Investir dans l’immobilier américain : prêts à affronter la paperasse?

Par Didier Bert | 17 Décembre 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La faiblesse des prix de l’immobilier aux États-Unis suscite un fort intérêt auprès d’investisseurs québécois. La perspective de gain à moyen terme est alléchante.

Mais dans la réalité, les frais et de la gestion à distance sont des motifs de découragement.

Claude Parent a acquis plusieurs biens immobiliers en Floride après la crise immobilière de 2008. C’est un connaisseur. Il dirige l’entreprise Prêts Via, spécialisée dans le financement hypothécaire privé.

« Je travaille dans l’immobilier ici. Je suis allé aux États-Unis en 2009 parce que les prix étaient bas. Mais ce n’est pas nécessairement un signe de rentabilité », prévient-il.

Trois ans plus tard, Claude Parent fait ses comptes. « Il me reste deux biens immobiliers. Je vais en garder un et vendre l’autre. »

Bénéfice de l’opération? « Zéro, répond-il. Quel que soit le bien que vous achetez, les taxes municipales sont élevées, les frais de condo aussi, les frais comptables encore plus, et vous devez vivre avec une grande inconnue : le marché local. Chaque fois, du coup, il faut engager des intermédiaires. »

Claude Parent possède une maison unifamiliale à Fort Lauderdale. En 2012, il aura payé 8000 $ de taxes, incluant les taxes municipales, scolaires et l’eau. « C’était 4000 $ quand j’ai acheté en 2009… », lâche-t-il.

Les frais d’entretien représentent un autre coût, en argent comme en temps. « Je suis ici, l’immeuble est là-bas. Qu’est-ce que je fais? J’engage quelqu’un à distance. Quand il y a des travaux plus complexes, il faut obtenir des permis. Et c’est bien plus difficile là-bas qu’au Québec. »

La lourdeur des formalités administratives a impressionné Claude Parent. « Il y a énormément de gestion de papier. Les Américains ont plus de paperasse que nous. Un contrat d’hypothèque, un contrat d’achat, un bail… Tout passe par le biais d’avocats. Les risques de poursuites sont par conséquent multipliés. Il faut bien que les avocats travaillent… »

Et du côté des assurances? « C’est au moins deux fois plus cher qu’à Montréal. Dès qu’il y a un ouragan, les prix grimpent… et quand il n’y en a pas, les assureurs haussent aussi leurs prix pour se faire des réserves. »

EXASPÉRÉ PAR LA GESTION À DISTANCE

Tous ces frais cumulatifs rendent l’opération coûteuse. Claude Parent évalue les coûts annuels de possession en Floride à 6 % minimum, avant même d’inclure une hypothèque dans le calcul. « Vous allez obtenir un loyer à prix intéressant, mais les divers frais élevés le grugeront. Ça a beau se louer facilement, c’est à peine rentable. »

Même s’il espère tirer une plus-value de la vente de sa propriété, Claude Parent sait que son bénéfice est bien incertain. Il lui faut tenir compte du taux de change, et de ces incertitudes. « Actuellement, le dollar américain est en deçà du dollar canadien, mais c’est possible qu’il ait remonté lorsque l’on vendra. » C’est ce qui lui a coûté cher lors de ses ventes précédentes. « J’ai perdu mes profits à cause du taux de change. »

Gourmand en temps et en frais, l’investissement immobilier aux États-Unis devrait intéresser d’abord ceux qui peuvent y aller en vacances. « Achetez pour en faire votre résidence secondaire, mais pas pour revendre rapidement, recommande Claude Parent. Et si c’est seulement pour une semaine par an, mieux vaut louer! »

Claude Parent n’est pas prêt de réinvestir aux États-Unis. « J’en eu marre de la gestion à distance plus que des frais. L’immobilier, quand on ne s’en occupe pas sur place, requiert que quelqu’un le fasse à notre place. De plus, il faut connaître les règles fiscales et légales. Avoir un associé local est encore la solution parfaite. »

L’homme d’affaires montréalais retournera en vacances en Floride. Mais à l’avenir, c’est sur le marché québécois qu’il fera prospérer ses affaires. « Je pensais que c’était une bonne occasion d’affaires, mais à long terme, investir est plus rentable ici que là-bas. »

Deux fois moins cher qu’en 2007

Marcel Racicot

Le marché américain est particulièrement favorable aux investisseurs canadiens. Mais l’acquisition doit être soigneusement planifiée. Entrevue avec Marcel Racicot, le président de la Chambre de commerce Québec-Floride et associé principal du cabinet juridique Racicot et Associés.

Quels sont les principaux attraits du marché immobilier américain pour les investisseurs canadiens?

On parle d’une diminution d’au minimum 50 % de la valeur des propriétés. Seules les résidences situées à proximité de l’océan ont limité leur baisse. Aussi, les restrictions au crédit empêchent les Américains de financer leurs acquisitions. Et le taux de change est favorable aux investisseurs canadiens.

Quel marché est le plus prometteur?

La location aux résidents de la Floride présente des rendements intéressants, entre 5 et 10 %. Les investisseurs peuvent acheter des propriétés à très bas prix, et les louer à des Floridiens qui ont perdu leur maison. Cela concerne surtout les quartiers industriels. Le taux d’inoccupation est très bas sur ce marché en Floride. Et quand le marché s’améliorera, il sera possible de vendre avec des gains importants. C’est le gain le plus important qu’il y a à faire.

Qu’est-ce qui surprend les investisseurs Canadiens en Floride?

Il faut bien prendre la mesure des lois de la Floride qui s’appliquent. Les droits successoraux sont particulièrement complexes. En cas de décès, il faut engager un avocat de Floride et faire des requêtes devant les tribunaux. C’est pour cela qu’il n’est jamais avantageux de détenir personnellement un titre de propriété. Il est recommandé de passer par une fiducie révocable de la Floride, qui allège le règlement de la succession.

Y a-t-il un piège à éviter?

Des investisseurs québécois croient bien faire en créant une société américaine à responsabilité limitée (SARL). Mais cette structure entraîne une double imposition fiscale aux États-Unis et au Canada. La SARL a des avantages pour les Américains. Mais pour les Canadiens, elle crée plus de problèmes que de solutions.

Six règles de fiscalité américaine à connaître

1. Pas de revenu, pas de déclaration de revenus L’achat d’un bien immobilier aux États-Unis fait que l’on devient un contribuable américain. « C’est la même chose dans tous les pays du monde », souligne Nick Moraitis, associé en fiscalité chez Fuller Landau.

Mais si le bien immobilier est utilisé uniquement à titre personnel, sans en tirer de revenu (c’est-à-dire sans location ni vente), il n’est pas nécessaire de fournir une déclaration fiscale au fisc américain. Et il n’y a pas de déclaration supplémentaire à effectuer au Québec ou au Canada.

2. Un revenu… jusqu’à cinq déclarations fiscales Si le propriétaire canadien reçoit un revenu de location ou de vente, il doit déclarer ce revenu aux États-Unis, où il sera imposé. Certains états américains demandent aussi une déclaration de revenus. Et la ville de New York en exige aussi un pour les opérations réalisées sur son territoire. Si vous avez des revenus dans la Grosse Pomme, ce sont donc cinq déclarations fiscales que vous devrez préparer. « Je n’ai jamais dit non à un client. Mais je m’inquiète pour ceux qui ont de la difficulté à remplir leur déclaration fiscale canadienne… », confie M. Moraitis.

3. Une retenue à la source pour les ventes immobilières La vente de biens supérieurs à 300 000 $ l’unité impose de verser 10 % du montant au fisc américain, au titre de retenue à la source. Cet acompte est obligatoire, même si la résidence a été vendue à perte. Il faut alors préparer une déclaration de revenus pour réclamer ce montant aux autorités fiscales des États-Unis.

4. Impossible d’échapper aux impôts d’ici Si vous devez payer de l’impôt aux États-Unis sur vos revenus immobiliers (de location ou de vente), vous ne payez pas une deuxième fois ce montant au fisc canadien. Mais si cet impôt est inférieur à ce que vous auriez dû payer au Canada, vous devrez verser la différence à l’administration fiscale canadienne.

5. Les calculs savants de la résidence Le visiteur canadien doit compter scrupuleusement le nombre de jours passés sur le territoire américain, chaque année et au cours des trois dernières années. « Il est faux de croire que passer cinq mois par année suffit à ne pas être considéré comme résident américain », prévient M. Moraitis.

Si un Canadien passe plus de six mois aux États-Unis durant une année, il est considéré comme résident. Mais c’est aussi le cas si le calcul suivant donne un total supérieur à 183 jours : comptez le nombre de jours passés aux États-Unis en 2012, ajoutez le tiers du total de l’année 2011, et ajoutez aussi le sixième du total de l’année 2010.

« Si on est considéré comme résident, les autorités fiscales américaines veulent recevoir une déclaration. La convention fiscale entre les États-Unis et le Canada évite la double imposition. Mais de fortes pénalités sont prévues si on ne remet pas le formulaire », avertit M. Moraitis.

6. Danger à propos des droits successoraux Si un Canadien décède alors qu’il est propriétaire aux États-Unis, il est assujetti aux droits successoraux américains. « C’est une taxe sur le patrimoine qui ignore le fait qu’on soit résident américain ou non », explique M. Moraitis.

La convention fiscale entre les deux pays permet aux Canadiens de bénéficier de la même exemption fiscale que les Américains, soit cinq millions de dollars. Mais pour les Canadiens, ce montant est réduit au prorata de leurs biens situés aux États-Unis relativement à leur patrimoine mondial. Par exemple, si 25 % de votre patrimoine mondial est aux États-Unis, vous bénéficiez d’une exemption fiscale de 25 % de cinq millions, soit 1,25 million de dollars.

C’est l’ex-président américain George W.Bush qui avait décidé de faire passer d’un à cinq millions de dollars l’exemption fiscale sur les droits successoraux, en 2001 et ce pour une période de dix ans. Il y a deux ans, son successeur, Barack Obama, avait reconduit ce montant jusqu’à la fin de l’année 2012.

En 2013, le montant de l’exemption pourrait donc retomber à un million de dollars. Pour plusieurs Canadiens, le montant au prorata pourrait alors chuter au-dessous de la valeur de leur propriété américaine. Leur succession devrait alors débourser de l’impôt en cas de décès.

En fin d’année, un compromis sera trouvé quelque part entre un et cinq millions de dollars, croit M. Moraitis. Mais la note pourrait être salée pour les successions de propriétaires canadiens… d’autant que le taux d’imposition qui varie actuellement entre 18 % et 35 % pourrait lui aussi revenir à son niveau initial, soit 55 %.

Les étapes d’une acquisition aux États-Unis

1. L’offre d’achat Ce document légal exprime les volontés et les obligations de l’acheteur et du vendeur, notamment le prix de vente, le délai pour l’acceptation de l’offre, et la date de clôture de l’acte de vente, et autres modalités.

2. Le financement et l’inspection Quand votre offre est acceptée par le vendeur, vous devez en faire parvenir copie à votre institution financière. Vous procédez alors à l’inspection du bâtiment. Votre prêteur peut demander une évaluation de la propriété pour vérifier la valeur marchande. Dans la plupart des prêts en Floride, l’emprunteur est assujetti à une taxe d’enregistrement.

3. L’agent de titre Il procède à la vérification du titre de propriété, des taxes foncières, de l’état de compte des frais de condo et il émet une police d’assurance titre.

4. Les documents à préparer pour la clôture Vous devez signer plusieurs documents pour valider la vente : le Settlement Statement, le Deed, et le Title Insurance.

5. La clôture L’acquisition se conclut par la signature des documents et le transfert des fonds. L’agent de titre enregistre les documents dans le registre du comté. Les documents peuvent être signés au Québec devant un notaire public. Cependant, les procédures doivent être accomplies selon les lois floridiennes.

Source : www.racicottax.com

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.