Quand « valeur ajoutée » n’a plus le même sens

Par Frédérique David | 24 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Avec l’avènement de la vente de produits financiers en ligne, il ne suffit plus pour un représentant d’offrir de l’assurance ou des fonds. Il doit être en mesure de prouver sa valeur ajoutée. Celle-ci évolue néanmoins au fil des ans et des changements qui bouleversent la profession.

Tous les professionnels d’expérience interrogés s’entendent pour dire que la valeur ajoutée du conseiller englobe tout ce qui distingue ses services de ceux offerts par des plateformes informatisées, c’est-à-dire tout ce qui garantit une meilleure qualité.

« La valeur ajoutée vient du conseil et non du produit1 », précise Larry Bathurst, planificateur financier, conseiller en sécurité financière et associé à Planex Solutions financières, actif dans l’industrie depuis plus de 40 ans.

« La valeur ajoutée, c’est aller au-delà des attentes du client ou donner un meilleur service que le standard du marché », ajoute Gaétan Veillette, B.A.A., Fellow administrateur agréé et planificateur financier à IG Gestion de patrimoine, qui pratique depuis 30 ans.

« La valeur ajoutée vient du conseil et non du produit. »

Larry Bathurst

Quels sont les événements survenus dans les 20 dernières années qui ont donné son importance à cette valeur ajoutée?

Le développement des technologies, et notamment d’Internet, est sur toutes les lèvres lorsqu’on pose cette question.

« On assiste à une plus grande offre de produits en ligne, mentionne Larry Bathurst. Ce type de distribution a été préparé par les lobbys ces dernières années et permettra probablement la diffusion de publicités sur Internet, comme pour tout autre produit de consommation. »

Outre cette tendance qu’ils jugent dangereuse pour les clients puisqu’ils pourraient souscrire le mauvais produit2, les conseillers voient aussi des bénéfices au développement d’Internet, notamment la multiplication de l’information offerte aux clients, qui arrivent plus outillés dans leurs bureaux.

« Avant, je devais expliquer aux clients les possibilités qui s’offraient à eux », mentionne Monette Malewski, PDG du Groupe M Bacal, qui travaille dans l’industrie depuis 1994. « Aujourd’hui, je dois décortiquer avec eux toutes les informations qu’ils ont trouvées sur Internet et les leur expliquer! »

Parfois, ce sont des questions médiatisées qu’il faut aborder avec les clients pour donner l’heure juste, ajoute Gaétan Veillette. « Certains sujets soulèvent des débats publics, notamment sur les réseaux sociaux, constate-t-il. Le conseiller avisé doit composer avec cet environnement, qui engendre souvent des réactions spontanées de la clientèle. »

La valeur ajoutée du conseiller a également bénéficié d’un renforcement des exigences de conformité, comme le souligne Gaétan Veillette. « Leur application dans la pratique professionnelle a évolué. Le conseiller doit appliquer des principes éthiques, parfois selon une certaine hiérarchisation, et ce, dans l’intérêt du client. »

De quelle façon peut-on apporter cette valeur ajoutée au client?

« En faisant une bonne gestion des suivis », mentionne en premier lieu Gaétan Veillette. Il s’agit d’adopter une approche de « planification financière intégrée ou de gestion de patrimoine », renchérit Larry Bathurst.

« La gestion de patrimoine est beaucoup plus que la gestion de portefeuille, beaucoup plus que promouvoir un produit à rabais, beaucoup plus que les concepts de vente de produits, précise l’ancien président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec. Il s’agit d’arrimer le choix des produits et recommandations aux objectifs personnels, professionnels et financiers du client. »

De plus, il ne faut pas perdre de vue les attentes des clients quant à la rapidité du service. « Notre rôle est d’être l’interface entre la compagnie d’assurance et le client, pour essayer de donner un service [hors pair], même si on doit parfois faire affaire avec des dinosaures! » illustre avec humour Monette Malewski.

« L’informatique ne remplacera jamais les relations humaines. »

Monette Malewski

Qu’adviendra-t-il des conseillers qui n’offrent pas cette valeur ajoutée?

« Ils perdront la confiance de leurs clients, croit Monette Malewski. De mon côté, je suis souvent appelée par les enfants de mes clients qui n’ont pas de conseiller. Ils me font confiance parce que j’ai fait un bon suivi avec leurs parents. »

Gaétan Veillette est du même avis et ajoute qu’il « sera plus difficile pour eux de recruter de nouveaux clients par l’intermédiaire de recommandations ou de faire de nouvelles affaires avec leurs clients actuels ».

Larry Bathurst croit même qu’ils « devront s’ajuster s’ils ne veulent pas disparaître », mais précise toutefois que « cela ne se fera pas à court terme puisque dans certains secteurs de l’industrie financière, le vendeur est encore reconnu et récompensé. Malgré le fait que l’industrie financière soit réglementée comme une industrie de conseil, les pratiques commerciales sont celles d’une industrie de vente, en particulier en assurance de personnes, où les concours basés sur le volume de vente sont toujours permis. La venue de l’offre en ligne n’apportera rien pour améliorer le conseil. »

« La notion de valeur ajoutée peut changer dans le temps en fonction de l’évolution des contraintes réglementaires, du marché, de l’offre de produits et services ou de la technologie.  »

>Gaétan Veillette

La définition de valeur ajoutée changera-t-elle au cours des prochaines années?

« On peut avoir l’intelligence artificielle et toutes les technologies, mais un bon conseiller restera un bon conseiller, déclare Monette Malewski. L’informatique ne remplacera jamais les relations humaines. »

Tout comme elle, Larry Bathurst ne croit pas que la définition de valeur ajoutée se transformera, mais se dit convaincu que « la façon de l’offrir changera grâce à la technologie, qui nécessitera d’allier l’intelligence artificielle à l’intelligence humaine ».

Ainsi, « la notion de valeur ajoutée peut changer dans le temps en fonction de l’évolution des contraintes réglementaires, du marché, de l’offre de produits et services ou de la technologie, mentionne Gaétan Veillette. Par exemple, les contraintes de coût imposent à plusieurs institutions financières de guider leurs clients vers les services sur Internet et à réduire le nombre de guichets disponibles et les heures de service. L’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec redirigent les contribuables vers les services en ligne. Il est raisonnable d’anticiper une technologie galopante, de nouveaux produits de plus en plus sophistiqués ou un environnement fiscal changeant. Le conseiller moderne doit donc s’attendre à une évolution rapide de son environnement de travail. »

Le professionnel de l’avenir devra démontrer sa valeur ajoutée dans un environnement complexe et en ébullition. Il devra ainsi repositionner en continu son offre de produits et services afin de bien accompagner ses clients dans la gestion de leurs affaires personnelles et familiales, conclut-il.

1 Conseiller, « 6 façons de démontrer sa valeur ajoutée aux clients » 2 Conseiller, « Assurance en ligne : un règlement peu convaincant »


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2020 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Frédérique David