Changement de mentalités

Par Pierre Saint-Laurent | 19 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de mi-février 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Le début du XXIe siècle est bien différent de la fin du précédent. Cela est vrai dans plusieurs secteurs (politique, environnement, etc.), et surtout dans celui des services financiers. Or le phénomène principal des hauts et des bas des marchés et de leurs acteurs n’est rien de nouveau : il s’agit du cycle économique. On a eu tendance à en oublier l’existence, surtout quand il était commode de le faire, à savoir lors de longues périodes de cycle haussier. Deux de celles-ci me viennent à l’esprit : les années 1920 et les années 1990.

Je vous invite à faire une comparaison. Si vous allez sur le site Internet de Dow Jones[1], vous trouverez, dans la marge de gauche de la page, des graphiques de l’indice Dow Jones par décennie. Regardez les périodes 1920-1929 et 1990-1999 et lisez les textes Dow Knowledge afférents.

Durant les Roaring Twenties illustrées dans le graphique 1920-1929, on mentionne un «New Era» bull market: un marché haussier de nouvelle ère. Cette période constitue l’un des marchés haussiers les plus forts du XXe siècle, avec un quasiquadruplement de l’indice entre 1924 et 1929 et six records successifs du Dow Jones au cours de ces mêmes années. Mais on connaît la suite, avec la chute des 28 et 29 octobre 1929.

Dans les années 1990, on a vécu une nouvelle ère technologique. Le Dow Jones est passé de moins de 3 000 à plus de 10 000, avec certains soubresauts comme la crise de 1998, mais avec une tendance haussière irrésistible. Et là aussi, on connaît la suite…

UN COURANT DE CONSERVATISME

Si je fais ces parallèles, ce n’est pas pour être alarmiste, c’est pour expliquer le fait qu’il existe à l’heure actuelle un courant de conservatisme dans le conseil financier qui représente un retour de balancier par rapport à l’«exubérance irrationnelle»[2] qui a existé à la fin du siècle dernier.

Dans ma dernière chronique, je vous parlais d’un livre[3], écrit de façon très accessible à l’intention des investisseurs américains et de leurs conseillers, dont le but était d’être rassurant. On y invite les investisseurs à établir le niveau d’épargne qui leur permettra de mettre en oeuvre leur plan de retraite «sans aucun risque», essentiellement à l’aide de titres à revenu fixe du gouvernement indexés à l’inflation, ennemi numéro 1 du portefeuille à long terme. On ne se penche sur les actions qu’après avoir fait comprendre à l’investisseur que la croyance du Stocks for the long run à la sauce Jeremy Siegel, soit que les actions dominent les autres catégories d’actifs sur de longues périodes, c’est tout simplement faux. Les actions, c’est un dernier recours périlleux. On remet même en cause la méthode de la moyenne d’achat par somme fixe (dollar cost averaging), avec une argumentation qui me semble toutefois spécieuse. L’essentiel du livre, c’est «Don’t worry, be happy»…

En fait, on en est à discréditer d’emblée les marchés boursiers, ce qui me semble, disons, irrationnel. On ne peut le nier, les portefeuilles ont considérablement souffert récemment. Mais mettons les choses en perspective : la cupidité et la peur sont sans doute plus à blâmer que des fautes de catégories d’actifs comme telles. Le problème me semble provenir du fait qu’à la fin des années 1990 plusieurs ont abandonné la discipline d’une saine répartition d’actif et d’une bonne diversification en faveur d’instincts un peu plus cupides et de plus court terme.

Plutôt que de quitter les marchés de but en blanc, mieux vaut se rabattre sur les principes de construction de portefeuille à long terme et y ajouter les connaissances actuelles en finance béhaviorale, qui permettent de mieux comprendre les réactions «irrationnelles» de l’animal investisseur.

Pierre Saint-Laurent, M. Sc., CFA, CAIA, est président d’ActifConseil à Montréal. On peut lui écrire à l’adresse psl@actifconseil.com.


[1] www.djindexes.com/mdsidx/index.cfm?event=showAverages [2] Voir à ce sujet le best-seller de Robert J. Shiller, Irrational Exuberance (Broadway, 2001) [3] Bodie, Zvi, et Michael J. Clowes. Worry-Free Investing: A Safe Approach to Achieving Your Lifetime Financial Goals, Financial Times Prentice-Hall, 2003.


• Ce texte est paru dans l’édition de mi-février 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Pierre Saint-Laurent