web, sollicitaient illégalement des investisseurs, tentaient de placer illégalement des valeurs mobilières. On a pu intervenir, interdire des opérations de certains sites web ou certains individus qui agissaient illégalement. Dans certains de ces dossiers-là, au-delà des interdictions, on a porté des accusations.

C : Avant l’affaire Norbourg, les représentants avaient une confiance aveugle en leur courtier ou les manufacturiers de produits, ce qui n’est plus le cas. Est-ce qu’il existe des mécanismes simples pour le conseiller afin de savoir si un manufacturier est en règle avec l’AMF ?

LM : Je pense qu’il en va des représentants eux-mêmes de s’assurer que les produits qu’ils promeuvent passent le cap de la divulgation réglementaire requise. Quant aux produits eux-mêmes, ce n’est pas parce qu’un d’eux fait l’objet d’un prospectus qu’il n’est pas indûment complexe.

Lorsqu’on parle de la valeur du conseil, du rôle du représentant, c’est un rôle dans lequel les représentants ont un travail à faire : ils ne peuvent pas vendre un produit qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes. Et ça, dans la dernière décennie, à l’aube de la crise financière qu’on a vécue, on a vu ça au Québec et ailleurs dans le monde, les produits financiers étaient complexes, même très complexes, avant la crise, mais il y en a moins depuis.

Personnellement, je pars de la prémisse que les produits financiers mis sur le marché le sont toujours, au départ, à bon escient, pour un but précis et qu’au fil du temps, ceux-ci peuvent devenir toxiques et ne plus convenir aux investisseurs auxquels on s’adressait au départ.

Si tu n’es pas capable d’expliquer le produit financier à ta mère ou à ton beau-frère de manière compréhensible, c’est le signe que tu ne sauras pas l’expliquer à un client.

C : Après l’affaire Norbourg, il y a eu une augmentation substantielle des cotisations au Fonds d’indemnisation pour les conseillers. Ils ne l’ont pas encore digéré. Est-ce que le Fonds d’indemnisation est là pour rester ? Et d’ailleurs, pourquoi n’y a-t-il pas de conseillers au conseil d’administration du Fonds ?

LM : D’une part, est-ce que le Fonds d’indemnisation est là pour rester ? Je vous dirais que oui. Nous avons étudié la question au cours des dernières années, nous avons proposé des orientations et je présume que dans le cadre de la révision de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), le gouvernement considérera, à tout le moins, ces orientations, qui assureraient la continuité du Fonds, avec des modalités quelque peu différentes. Donc, pour moi, le Fonds d’indemnisation aura toujours sa raison d’être.

Deuxièmement, je pense que dans le cadre du processus de révision de la LDPSF, les conseillers qui cotisent au Fonds auront certainement l’opportunité de faire valoir leur perspective.

C : Trouvez-vous ça normal que ce soit les conseillers qui cotisent le plus au Fonds ? Pourquoi ce ne serait pas, par exemple, les consommateurs, de la même manière qu’ils participent au fonds de l’assurance automobile ?

LM : Il y a un régime qui existe au Québec, qui a été longuement réfléchi, un régime qui reflète même la création de l’Autorité des marchés financiers. J’étais probablement en culottes courtes quand ce régime-là a été élaboré. Il est clair qu’avec les évènements qu’on a connus il y a sept, huit, neuf ans, ce fonds-là a dû être utilisé. Mais honnêtement, je ne m’exprimerai pas sur le bien-fondé ou la pertinence du fait que les conseillers cotisent. C’est peut-être une manière de les conscientiser à leurs obligations et au lien de confiance qui doit les unir à leurs clients. Moi, personnellement, ça ne me choque pas. Considérant les liens qu’entretiennent les Québécois avec leurs finances et l’importance du rôle du conseiller, à mes yeux, il n’est pas déraisonnable, au contraire, qu’ils cotisent. Ce sont assurément les premiers qui vont souhaiter que ce fonds-là ne soit jamais utilisé.

C : Les conseillers disent que dans le processus d’indemnisation, le conseiller a toujours le mauvais rôle, même s’il cotise au Fonds, alors que l’Autorité a un beau rôle, puisque c’est elle qui vole au secours des consommateurs lésés. Comment voyez-vous les choses ?

LM : Moi, écoutez, je ne le vois pas comme ça. Quand on se doit d’indemniser, on le fait, mais c’est parce qu’il y a eu une fraude quelque part dans le système. C’est une réalité. Que ce fonds-là ne soit jamais utilisé me rendrait nettement plus heureux. Et on a une responsabilité d’administrer ce fonds, d’évaluer les dossiers de manière rigoureuse. La plupart du temps, on se doit de dire non, parce que justement, dans les règles actuelles du Fonds, le représentant est inscrit, mais n’a pas vendu le produit financier en fonction de son certificat. Il a vendu un produit financier autre. Et malgré le fait qu’il soit inscrit, on est obligé de refuser la demande d’indemnisation. Donc, je vous dirais que le beau rôle de l’AMF ressort assez peu dans la réalité du Fonds d’indemnisation de l’Autorité.

On ne rentre pas chez Desjardins de la même manière que l’on entre chez un petit joueur indépendant.

C: Pourquoi, dans l’application des règles et des normes, les conseillers ont l’impression que l’AMF semble favoriser les grandes institutions au détriment des simples intermédiaires ?

LM : Ce n’est clairement pas mon sentiment et ma perception, que l’on favorise qui que ce soit. Je ne suis pas d’accord avec ça. La réglementation qui est développée à l’échelle canadienne est applicable à l’ensemble des institutions, des participants, peu importe leur taille.

Je comprends qu’il y a souvent une perception, du côté des plus petits joueurs sur le marché, que le fardeau réglementaire est plus lourd. On est conscients de ça. On réfléchit toujours à savoir s’il y a des ajustements qui peuvent être faits et souvent, c’est de la modulation qu’on va faire dans l’application de la réglementation. Quand on débarque dans une grande institution ou chez un indépendant, on adapte notre lorgnette à la réalité des deux institutions. On ne rentre pas chez Desjardins de la même manière que l’on entre chez un petit joueur indépendant.

J’estime que nos équipes savent adapter leurs interventions en fonction de la réalité des joueurs. Mais je peux très bien concevoir qu’au cours des 10 dernières années, le fardeau réglementaire au Canada, au Québec, à travers le monde, s’est accru. Et quand il y a une crise financière de l’ampleur de celle qu’on a connue, les scandales qu’on a vécus à travers le monde aussi, depuis les années 2000, c’est certain que le fardeau réglementaire s’accroît.

C : Pourtant, dans les nouvelles règles du MRCC 2, les conseillers indépendants semblent davantage visés par les règles de divulgation que les institutions de dépôt…

LM : Encore une fois, ce n’est pas mon interprétation, parce que lorsqu’on regarde le MRCC 2 et que l’on prend les deux principales obligations qui vont être en œuvre à partir de l’été 2016, comme, justement, le rapport annuel sur les frais ou le relevé annuel sur le rendement, ce sont des obligations qui s’appliquent au courtier et non au représentant individuel.

Donc, que ce soit chez Desjardins, à la Banque Nationale ou dans une institution indépendante, si tu travailles à la Banque Nationale, tu es rattaché, comme représentant, au courtier en épargne collective de l’institution. Les obligations de préparer et d’envoyer ces rapports annuels incombent au courtier en épargne collective.

J’ai de la misère à voir ou à comprendre la perception ou la préoccupation, parce qu’encore une fois, ce n’est pas une obligation qui incombe au représentant individuel, mais c’est une obligation qui incombe au courtier. Nous ne croyons pas qu’il est justifié de s’attarder de façon spécifique à la question des frais ou du représentant lui-même.

Maintenant, si dans l’évolution du MRCC 2 nous voyons dans le cadre de nos travaux d’inspection qu’il y a des tendances qui se développent, s’il y a des pratiques qui s’installent pour tenter de camoufler des éléments de rémunération ou de frais – encore une fois, je ne vois pas d’emblée comment ça peut se faire, étant donné que l’obligation incombe au courtier et non au représentant individuel – on va être à l’affût de ces situations-là et on verra si on doit intervenir et comment le faire si c’est le cas.

C : Donc, si des conseillers se rendent compte que certaines situations sont problématiques, ils pourraient communiquer avec vous ?

LM : Actuellement, on parle d’obligations qui ne sont pas encore en vigueur. Je comprends que c’est un peu une révolution, le modèle de relation client-conseiller, une révolution qui est importante, attendue et au bénéfice de l’investisseur, du consommateur. Mais on va voir ce qui se développe. Des gens qui nous font part, qui me font part, de leurs préoccupations, on les prend toujours au sérieux.

Moi, je suis à la tête d’une organisation qui est ouverte à son marché, qui sollicite des rencontres. Je crois que l’Autorité a un rôle fondamental dans l’écosystème financier au Québec, on est capable d’être un vecteur qui contribue au développement du secteur financier. On a une mission qui est difficile, on doit protéger le consommateur et on doit aussi favoriser le bon développement des marchés.

Mais on ne fera jamais l’unanimité. Lorsqu’on a rendu publiques nos orientations en matière d’offres d’assurances par Internet, ça a plu à une sphère et déplu à l’autre. Dans tous les cas, on ne devrait pas nous reprocher d’être fermés au dialogue et de ne pas vouloir entendre les points de vue.

C : Vous considérez donc tout le reste de l’industrie, qui n’est pas dans le domaine de la réglementation, comme des partenaires ?

LM : On ne reste pas dans notre tour d’ivoire à développer notre réglementation. Il faut que l’industrie comprenne qu’il y a des principes d’encadrement qui se sont développés à l’échelle internationale. L’Autorité se doit de les mettre en œuvre. Le consensus international, pour sortir de la crise financière, a fait que plusieurs de ces principes ont été retravaillés. Il y a des sphères du marché qui n’étaient pas réglementées, je pense aux produits dérivés hors-cote; personne dans le monde ne réglementait ces produits et ça a été un des conduits qui a mené à des désastres dans les dernières années.

Quand le Fonds monétaire international débarque, il nous évalue sur notre conformité aux principes d’encadrement internationaux, sur notre capacité à les mettre en œuvre. N’oublions pas que si l’Autorité a une bonne évaluation, indirectement, ça se reflète positivement sur notre industrie.

Je ne cherche pas à gagner un concours de popularité, mais je cherche certainement à positionner notre institution comme étant un interlocuteur crédible, influent, ouvert et qui cherche à assumer pleinement son rôle au Québec.

C: Comment décririez-vous vos relations avec la Chambre de la sécurité financière ?

LM : Nos relations sont positives. À mon sens, elles l’ont toujours été. Je suis sensible au fait qu’il y avait peut-être certains éléments que Luc Labelle [NDLR : l’ex-président de la CSF] amenait sur la place publique, parfois, où on pouvait dénoter des enjeux entre l’AMF et la CSF.

Par contre, depuis que je suis en poste, je n’ai aucun enjeu avec la Chambre. On a un rôle à jouer, tous les deux, puis ultimement, notre mission commune, c’est de protéger le consommateur. Moi, je ne suis pas du genre à alimenter des chicanes de clôture. J’ai un travail à faire, j’ai des pouvoirs dans la Loi sur les valeurs mobilières qui m’incombent et si j’ai à utiliser ces pouvoirs-là, je vais les utiliser, dans l’intérêt des consommateurs. Et ultimement, je pense qu’on peut très bien travailler en tandem avec la CSF. Justement, ma relation avec Marie Élaine Farley est très cordiale et positive. De mon côté, il n’y a jamais eu d’enjeu et il n’y en aura jamais.

C : Pourtant, il y a parfois certains chevauchements lors des enquêtes menées par la Chambre d’un côté et l’Autorité de l’autre, non ?

LM : Premièrement, je ne pense pas qu’il y a un chevauchement réel. Les actions que prennent l’Autorité, que ce soit d’aller en blocage parce qu’on pense qu’il y a des enjeux où il faut préserver des actifs dans l’intérêt des consommateurs, des investisseurs, c’est ça que je dois faire, que ça plaise ou non. Mais il y a moyen de travailler en tandem et moi, je n’estime pas, en vertu de la loi, que je ne fais pas ce que j’ai à faire. Et ce qui doit primer à travers tout ça, encore une fois, c’est l’intérêt du public, la protection des investisseurs.

C : Est-ce que l’AMF envisage de mener une consultation concernant les titres des conseillers, afin que le consommateur puisse s’y retrouver ?

LM : C’est quelque chose qu’on continue d’observer. Est-ce que c’est une priorité, au moment où on se parle ? La réponse est non. Comme régulateur, on peut intervenir, on doit intervenir parfois, mais je pense que l’industrie doit se prendre en main, se doit elle-même, des fois, de proposer des solutions et que des fois, entre deux maux, on choisit le moindre. Je pense qu’on a besoin d’une industrie qui, elle-même, met le doigt sur ses propres bobos et propose des solutions.

C : L’industrie des fonds communs de placement a fait le ménage; les concours de vente, les formations dans les pays tropicaux, il n’y en a plus. Par contre, dans l’assurance, il y en a toujours. L’AMF a mené des consultations sur ce sujet, il y a sept, huit ans, mais ça a été tabletté. Est-ce que vous comptez agir dans ce dossier, ou vous préférez attendre que l’industrie se police elle-même ?

LM : Bien candidement, j’ignorais la consultation faite il y a sept, huit ans, ce n’est pas quelque chose que j’ai regardé de près depuis que je suis en poste et au moment où on se parle, ce n’est pas une chose sur laquelle on planche activement.

Il faut présumer aussi de la bonne foi des intervenants. Ce que vous me décrivez là, on peut d’entrée de jeu se dire que c’est épouvantable. Dans la mesure où il y a une problématique qui se développe, qui existe, il faudra éventuellement s’y attarder, mais encore une fois, je présume de la bonne foi des intervenants.

L’encadrement réglementaire qui vise l’industrie des fonds communs de placement et l’industrie de l’assurance sont distincts, et c’est assurément un élément pour lequel j’ai des préoccupations et je souhaite, au cours des prochaines années ou prochains mois, qu’on aille au bout de ces questions-là. En tant que régulateur intégré, on est capable de regarder ces environnements d’encadrement des deux côtés, ce qui n’est pas le cas en Ontario ou dans d’autres provinces.

C : Donc, ça vous donne une position privilégiée de ce point de vue-là ?

LM : Ça nous donne une position privilégiée et c’est un des éléments du plan stratégique du CCRRA, le Conseil canadien des responsables en réglementation d’assurances, dont s’occupe Patrick Déry. C’est quelque chose qu’on veut regarder au plan national. Moi, au Québec, c’est sûr que j’ai les deux mains dedans, je suis capable de voir et de pousser la réflexion sur les deux fronts. Le MRCC 2, par exemple, va amener des différences entre la distribution des fonds distincts et des fonds communs.

Ce sont des choses pour lesquelles on devra aller au bout de la réflexion, parce que je pense que ce sont des produits d’investissement qui ont des similarités. Il faut comprendre les deux produits, la façon dont ils sont distribués, les enjeux, aussi, relativement aux manufacturiers, les réalités de ces deux industries-là, et il faut arriver à des conclusions. Oui, il y a des différences, qui mériteront de continuer à exister et je suis déterminé à répondre à ces questions-là dans les prochaines années.

C : Pensez-vous que l’AMF est aujourd’hui mieux connue des consommateurs ?

LM : Oui, on fait des sondages annuels, concernant la perception du grand public notamment ou la perception de nos assujettis. C’est toujours difficile parce qu’en général, nos assujettis nous apprécient moins, surtout si on les poursuit !

En 2009, notre taux d’estime du public était assez faible, de l’ordre de 30-35 %, selon mes souvenirs. En 2014, nous étions à plus de 60 %. Donc, on a une notoriété qui a considérablement augmenté au cours des dernières années. Et pourquoi ? À mon avis, parce que l’Autorité pose des gestes qui sont remarqués. Pour arriver à éveiller la population, on a mis des efforts importants sur l’éducation. Et je pense que cela a porté ses fruits.

Il faut dire que le mandat qu’on nous a confié sur les contrats publics a aussi accru le taux de notoriété de l’Autorité. On nous a peut-être davantage vus sous cet angle-là. Pour moi, c’est un mandat bien assimilé, mais c’est à l’écart de notre rôle premier. Donc, oui, on a agi de manière à consolider notre position dans la population québécoise.