Emprunts et déductibilité des intérêts : attention!

Par Karine Précourt | 20 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Weerapat Wattanapichayakul / 123RF

Un contribuable qui déduit des frais d’intérêts sur emprunt en contrepartie de revenus gagnés doit s’assurer que ces frais ne sont pas associés à du remboursement de capital (RDC) utilisé à des fins personnelles.

Lorsqu’ils traitent de déductibilité des intérêts, les tribunaux canadiens ainsi que l’Agence du revenu du ­Canada (ARC) définissent le terme « revenu » de façon générale, à savoir toute somme qui entre dans le calcul du revenu imposable du contribuable1. Il n’inclut pas le RDC, qui est non imposable2.

En vertu de l’alinéa 20(1)c) de la ­Loi de l’impôt sur le revenu (LIR)3, les intérêts payés sur un emprunt pour tirer un revenu d’un bien sont déductibles du revenu du contribuable. Tel qu’indiqué au même alinéa de la ­LIR et repris dans l’affaire ­Shell ­Canada ­Ltée c. Canada, une des conditions à respecter est que l’argent emprunté « doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien »4.

En vertu de cette même condition, un lien direct doit exister entre les fonds empruntés et leur utilisation actuelle pour tirer un revenu à partir du bien5 (critère de l’utilisation directe).

Un contribuable qui contracterait un emprunt pour investir dans un fonds constitué en société de série T par un compte non enregistré et qui recevrait du ­RDC utilisé à des fins personnelles ne pourrait déduire les dépenses d’intérêts afférentes.

Tel que l’a conclu la cour dans le récent jugement ­Van ­Steenis c. La ­Reine6, lorsque les montants de ­RDC versés à l’investisseur ne sont pas réinjectés dans les fonds ou utilisés pour rembourser le principal de l’emprunt, les intérêts payés sur la portion de l’emprunt attribuable au ­RDC ne sont pas déductibles de ses revenus. Le critère de l’utilisation directe des fonds doit être respecté.

Une solution

L’ARC a reconnu que la restructuration des emprunts peut permettre au contribuable de respecter le critère de l’utilisation directe7.

Au ­Québec, les frais d’intérêts déductibles sont limités aux revenus de placement imposables réalisés par le contribuable au cours de l’année. Advenant que le montant des intérêts payés sur l’emprunt au cours de l’année soit supérieur aux revenus de placement imposables, l’excédent pourra être reporté aux trois années d’imposition antérieures ou à n’importe laquelle des années ultérieures.

Un exemple

Madame est propriétaire d’une résidence principale dont le solde de l’hypothèque s’élève à 150 000 $. Depuis plusieurs années, elle investit dans des fonds constitués en société à partir d’un compte non enregistré.

Elle reçoit un héritage de 250 000 $. Elle compte investir ce montant dans des fonds constitués en société à partir de son compte non enregistré.

Madame envisage de prendre sa retraite dans quelques années. À ce ­moment-là, elle souhaiterait bénéficier de montants de ­RDC provenant des fonds constitués en société pour financer sa retraite.

Quelle stratégie ­peut-elle mettre en place pour minimiser son impôt à payer ?

  • ­Rembourser l’hypothèque à partir de l’héritage reçu.
  • ­Obtenir un nouvel emprunt pour acquérir des actions de fonds constitués en société par son compte non enregistré.
  • À la retraite, opter pour des fonds constitués en société de série T selon ses besoins financiers et les modalités du produit.

Avant de mettre en place cette stratégie, les intérêts payés sur l’hypothèque n’étaient pas déductibles de ses revenus. Rembourser l’hypothèque et emprunter pour investir dans des fonds constitués en société distribuant des dividendes canadiens et des dividendes sur les gains en capital8 lui permettront de les déduire.

Au moment de sa retraite, si madame optait pour la série T, elle recevrait du ­RDC. Cependant, si ce dernier était utilisé à des fins personnelles, les intérêts payés sur l’emprunt et liés au ­RDC ne seraient pas déductibles de ses revenus.

Karine Précourt, LL.M. Fisc., MBA, est directrice, Planification fiscale et successorale, à ­Placements Mackenzie.

1 Agence du revenu du Canada (ARC), Folio S3-F6-C1 « Déductibilité des intérêts » par. 1.27; Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, 2001 CSC 62, par. 61. 2 Le RDC n’est pas imposable dans l’année du versement, mais réduit le prix de base rajusté (PBR) des actions. Lorsque ce dernier atteint zéro, les distributions additionnelles de RDC sont imposables à titre de gains en capital, puis le PBR est ramené à zéro. Cf. par. 40(3), al. 53(1)a) et (2)a) LIR. 3 LRC 1985 (5e suppl.) telle que modifiée. À moins d’indication contraire, toute référence à une disposition de la LIR dans le présent texte renvoie également à la disposition correspondante de la Loi sur les impôts du Québec (LI), RLRQ, c I-3 telle que modifiée. 4 [1999] 3 RCS 622, 1999 CanLII 647 (CSC), par. 28. 5 Id., par. 31. 6 2018 CCI 78 (CanLII). 7 ARC, Folio S3-F6-C1, par. 1.33. 8 Traités comme du gain en capital. Cf. ss-al. 131(1)b)(ii) LIR.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2018 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Karine Précourt