Les femmes et la retraite : un défi de taille

Par Sophie Stival | 28 juin 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les femmes tiennent les cordons de la bourse quand il s’agit du budget familial. Vrai ou simple cliché? Quelle est la réalité financière des femmes seules, des mères monoparentales, des conjointes et des veuves en 2011? Bien qu’ayant chacune sa propre histoire, elles partagent des préoccupations communes. Conseiller vous propose un tour d’horizon de ce qui est disponible au Québec en matière de finances personnelles et familiales pour les femmes. Ce portrait ne se veut pas « scientifique », mais illustre plutôt les besoins particuliers de votre clientèle féminine.

« Les femmes sont moins bien préparées que les hommes à la retraite », reconnaît d’emblée la présidente de l’Institut québécois de la planification financière et de l’organisme Question Retraite, Jocelyne Houle-LeSarge. Et cette réalité apparaît sous différentes formes.

Tout d’abord, les femmes ne touchent généralement pas le même salaire que les hommes, constate Mme Houle-LeSarge. Sans nécessairement gagner moins que leurs collègues masculins, même si c’est parfois le cas, les femmes occupent plus souvent des emplois précaires. « Elles sont nombreuses à travailler dans le commerce au détail, des emplois qui sont moins bien rémunérés et qui offrent un accès limité à un régime de retraite de l’employeur », dit-elle.

Les femmes doivent apprendre à se tricoter elles-mêmes un bas de laine pour la retraite. Une chose bien difficile, semble-t-il. « Lorsque les femmes ont un peu d’argent, peut-être qu’elles se préoccupent davantage des besoins des enfants et des autres membres de la famille plutôt que de leurs propres besoins », avance Mme Houle-LeSarge.

Les femmes connaissent également pendant leur carrière plusieurs temps d’arrêt, la naissance des enfants ou la nécessité de s’occuper d’un parent vieillissant par exemple. Ce faisant, elles opteront pour la solution qu’elles estiment la meilleure, soit un horaire de travail allégé ou le temps partiel. Leur avenir financier se trouve alors souvent hypothéqué.

À ce portrait pessimiste, il faut ajouter une espérance de vie qui s’allonge. Selon les plus récentes données actuarielles de la Régie des rentes du Québec (RRQ), les femmes qui ont aujourd’hui 65 ans devraient vivre jusqu’à 86,6 ans, soit 3,1 années de plus que les hommes. « C’est plus de 20 ans de vie active après la retraite pour ces femmes. Les recherches nous disent que les années en perte d’autonomie seront aussi plus longues », note Mme Houle-LeSarge. Ce qui signifie des coûts liés à des soins de santé prolongés plus élevés pour les femmes.

Ce que disent les sondages Ces préoccupations trouvent également des échos dans les sondages. Selon l’Indice canadien de report de la retraite 2011, publié par la Financière Sun Life, près d’une Québécoise sur deux (45 %) croit qu’elle travaillera au-delà de 65 ans. Ces dernières ne tiennent pas non plus pour acquis les prestations de retraite gouvernementales. Les femmes s’inquiètent davantage que les hommes de l’évolution de l’inflation et des prix des denrées alimentaires, démontre aussi cette étude.

Dans le domaine de la planification de retraite, le niveau de connaissances des femmes semble également moins élevé que chez les hommes. Le sondage Question Retraite 2009 révèle que près de deux Québécoises sur trois ont l’impression d’avoir « peu » ou « pas du tout de compétence » pour planifier elles-mêmes leurs finances en vue de la retraite. À l’opposé, plus de la moitié des hommes interrogés disent avoir « toute la compétence » ou « en bonne partie la compétence » nécessaire pour le faire.

Des rentes inférieures La retraite rend plus anxieuses les femmes que les hommes, avec raison. Les dernières données du RRQ sont explicites. En moyenne, les femmes reçoivent une rente équivalant à 52 % de la rente maximale. Pour les hommes, la moyenne correspond à 72 % de la rente maximale, soit un revenu près de 40 % plus élevé.

De plus, les femmes cotisent moins d’années au RRQ. En 2010, elles totalisent en moyenne sept années de moins que les hommes, soit 26,9 années de cotisation contre 34,3. Il faut aussi noter que le régime de retraite provincial permet aux femmes qui s’occupent d’un enfant âgé de zéro à sept ans d’exclure du calcul de la rente à la retraite ces années où leur revenu est plus faible.

Lorsqu’on examine les différentes sources de revenus à la retraite des aînés, le revenu de retraite des femmes est en moyenne inférieur à celui des hommes, à l’exception des prestations de Sécurité de la vieillesse. C’est le revenu des régimes privés de revenu d’emploi des hommes et des femmes qui affiche l’écart le plus important, soit 14 400 $ pour les hommes et 9 200 $ pour les femmes.

Des consultations budgétaires populaires À Option consommateurs, les plus récentes statistiques démontrent que 64 % des personnes qui demandent une consultation budgétaire sont des femmes. Ces dernières semblent donc accorder une grande importance à la recherche de solutions pour équilibrer le budget familial et déterminer quoi prioriser, affirme Lisanne Blanchette, conseillère budgétaire et avocate à Option consommateurs.

Les femmes connaissent souvent mieux les dépenses courantes du ménage que leur conjoint, confirme Me Blanchette. « Lorsque je donne des sessions de formation dans des centres de femmes, je remarque qu’elles sont parfaitement au courant des dépenses familiales telles que l’épicerie, les vêtements ou autre. Je ne sais pas si ce sont elles qui portent le pantalon, mais elles connaissent bien les problèmes liés au budget familial et elles s’impliquent beaucoup. Personnellement, je crois que la prévision budgétaire est une force chez elles », dit Me Blanchette.

Pourquoi demande-t-on une consultation budgétaire? En plus de vouloir équilibrer le budget, l’on cherche à déterminer le montant qu’il est possible d’épargner. Certaines personnes ont reçu un héritage, d’autres ont obtenu une augmentation salariale. Ces rencontres ne sont donc pas toujours liées à un endettement excessif. Par contre, lorsque l’endettement est en cause, une fois sur quatre il s’agit de crédit à la consommation. Les associations coopératives d’économie familiale (les fameuses ACEF) et l’organisme Option consommateurs (autrefois, l’ACEF-Centre) sont des témoins privilégiés de ce que vivent les femmes. Leurs conseillers et conseillères budgétaires travaillent sur le terrain pour éduquer les gens afin qu’ils prennent des décisions éclairées quant aux questions financières. L’endettement et la planification budgétaire sont souvent à l’ordre du jour.

Les trois conseillères budgétaires d’Option consommateurs sont également avocates. Elles font de la littératie financière et informent leurs clients sur les recours possibles, notamment en matière de droit de la consommation. « Depuis la crise financière de 2008, notre clientèle a changé, remarque Lisanne Blanchette. Nous avons beaucoup plus de travailleurs autonomes, de propriétaires de maisons mais également des universitaires. Quand on est travailleur autonome, on n’a pas droit au chômage. Plusieurs de ces personnes ont eu besoin d’aide. Puisque leurs revenus sont instables, certains ont tendance à utiliser leur carte de crédit comme fonds de roulement. Quand le dossier de crédit est bon, on conseille à ces travailleurs de négocier une marge de crédit avec leur banquier », explique-t-elle.

Les préoccupations financières des femmes monoparentales et des femmes retraitées sont liées à des revenus insuffisants. Par exemple? Des retards dans les paiements de factures mensuelles. Des cartes de crédit dont la limite a été atteinte. Une baisse de revenus au moment de la retraite. Des difficultés à se trouver un travail après un congé de maternité. Souvent, ces femmes vivent de l’aide sociale, combinée à des allocations familiales. La pauvreté est également plus grande chez les personnes vivant seules, remarque Me Blanchette. Parce que les dépenses ne sont pas partagées, leur vulnérabilité financière est plus grande. Quant aux universitaires, ils consultent surtout pour des dettes étudiantes. Ces derniers sont souvent des travailleurs autonomes qui ont des revenus instables.

Une planificatrice financière témoigne Josée Jeffrey est planificatrice financière et fiscaliste. Les préoccupations financières des femmes, elle les connaît. « J’ai moi-même fait face à une séparation dans la vingtaine. J’ai dû alors subvenir aux besoins de mes trois enfants seule. Ça n’a pas toujours été facile. Lorsque je rencontre une mère monoparentale dans mon bureau, j’ai plusieurs bons conseils à lui donner. Je connais également les contraintes que vivent les travailleurs autonomes, comme la difficulté de mettre des sous de côté pour la retraite », raconte-t-elle.

Avec la création du régime d’assurance parentale, il y a beaucoup de femmes qui ont décidé de rester à la maison pour s’occuper des enfants durant un an, parfois plus, remarque Mme Jeffrey.

Malgré tout, les femmes sont de plus en plus responsables de leurs finances. Elles s’intéressent et s’informent beaucoup plus au niveau des placements. « Mais il reste tout de même beaucoup d’éducation financière à faire », affirme-t-elle.

Sur le plan légal, par exemple, la méconnaissance est encore grande. « Des femmes qui sont en couple hors des liens du mariage depuis une vingtaine d’années et qui se retrouvent dans la rue au décès du conjoint, j’en connais », dit Mme Jeffrey. « Ces histoires d’horreur, j’en parle à mes clientes. Si elles ont un nouveau conjoint, je leur parle de convention de vie commune », ajoute-t-elle.

« Les femmes sont généreuses et paient souvent plus de choses aux autres que leur conjoint », constate Mme Jeffrey. Il faut que, dans le couple, chacun puisse mettre de côté un montant pour l’épargne-retraite. Lorsqu’un couple n’a pas le même revenu et que le partage des dépenses se fait en parts égales, Josée Jeffrey n’hésite pas à proposer un partage proportionnel et plus équilibré de ces frais. D’ailleurs, elle exige que les deux personnes soient présentes lors des rencontres lorsqu’il s’agit de planification de retraite pour un couple.

« Le planificateur financier a un rôle de sensibilisation à jouer auprès des femmes, affirme la présidente de l’IQPF. Dans un couple, par exemple, le conseiller devrait proposer que les deux conjoints assistent aux rencontres et qu’ils participent ensemble à la prise de décisions financières », dit-elle. Sinon, certaines femmes pourraient avoir de bien mauvaises surprises plus tard. « Des conjointes qui apprennent au décès de leur partenaire que la résidence est hypothéquée et qui découvrent des comptes de banque et des dettes, j’en ai rencontrées plusieurs. C’est bien triste », dit Mme Houle-LeSarge.

Investir en soi Question Retraite souhaite sensibiliser les Québécoises et les Québécois, principalement les 25-45 ans, à l’importance de commencer à planifier leur retraite le plus tôt possible, notamment en se dotant d’un plan adéquat. « Nos sondages nous démontrent que les femmes de ce groupe d’âge sont plus sensibilisées à l’importance d’épargner pour la retraite. Par contre, elles ignorent souvent combien de sous ça leur prendra et comment elles y parviendront », mentionne Mme Houle-LeSarge.

Selon le sondage 2010 de TD Waterhouse sur les femmes et les investissements, seulement 30 % des répondantes âgées de 45 à 64 ans avaient un plan financier, et ce, malgré le fait que 69 % d’entre elles administrent leurs finances. Lors de la semaine de la planification financière l’automne dernier, l’IQPF a tenu une journée porte ouverte au Complexe Desjardins où un très grand nombre de femmes sont venues s’asseoir pour jaser avec des conseillers. « Les femmes s’intéressent à leurs finances personnelles et elles posent de plus en plus de questions sur la retraite », se réjouit Mme Houle-Lesarge.

Si les scandales financiers ont sensibilisé les femmes aux questions financières, elles demeurent encore à l’étape de la prise de conscience, croit Mme Houle-LeSarge. « Elles doivent penser plus à elles et investir en elles », ajoute-t-elle. Par exemple? Pourquoi ne pourraient-elles pas se faire un chèque à la fin du mois et le déposer dans un compte destiné à l’épargne pour la retraite? Quand il reste des sous, trop souvent elles les dépenseront pour gâter les enfants, tout comme sont gâtés les petits voisins. « Mais on oublie que notre voisinage est peut-être lui aussi lourdement endetté », constate Mme Houle-LeSarge.

Acheter prudemment et s’informer « Par ailleurs, les femmes qui ont plus de moyens et qui ont épargné tôt sont souvent plus prudentes dans leurs décisions financières », note Jocelyne Houle-LeSarge. Elles ont aussi tendance à acheter des titres pour le long terme alors que les hommes vont vendre et acheter plus souvent. Ces derniers paient donc plus de frais de transactions que les femmes. Les deux groupes obtiennent toutefois de rendements semblables, indiquent les recherches.

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Les femmes comprennent aussi bien les produits financiers que les hommes, croit Mme Houle-LeSarge. Les produits complexes sont mal compris de tous les investisseurs, ajoute-t-elle. Par contre, les femmes feront plus de recherche sur internet et elles demanderont l’avis à plusieurs personnes. Mais une fois leur décision prise, elles l’assument. Avant la venue du GPS, les Québécois se chicanaient souvent lors de déplacements en voiture, raconte Mme Houle-LeSarge. « Lorsqu’un couple se perdait en auto, l’homme n’était habituellement pas enclin à demander son chemin. C’était souvent sa conjointe qui exigeait d’arrêter à une station-essence pour avoir de l’aide et des indications précises », illustre-t-elle.

Éduquer financièrement les femmes L’IQPF se soucie beaucoup de la littératie financière. « Nous avons récemment établi un partenariat de cinq ans avec les Jeunes Entreprises du Québec. Leurs conseillers bénévoles vont en classe parler de finance avec les jeunes filles et garçons. Nous les encouragerons en leur offrant toutes nos levées de fonds », explique sa présidente, Mme Houle-LeSarge. L’organisation existe depuis 1962 au Québec et rejoint chaque année près de 7 000 étudiants.

Le Y des femmes de Montréal offrira cet été pour les femmes de 55 ans et plus une formation financière de deux jours à ses bureaux. Ce programme cible plus spécifiquement les femmes immigrantes seules qui ont un faible revenu. « Il s’agit d’un partenariat avec l’Initiative nationale pour les soins des personnes âgées (NICE) et l’Université de Toronto. Le tout est financé par l’organisme fédéral Condition féminine Canada », explique Diana Pizzuti du Comité de gestion du Y des femmes. On y discutera de planification financière, de retraite, de fraude, d’opérations bancaires, etc. Le contenu de cette formation, qui est aussi offerte à Vancouver et à Toronto, sera adapté en français et pour les besoins du Québec. Les critères d’admission seront également assouplis si les inscriptions sont peu nombreuses.

En avril dernier, le Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance (FESG) de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a octroyé un appui financier de plus de 750 000 $ pour la réalisation de projets d’éducation et de recherche universitaire en matière financière au Québec. Parmi eux, on retrouve deux projets qui visent plus particulièrement les femmes. L’organisme The University Women’s League of Montreal établira 15 études de cas portant notamment sur les femmes de 45 ans et plus. On souhaite développer leur jugement critique, leur capacité à résoudre des problèmes ainsi que les prémunir contre la fraude.

Enfin, un appui financier a également été accordé au projet Money Dollars Make Cents (Sense), un projet de littératie financière conçu pour la clientèle du Jamaican Canadian Women’s League of Montreal principalement composée de personnes de minorités visibles (jeunes, aînés et jeunes mères-chef de famille).

Les femmes tiennent-elles les cordons de leur bourse? De plus en plus, semble-t-il. Leur indépendance financière repose sur les interventions de l’ensemble de notre société, y compris celles des conseillers. Êtes-vous prêts?

Cet article est tiré de l’édition de juin du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Consultez notre dossier Les femmes : une clientèle distincte?

Sophie Stival