Le taux directeur passe à 5 %

Par Nathalie Savaria | 14 juillet 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Une jeune femme dans un lit avec les yeux grands ouverts.
kbeis / iStock

La Banque du Canada a haussé son taux directeur de 25 points de base, pour le porter à 5,00 %, réaffirmant sa détermination à atteindre l’objectif d’une inflation de 2 %. Voici l’analyse de quelques experts, dont l’un d’entre eux spécule sur la fin de la hausse des taux.

UNE POLITIQUE AUX RÉPERCUSSIONS INATTENDUES

Selon Geoff Phipps, gestionnaire de portefeuille et stratège en bourse chez Gestion d’actifs Picton Mahoney, il s’agit là d’une hausse attendue pour la plupart des analystes, contrairement à celle du mois de juin.

Sur le plan international, les banques centrales des marchés développés, y compris la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre, ont continué à se montrer bellicistes, ce qui s’est reflété sur le marché, avec des prix plus élevés pour plus longtemps sur ces marchés de taux au cours des dernières semaines.

Au Canada, la hausse du taux directeur par la Banque du Canada en juin – la première, après une pause de cinq mois – a causé un ralentissement important dans l’activité du marché canadien de l’habitation. Il convient de noter, dit-il, la vitesse record de la hausse annuelle des taux d’intérêt hypothécaires, dont les effets s’infléchiront de manière plus significative au cours des prochains trimestres.

D’après cet expert, des normes de prêt plus strictes se profilent à l’horizon, y compris les règles du BSIF sur les actifs pondérés en fonction des risques et les modifications à la ligne directrice B-20. Le calendrier des impacts potentiels de ces changements demeure une question ouverte.

Le mois de septembre devrait entraîner la plus forte réduction de liquidités du programme canadien de resserrement quantitatif. « Cela peut représenter un défi pour une banque centrale qui a peu d’expérience en la matière », estime-t-il.

Compte tenu des facteurs ci-dessus, Geoff Phipps juge que « la Banque du Canada s’oriente vers une voie politique susceptible de déclencher des répercussions économiques imprévues ».

L’ACCÈS RESTREINT AU CAPITAL D’EMPRUNT

Pour Keith Reading, directeur principal, recherches, chez Morguard, en général, cette nouvelle hausse du taux directeur fait en sorte que « l’accès au capital d’emprunt s’est considérablement resserré dans tous les milieux d’affaires, y compris l’immobilier commercial ».

Parallèlement, les coûts de remboursement des dettes (hypothèques, dettes de consommation, etc.) ont considérablement augmenté.

En immobilier commercial, l’activité de vente d’investissements a fortement ralenti, les investisseurs attendant que les taux d’intérêt se stabilisent avant d’investir des capitaux importants dans le secteur.

Les marchés industriel et multirésidentiel sont considérés comme de bons contrepoids à la hausse des coûts de la dette, les loyers devant continuer d’augmenter. Par conséquent, les ventes d’investissements sont relativement fortes, estime cet expert.

Par ailleurs, les augmentations des taux d’intérêt se sont avérées être un problème pour les locataires/exploitants qui cherchent à déménager, car le coût d’emprunt pour l’amélioration de l’espace est élevé. Ainsi, l’espace déjà construit est populaire.

L’expansion des entreprises a été entravée, encore une fois en raison de la hausse des taux d’intérêt, une situation comparable pour les achats d’équipement.

Finalement, observe Keith Reading, les hausses de taux d’intérêt réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs, qui ont moins de revenus discrétionnaires à dépenser, ce qui nuit aux détaillants.

LES DÉTENTEURS D’UN PRÊT HYPOTHÉCAIRE SOUS PRESSION

Pour Philippe Simard, directeur hypothécaire au Québec chez Ratehub.ca, la pression s’accentue sur les détenteurs d’un prêt hypothécaire de toutes sortes.

« Les détenteurs d’un prêt hypothécaire à taux variable et ceux qui disposent d’un solde sur une marge de crédit hypothécaire seront déçus de voir leurs taux continuer à augmenter. Ceux qui ont une hypothèque à taux variable sans paiement fixe verront leur paiement augmenter immédiatement. Ceux qui ont une hypothèque à taux variable avec un paiement fixe verront leur amortissement augmenter, à moins qu’ils ne choisissent d’augmenter leur paiement ou qu’ils soient forcés d’augmenter leur paiement parce qu’ils ont atteint leur seuil de déclenchement. »

La situation n’est pas plus rose pour les détenteurs d’un prêt hypothécaire à taux fixe qui « doivent tenir compte des taux du marché à la date de leur prochain renouvellement. Les ménages doivent déterminer à l’avance d’où proviendra l’argent nécessaire pour effectuer des paiements hypothécaires plus élevés », conseille-t-il.

De la même manière, ceux et celles qui doivent renouveler un prêt hypothécaire au cours de l’année prochaine devraient obtenir un taux auprès d’un nouveau prêteur dès maintenant.

« Si les taux augmentent davantage à l’avenir, il serait judicieux de résilier votre prêt hypothécaire actuel et de passer au nouveau prêteur avant l’expiration de la période de blocage du taux, afin de bénéficier du taux le plus bas », suggère-t-il.

Finalement, il croit que « cette hausse exercera une pression à la baisse sur les prix des logements et entraînera un ralentissement des transactions au cours de l’été. »

DES PROJETS D’ACHAT ET DE VENTE SUR LA GLACE ?

À la suite de l’augmentation du taux directeur, Royal LePage mentionne dans son Étude sur le prix des maisons du deuxième trimestre « que de nombreux acheteurs et vendeurs suspendront leurs démarches, en raison de cette hausse des coûts d’emprunt supplémentaire, ce qui maintiendra les prix des maisons essentiellement au même niveau pour les deux derniers trimestres de l’année ».

Cela dit, Royal LePage a une fois de plus révisé ses prévisions de fin d’année à la hausse à la suite à la reprise rapide et à la forte appréciation des prix au cours du premier semestre 2023.

Selon le communiqué, le prix de l’agrégat d’une propriété dans la région du Grand Montréal a diminué de 2,4 % d’une année à l’autre, pour s’établir à 571 800 $ au deuxième trimestre de 2023.

Toutefois, sur une base trimestrielle, le prix d’une maison dans la région du Grand Montréal a légèrement augmenté, et ce, après une brève correction et malgré des taux d’intérêt plus élevés.

Parmi les trois plus grands centres urbains du pays, la région du Grand Montréal a connu la période de correction la plus courte, souligne Royal LePage.

LE CYCLE DE RESSERREMENT S’ACHÈVE

Jay Zhao-Murray, analyste FX chez Monex Canada, prévoit quant à lui la fin du cycle de resserrement par la Banque du Canada.

« D’ici septembre, nous prévoyons un ralentissement graduel de l’élan de l’économie canadienne sur plusieurs mois de données, aidé également par un ralentissement aux États-Unis, ce qui permettra probablement aux responsables de la Banque de maintenir le taux à 5 % cette année, avant de commencer à assouplir la politique au premier semestre de l’année prochaine. »

D’après cet expert, « que la Banque du Canada réalise ou non la hausse attendue par le marché, le commentaire de [Tiff] Macklem selon lequel ‘nous pensons que nous sommes proches’ d’un retour de l’inflation à l’objectif est un signe clair que le cycle de resserrement est presque terminé ».

Il ajoute : « L’élément clé à comprendre au sujet de la Banque du Canada est que, bien que les fonctionnaires accordent évidemment une attention considérable aux données, l’histoire communiquée au public vient toujours en premier. Bien sûr, chaque affirmation doit être étayée par des preuves, mais lorsque ces preuves sont obscures, la Banque a une marge de manœuvre pour choisir ce qu’elle souligne ou ignore, et c’est particulièrement le cas avec l’inflation, étant donné le grand nombre de façons de la mesurer. »

Jay Zhao-Murray rappelle que les responsables de la Banque ont déclaré en juin que l’économie était à la fois plus robuste et produisait davantage de pressions inflationnistes, promettant de développer cette opinion dans le Rapport sur la politique monétaire de juillet.

« Ils ont tenu cette promesse aujourd’hui [le 12 juillet], car perdre confiance en leur point de vue après seulement un mois aurait été un désastre en matière de communication. C’est pour cette raison que nous avions confiance, avant même de voir les dernières données, que la Banque augmenterait le taux de directeur aujourd’hui, car il aurait fallu des preuves irréfutables que l’économie était dans une situation désespérée pour qu’ils aient fait autrement, ce que nous pensions peu probable. »

Natalie Savaria

Nathalie Savaria

Nathalie Savaria a été rédactrice en chef de magazines dans le domaine de l’immobilier commercial. Elle est journaliste indépendante.