PL 141 : et maintenant?

Par Christine Bouthillier | 29 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Christine Bouthillier

On peut dire qu’il était minuit moins une pour le gouvernement québécois. Le fameux projet de loi 141 (PL 141), qui a tant fait couler d’encre depuis son dépôt en octobre 2017, a finalement été adopté in extremis le 13 juin dernier, quelques jours avant la fin de la session parlementaire… et à la veille de la campagne électorale.

Que ­serait-il advenu du projet de loi après les élections provinciales de cet automne? ­Selon l’issue du vote : mourir au feuilleton ou être remis à l’ordre du jour advenant une victoire des libéraux. Reste que cela aurait engendré de nouveaux délais, alors que l’industrie des services financiers attend la nouvelle mouture de la ­Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) depuis 2015.

Mais pour réussir à faire adopter le PL 141, le ministre des ­Finances ­Carlos ­Leitão a dû laisser tomber plusieurs aspects de sa réforme, notamment sa proposition controversée d’intégrer la ­Chambre de la sécurité financière (CSF) et la ­Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le soupir de soulagement qu’ont poussé bon nombre de professionnels en services financiers a dû s’entendre jusqu’à l’intérieur des murs de l’Assemblée nationale.

UN STATUT À RISQUE

Avec la disparition de la ­CSF, plusieurs craignaient la fin de l’encadrement par les pairs tel qu’appliqué au comité de discipline. Un modèle calqué sur celui de l’ordre professionnel, assurant le respect d’un code de déontologie, ce qui fait des conseillers des professionnels à part entière. C’est, entre autres, ce statut que plusieurs avaient peur de perdre avec la fin de leur organisme d’autoréglementation.

D’autres, notamment des associations de défense des consommateurs, ont souligné que l’AMF encadre les cabinets, alors que la ­Chambre chapeaute les représentants. Des rôles complémentaires et tout aussi importants.

L’abolition de la ­CSF aurait été dommageable pour le public, car le risque de se retrouver devant le syndic est plus dissuasif pour les professionnels que celui d’être sanctionnés par leur employeur, ­estiment-elles. Le conseiller est directement responsable de ses actes devant le comité de discipline. Les sanctions y sont publiques, contrairement à celles prises au sein d’une entreprise. Le dommage à la réputation y est donc souvent plus lourd, tout comme l’amende.

EST-CE PARTIE REMISE?

Ceux qui militaient pour le maintien de la ­Chambre peuvent donc souffler un peu… pour l’instant. De l’aveu du ministre ­lui-même, certaines parties du projet de loi ont été écartées par manque de temps pour les étudier avant la fin de la session parlementaire. Mais il ne semble pas y avoir complètement renoncé.

« ­Je pense qu’en gardant ces deux chambres telles qu’elles fonctionnent actuellement, on s’expose à des risques importants de duplication et d’incohérence, et j’espère qu’aucun événement fâcheux ne se produira. Une future législature devra se pencher sur cette question et décider quelle est la meilleure façon d’encadrer les acteurs du système financier. Mais pour l’instant, nous convenons que les deux chambres continueront d’exister », ­a-t-il indiqué en commission parlementaire.

Les opposants au ­PL 141 ont donc intérêt à surveiller de près l’élection de cet automne.

LE COMBAT CONTINUE 

D’autant plus qu’il ne s’agit pas de la seule source d’inquiétude. Plusieurs aspects du projet de loi qui avaient suscité des objections ont finalement été adoptés. Pensons à la vente d’assurance sur ­Internet sans représentant, qui est désormais clairement autorisée. Un amendement a toutefois été ajouté au texte original.

L’article 487 de la ­LDPSF spécifie ainsi qu’« un cabinet peut offrir des produits et services dans une discipline sans l’entremise d’une personne physique. Il doit néanmoins prendre les moyens nécessaires à ce que des représentants qui sont les siens agissent, en temps utile, auprès des clients qui en expriment le besoin; il doit aussi en informer sa clientèle ».

Cet ajout ­suffira-t-il à apaiser ceux qui craignent que les clients achetant une assurance par ­eux-mêmes souscrivent un produit qui ne leur convient pas? ­Rien n’est moins sûr.

D’autres, notamment la ­Chambre de la sécurité financière, déplorent que l’exclusivité du conseil en assurance ait été abolie. Les références au rôle de conseiller qu’exercent les représentants ont en effet été retranchées des articles 470 à 473 de la ­LDPSF. Les personnes qui proposent des conseils sans vendre de produits n’auront pas nécessairement besoin de détenir un permis pour le faire, interprètent certains. Pas de permis, et donc pas de formation obligatoire, ni d’encadrement par la ­CSF ou l’AMF…

Bref, plusieurs aspects du projet de loi continuent à semer le doute. Les précisions viendront plus tard, lorsque la réglementation pour le faire appliquer sera développée. Chose certaine, ce n’est pas la dernière fois que vous en entendez parler…

Christine Bouthillier est directrice principale de contenu à Conseiller.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2018 de Conseiller. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.