Garder la PCU après la pandémie?

Par La Presse Canadienne | 2 novembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que l’on s’attendait à ce que l’anxiété monte en flèche pour tout le monde durant le confinement, un organisme de bienfaisance de Calgary a constaté avec étonnement que les niveaux de détresse de sa clientèle à faible revenu ont diminué.

La cheffe de la direction du Calgary Counselling Centre, Robbie Babins-Wagner, rapporte que l’organisme compile minutieusement des données sur la manière dont la pandémie a affecté différents types de personnes. Avant chaque séance avec un psychologue, travailleur social ou autre intervenant du centre, les clients sont invités à remplir une auto-évaluation de leur niveau de détresse et une note leur est attribuée sur une échelle de 180 en fonction de leurs réponses.

Pendant les deux premiers mois où la Prestation canadienne d’urgence (PCU) de 2000 $ mensuels a été versée par le gouvernement fédéral, une baisse de 5 points des niveaux de détresse a été enregistrée en moyenne chez les clients touchant un revenu annuel de 20 000 $ ou moins.

Mme Babins-Wagner souligne que ce chiffre est « significatif », car la détresse ne s’est atténuée pour aucune autre tranche de revenu.

Le répit accordé par la PCU peut selon elle contribuer à expliquer ce phénomène, alors que ces personnes n’avaient plus à dépendre d’emplois à bas salaires ou de programmes d’aide au revenu pour leur survie.

« Je pense que ça témoigne de la nécessité d’envisager un revenu minimum ou une sorte de mécanisme financier pour soutenir les personnes dans le besoin, pour les sortir de la pauvreté », a avancé Mme Babins-Wagner lors d’une récente entrevue.

Des militants anti-pauvreté partagent son avis partout à travers le pays. Certains font valoir que la PCU a représenté une véritable manne pour les provinces, qui devraient selon eux réinjecter les économies réalisées dans des programmes sociaux.

Lorsque la PCU a commencé à être distribuée en mars, plusieurs gouvernements ont vu leur nombre de dossiers d’aide au revenu dégringoler au cours des mois suivants.

L’Alberta, par exemple, a enregistré une baisse de 28 % du nombre de bénéficiaires d’aide au revenu entre les mois d’avril et août, soit près de 15 000 dossiers, selon les chiffres gouvernementaux.

Les personnes célibataires admissibles à l’aide au revenu en Alberta ont pu toucher à un peu plus de 8100 $ en 2018, estime la Maytree Foundation, un organisme de lutte contre la pauvreté établie à Toronto.

Il s’agit de l’un des soutiens financiers les plus bas au pays, note Lee Stevens, une experte de l’organisation Vibrant Communities Calgary.

Il a pourtant été démontré que le fait de sortir les gens de la pauvreté améliore non seulement leur bien-être, mais permet aussi de réduire les dépenses publiques, en soins de santé entre autres, rappelle Mme Stevens, qui exhorte les gouvernements provinciaux à saisir la balle au bond.

« Nous ne voulons pas revenir à la normale. La normalité, c’est ce qui nous a conduits ici, plaide-t-elle. La COVID-19 a mis à nu tellement d’inégalités, et ça présente l’occasion de corriger certains de ces torts, de combler des trous dans notre filet social. »

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador est parmi les plus généreux au pays en matière d’aide au revenu, selon le rapport de la Maytree Foundation. Mais l’aide offerte est tout de même insuffisante pour joindre les deux bouts, alors qu’une personne seule n’avait droit qu’à environ 11 300 $ en 2018, estime Doug Pawson, directeur de l’organisme End Homelessness à Saint-Jean.

Le nombre de dossiers d’aide au revenu a reculé d’un peu plus de 8% entre les mois d’avril et de septembre dans la province. M. Pawson croit lui aussi que ces bénéficiaires ont migré vers la PCU.

Les taux de chômage de Terre-Neuve-et-Labrador et de l’Alberta – à 14,8 et 11,7% – sont parmi les plus élevés au pays et il est peu probable que ces gens trouvent soudainement un emploi dans le contexte actuel.

« Nous avons entendu beaucoup de gens de la communauté parler d’utiliser cet argent pour s’acheter des meubles, pour rembourser des dettes », soulève M. Pawson, en soulignant que ces deux choses sont normalement hors de leur portée.

Un porte-parole du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a indiqué qu’il est trop tôt pour déterminer si la province réalisera d’importantes épargnes en matière d’aide au revenu grâce aux prestations fédérales.

  • Pawson calcule toutefois des économies de plus de 2 millions $ ont été réalisées durant ces quelques mois seulement. Il espère que ces fonds seront réinvestis d’une manière ou d’une autre dans la lutte contre la pauvreté.

« Ce qu’il faut retenir, c’est que les gens n’en ont pas assez pour survivre, qu’ils soient à bas salaires ou qu’ils reçoivent une aide au revenu », déplore-t-il.

« Il nous faut juste de la volonté et du courage politique pour reconnaître que les personnes à faible revenu et les personnes qui bénéficient de l’aide gouvernementale ne sont pas des fardeaux pour le système. »

La Presse Canadienne