Léguer le chalet familial (2e partie)

Par Michelle Munro | 3 août 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le mois dernier, dans cette rubrique, nous avons présenté les principaux enjeux liés au transfert intergénérationnel d’un chalet (voir hyperlien à la fin de cette chronique). En conclusion, il était recommandé aux conseillers d’attirer l’attention de leurs clients sur quatre mesures à prendre :

  • estimer le gain en capital;
  • déterminer la méthode de transmission la plus avantageuse sur le plan fiscal;
  • léguer aux héritiers le montant nécessaire pour payer les impôts exigibles;
  • établir un plan de succession.

Cette fois-ci, nous nous pencherons sur quatre études de cas illustrant diverses situations et les stratégies pertinentes correspondantes. Chacune de ces stratégies peut diminuer les coûts et les impacts émotifs de la succession.

La famille dont il est question possède une vaste propriété, sur une île, depuis la fin du 19e siècle. À une certaine époque, cette propriété a été subdivisée en quatre terrains et un chalet modeste a été bâti sur chaque terrain. Les propriétaires actuels des chalets sont deux frères et deux sœurs ayant tous des enfants qui ont déjà fondé leur propre famille. Il n’est pas possible de subdiviser les terrains en parcelles plus petites. De plus, les propriétaires actuels souhaitent que l’ensemble de la propriété reste dans la famille.

Ils désirent toutefois transférer leur bien à leurs enfants, au moins en partie. Nous présentons ci-dessous leurs situations respectives et les stratégies qui pourraient leur convenir.

1- ALBERT

LES FAITS – Albert a trois enfants qui passent beaucoup de temps au chalet depuis quelques années. Leur mère, l’épouse d’Albert, est décédée il y a six ans. Bien qu’il soit l’aîné de sa famille, Albert est un artiste dont le train de vie est relativement modeste. Il a été le dernier à se marier et ses enfants sont dans la jeune vingtaine. Tous souhaitent vivement posséder un jour une part du chalet et ont entrepris une carrière prometteuse. Néanmoins, aucun ne possède actuellement les ressources nécessaires pour faire face aux impôts sur le gain en capital substantiels qui deviendraient exigibles si leur père leur léguait le chalet.

LA STRATÉGIE – Souscrire une assurance vie pour financer la charge fiscale et les frais d’homologation que déclencherait le décès d’Albert. Ni Albert ni ses enfants n’étant en mesure de payer les impôts qu’un legs déclencherait, ils pourraient souscrire une assurance sur la vie d’Albert. Au moment du décès d’Albert, le fisc considérera qu’il a disposé du chalet et exigera que sa succession paie les impôts correspondant au gain en capital réalisé. Grâce à l’assurance vie souscrite, ses enfants pourront utiliser le capital assuré qui leur sera versé en franchise d’impôt pour payer la majeure partie ou la totalité des coûts de règlement de la succession (impôts et frais d’homologation). Naturellement, Albert doit préciser dans son testament que ses enfants hériteront du chalet.

Notez qu’il est difficile, sinon impossible, de prévoir le montant exact du gain en capital qui sera réalisé au moment du décès d’Albert. Si le capital assuré est insuffisant, les enfants devront puiser dans leurs propres ressources pour payer les impôts. À l’inverse, si le capital assuré est trop élevé, ils pourront conserver une certaine somme – en plus d’hériter du chalet. Ce deuxième scénario peut sembler préférable; il obligerait toutefois Albert à payer des primes plus élevées que nécessaire.

Comme les enfants hériteront ultimement du chalet, ils pourraient absorber les primes d’assurance. Ainsi, tant que leur père vivra, ils pourraient continuer à profiter de leurs séjours sur l’île tout en faisant périodiquement des paiements raisonnables qui leur garantiraient une part de la propriété du chalet, le moment venu.

2- CAROLE

LES FAITS – Carole et son mari ont trois enfants adultes bien nantis qui ont tous de jeunes enfants. Outre Carole et son mari, seul leur plus jeune fils vit assez près du chalet pour s’y rendre en voiture. Les deux autres se sont établis au Texas et à Hong Kong pour y poursuivre leur carrière.

Aucun des enfants de Carole n’a renoncé à posséder un jour une portion du chalet. De fait, tous y sont très attachés, surtout ceux qui vivent à l’étranger. L’un d’eux se plait même à répéter que le chalet est vraiment ce qu’il appelle « son petit coin de rêve au pays ». Après s’être concertés, les enfants ont proposé à Carole d’acheter le chalet à parts égales, à « prix d’amis ». Carole étant moins intéressée qu’autrefois à passer ses étés à la campagne, préférerait donner tout de suite le chalet à ses enfants afin de leur éviter de payer plus tard des charges fiscales et des frais d’homologation substantiels.

LA STRATÉGIE – Donner le chalet aux enfants afin d’éviter le double paiement d’impôts. Pourvu que Carole dispose de ressources suffisantes pour régler les impôts sur le gain en capital résultant du transfert du bien aux enfants, elle aurait intérêt à utiliser la formule du don plutôt que celle de la vente à rabais. En effet, qu’elle vende le chalet à sa juste valeur marchande, qu’elle le vende à rabais ou qu’elle en fasse don, Carole paiera le même montant d’impôts, car dans tous les cas, le fisc considérera la cession comme une vente à la juste valeur marchande. Pour les enfants, cependant, les charges fiscales ultimes peuvent varier grandement selon la méthode de transmission choisie. Si les enfants achetaient le chalet à sa juste valeur marchande, le gain en capital réalisé lors d’une future cession serait la différence entre la juste valeur marchande initiale et la juste valeur marchande au moment du transfert futur. Si Carole faisait don du chalet aux enfants, le gain en capital réputé réalisé lors d’une future transmission serait le même, bien que la cession initiale se soit faite sans contrepartie financière. Néanmoins, si les enfants achetaient le chalet à rabais, le gain en capital réalisé lors d’une future transmission serait la différence entre le prix payé initialement et la juste valeur marchande au moment du transfert futur. En optant pour un achat à rabais, les enfants se condamneraient à payer une facture d’impôts plus élevée quand ils transféreraient à leur tour le chalet à la prochaine génération.

Ces règles fiscales peuvent sembler injustes mais il importe de les comprendre pour en éviter les pièges.

Cette stratégie est particulièrement attrayante en cette période de faiblesse des marchés immobiliers. Elle évite aussi les frais d’homologation, le bien étant transmis avant le décès.

Si Carole opte pour cette stratégie, il faudra que les enfants préparent avec soin, à l’avance, une entente de copropriété. Cette entente devra tenir compte du fait que deux d’entre eux seront rarement disponibles pour profiter du chalet et pour veiller à son entretien. Elle devra prévoir la répartition des frais d’entretien annuels, des impôts fonciers et des dépenses en immobilisation, ainsi que les principes qui encadreront les futurs transferts de propriété.

3- ROBERT

LES FAITS – Robert et son épouse sont des professeurs d’université à la retraite. L’an dernier, ils ont vendu leur résidence principale et emménagé dans leur chalet, où ils passent les mois d’été. Pendant la saison froide, ils louent un condo en Floride. Leurs enfants sont inégalement attachés à la maison secondaire où ils ont passé la plupart de leurs vacances scolaires. De fait, seul l’aîné manifeste vraiment de l’intérêt pour le chalet et y séjourne fréquemment.

LA STRATÉGIE – Désigner le chalet « résidence principale » et le conserver aussi longtemps que possible. Dans ce cas-ci, les parents ont intérêt à faire du chalet leur « résidence principale » et à n’en transférer la propriété que le plus tard possible. Aux fins de l’impôt, la cession n’a pas lieu tant que le chalet n’est ni vendu ni transmis. Quand le chalet sera cédé aux enfants (ou à l’aîné seulement), aucun impôt ne sera exigible sur la portion du gain en capital réalisée pendant que le chalet servait de résidence principale. L’exemption pour résidence principale est un avantage fiscal vraiment intéressant dont Robert a intérêt à tirer parti. De plus, même si un seul de ses enfants souhaite présentement hériter du chalet, il se peut que les autres changent d’idée plus tard.

4- MARIE

LES FAITS – Marie, son époux et leurs trois enfants adultes, qui sont tous mariés et ont tous des enfants, s’entendent très bien et passent beaucoup de temps au chalet. Les couples, y compris les parents, partagent également les frais d’utilisation et d’entretien ainsi que les impôts fonciers. Ils réussissent presque toujours à se répartir l’utilisation du chalet sans que cela ne cause de friction. Compte tenu de ces relations exceptionnellement harmonieuses, les parents cherchent simplement la meilleure façon de léguer leur précieux patrimoine aux générations futures tout en minimisant l’impact fiscal.

LA STRATÉGIE – Créer un organisme sans but lucratif – Pour effectuer le transfert intergénérationnel d’un chalet familial, il peut être fiscalement avantageux d’en céder la propriété à un OSBL. En vertu de cette stratégie, le transfert sera réputé avoir eu lieu au moment de la cession initiale; il faut donc prévoir les fonds nécessaires au règlement des coûts inhérents à cette transaction. Néanmoins, une fois la propriété transférée à l’OSBL, les générations futures pourront profiter du chalet sans payer d’impôts sur les gains en capital ni de frais d’homologation tant que l’organisme existera. Les propriétaires deviendront des membres tenus de verser des cotisations. Quand ils transféreront la propriété à de nouveaux membres, il n’y aura aucun héritage imposable.

Un organisme sans but lucratif doit se doter d’un conseil d’administration qui établit ses règlements touchant les critères d’adhésion, les cotisations, l’entretien et d’autres aspects. L’Agence du revenu du Canada exige qu’un OSBL soumette chaque année une déclaration fiscale (exempte de bénéfice) et assure le respect de ses règlements – à défaut de quoi son statut lui sera retiré.

Cette stratégie est probablement la plus complexe de celles dont nous avons parlé dans cette rubrique. Elle exige qu’on ait recours à un conseiller spécialisé pour encadrer les démarches à entreprendre. Elle peut toutefois s’avérer hautement efficace quand les caractéristiques de la famille et les circonstances justifient sa mise en place.

CONCLUSION Les exemples ci-dessus n’approfondissent pas les multiples détails qui doivent être pris en considération lors de l’élaboration d’un plan de succession d’une maison secondaire. Pour élaborer un tel plan, il est indispensable de faire appel à un spécialiste. Il est également essentiel que les membres de la famille se réunissent pour discuter ouvertement et honnêtement de leurs intentions immédiates et futures, relativement au chalet familial. En attirant l’attention de vos clients sur ces dimensions importantes, vous les aiderez à transmettre efficacement à leurs descendants un élément important du patrimoine familial.

Michelle Munro est directrice principale, Planification fiscale, auprès de Fidelity Investments Canada. Pour lui écrire : michelle.munro@fmr.com

(Bien que l’information présentée dans cet article ait pour but de faire ressortir divers enjeux relatifs à la planification fiscale, il s’agit d’une information de nature générale. Le lecteur ne doit pas considérer cette information comme une source de conseils fiscaux ni s’appuyer sur cette information pour prendre des décisions d’ordre fiscal. Le lecteur devrait consulter ses propres conseillers, avocats et fiscalistes afin d’obtenir des opinions professionnelles avant d’employer toute stratégie spécifique en matière de fiscalité ou de placement.)

Michelle Munro