Brexit : quelles conséquences économiques, politiques et financières?

Par La rédaction | 29 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture
miluxian / 123RF

Le choix des Britanniques de sortir de l’Union européenne a « durement affecté les marchés, qui étaient mal préparés à cette éventualité ». Mais si le choc financier à court terme devrait s’estomper, « il y aura tout de même des effets économiques et politiques à plus long terme », estime le Point de vue économique publié hier par Desjardins.

« En quelques minutes, lorsque les résultats ont commencé à afficher une majorité pour le Brexit vendredi, la livre britannique s’est dépréciée de près de 12 %, touchant ainsi un creux de 30 ans », tandis que « l’ensemble des marchés boursiers de la planète subissait un certain contrecoup », reflétant ainsi « les inquiétudes générées par cette décision », commencent par rappeler les auteurs de l’étude, François Dupuis et Francis Généreux, respectivement économiste en chef et économiste principal au sein du Mouvement.

Malgré l’action des principales banques centrales de la planète, qui ont tenté de calmer le jeu et répété qu’elles étaient prêtes à soutenir les marchés en cas de manque de liquidités, ceux-ci notent que « l’instabilité risque de demeurer présente sur les marchés, notamment britanniques, mais aussi ailleurs, car le Brexit pourrait affecter les prochains mouvements des taux directeurs au Royaume-Uni, tout comme ceux de la Banque centrale européenne et de la Réserve fédérale américaine ».

LE ROYAUME-UNI PERD SA COTE « AAA »

Certaines agences internationales de notation ont déjà indiqué qu’elles révisaient négativement les perspectives de la cote de crédit du gouvernement britannique.

Lundi, Standard and Poor’s a ainsi dégradé de deux crans la note de la dette du Royaume-Uni, qui est passée de « AAA », la meilleure possible, à « AA ». S&P justifie ce changement par « l’incertitude » qu’a générée l’issue du référendum, et anticipe « un contexte politique moins prévisible, moins stable et moins efficace » au cours des prochains mois.

Cette nouvelle note est assortie d’une perspective négative, c’est-à-dire qu’elle pourrait être abaissée à nouveau, rapporte l’Agence France-Presse. Citant un communiqué de S&P, l’agence de presse précise qu’elle « renvoie aussi aux risques de détérioration des conditions d’accès au marché financier du Royaume-Uni » et aux « problèmes constitutionnels » qui vont se poser, alors que l’Écosse, qui a voté en faveur du maintien au sein de l’Union européenne (UE), envisage d’organiser un nouveau référendum sur son indépendance.

QUELLES RÉPERCUSSIONS À MOYEN TERME?

À moyen terme, les conséquences du Brexit sur les économies britannique, européenne et mondiale dépendront de l’issue des négociations qui seront entamées entre le Royaume‐Uni et l’UE, affirment François Dupuis et Francis Généreux. Ceux-ci rappellent que selon l’article 50 du traité de Lisbonne, qui prévoit les modalités d’un retrait volontaire d’un pays membre, la date d’entrée en vigueur d’une telle décision doit se faire au plus tard deux ans après que la demande formelle en a été faite, même si une entente négociée entre les parties peut la devancer. Par conséquent, écrivent-ils « l’horizon de deux ans semble le plus probable et une demande effectuée par le gouvernement britannique à l’automne 2016 implique que le Brexit serait en vigueur à la fin de 2018 ».

En ce qui concerne les relations commerciales, financières et politiques entre le Royaume-Uni et l’UE, « la plupart des analystes s’entendent pour dire que les négociations seront difficiles », notamment parce que le Brexit constitue une première. Jusqu’à aujourd’hui, aucun pays n’avait demandé à sortir de l’Union. « Les négociateurs européens ne voudront pas faire de ces tractations un exemple positif qui motiverait les forces eurosceptiques qui existent dans les pays membres », soulignent les deux économistes.

Toutefois, les choses pourraient être facilitées par le fait que le Royaume-Uni a toujours été un cas à part au sein de l’UE : il n’a jamais adopté l’euro, ni fait partie de l’espace Schengen (frontières communes) et a « souvent disposé d’une plus grande latitude politique au sein de l’ensemble européen ». Par conséquent, « l’hypothèse la plus plausible est que le pays et l’UE parviendront à terme à un accord négocié limitant les conséquences sur l’économie ».

LES CONSÉQUENCES POUR LE CANADA

Tout comme pour l’économie mondiale, le Brexit aura des conséquences sur l’économie canadienne, prévoient François Dupuis et Francis Généreux. Selon eux, leur ampleur « dépendra beaucoup de ce qu’il adviendra avec les marchés dans les prochaines semaines et des futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni ». Le Royaume-Uni représente 3,5 % des exportations canadiennes et le reste de l’UE, 4,5 %.

Les deux économistes jugent que les facteurs les plus importants à surveiller pour le Canada au cours des prochains mois sont :

  • le degré d’incertitude et la détérioration des conditions financières;
  • la diminution des prix des matières premières;
  • la baisse de l’activité économique au Royaume-Uni et en Europe et l’effet sur les échanges commerciaux directs;
  • les effets directs et indirects sur l’économie américaine.

Enfin, ils indiquent qu’il est « particulièrement difficile de voir ce qu’il adviendra de l’accord commercial entre le Canada et l’UE », notamment parce que certains pays de l’Union exprimaient déjà des doutes sur ce texte et que l’appui du Royaume-Uni était indispensable à sa ratification.

« Au terme du Brexit, les Britanniques voudront probablement négocier un nouvel accord avec le Canada, mais les délais risquent d’être longs », concluent-ils.

Quels scénarios financiers?

« Le choc financier immédiat et les nombreuses incertitudes causées par le vote sur le Brexit forcent évidemment à modifier les scénarios économiques et aussi financiers », soulignent les économistes François Dupuis et Francis Généreux.

Leurs prévisions? « Les taux d’intérêt obligataires américains et, dans une moindre mesure, canadiens ont considérablement diminué depuis le vote, et l’effet refuge que procure le marché obligataire américain devrait faire en sorte que les taux resteront plus bas qu’anticipé. Jouant lui aussi son rôle de valeur refuge, le dollar américain consolidera sa récente hausse et pourrait même augmenter davantage, notamment si le ton monte entre les Européens et les Britanniques. »

Par ailleurs, « une croissance économique mondiale plus faible générera une demande moins forte pour les matières premières, incluant le pétrole, dont les prix pourraient diminuer », tandis que « la force du billet vert s’ajoutera à cette pression à la baisse ».

LA FED REPORTERA-T-ELLE SA HAUSSE DE TAUX?

Résultat, « la Fed pourrait retarder jusqu’en 2017 sa prochaine hausse de taux directeurs » et la période de long statu quo déjà prévue pour la Banque du Canada pourrait être allongée afin de tenir compte d’une politique monétaire américaine encore plus prudente ». De même, « la faiblesse des prix du pétrole et la force du dollar américain pourraient amener le huard à diminuer face au billet vert, tout en s’appréciant par rapport aux devises européennes ».

Sur le plan politique, les deux économistes jugent enfin que « les facteurs qui ont permis au Brexit de l’emporter (craintes vis-à-vis l’immigration, frustration envers le manque de pouvoir économique de la classe moyenne) peuvent occasionner des surprises politiques dans d’autres pays », notamment aux États-Unis, où l’« on peut appréhender l’élection de Donald Trump ». Or, constatent-ils, « les marchés financiers, sous-estimant les risques, sont loin d’être prêts à de pareilles éventualités ».

Le Québec sera-t-il touché?

Le Brexit pourrait avoir des conséquences sur « certains acteurs de l’économie québécoise », même s’il ne risque pas d’affecter réellement la province, rapporte Argent.

Ainsi, « le portefeuille immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a investi massivement à Londres depuis quelques années par l’intermédiaire de sa filiale Ivanhoé Cambridge, pourrait perdre de la valeur en raison du recul de la livre », précise la chaîne d’information.

PAS DE RISQUE À COURT TERME

Dans une note qu’il lui a envoyée, le gestionnaire de fonds assure suivre la situation et déclare : « Il est trop tôt pour prendre la pleine mesure des conséquences. Pour l’instant, la prudence est de mise. »

« La décision des Britanniques de quitter l’Union européenne ne touchera pas l’économie québécoise à court terme. Mais d’ici un an ou deux, le Brexit pourrait plomber les exportations québécoises si les devises européennes perdent de la valeur face au dollar canadien », estiment des experts cités par Argent.

« Le tsunami est arrivé en Angleterre, mais nous on va avoir des vaguelettes », a également commenté pour la chaîne Luc Vallée, stratège en chef à Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

La rédaction