Conseillers, démythifiez la dynamique économique des familles

Par Charles-Antoine Rouyer | 10 août 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


La dynamique économique des familles serait-elle aussi difficile à saisir que les relations complexes qui unissent les membres d’un même clan? Il semble que oui, selon les auteurs de l’ouvrage Entre le boom et l’écho, qui nous préviennent du même coup d’une hausse imminente des taux d’intérêt, car les gens issus de l’écho aussi veulent emprunter!

Le secteur des services financiers ne comprend pas les dynamiques des cycles de de la vie d’une famille», laisse tomber David K. Foot, auteur du livre Entre le boom et l’écho. L’économiste s’insurge dans la foulée contre les conseillers financiers qui crient à la catastrophe, affirmant que les baby-boomers n’épargnent pas suffisamment pour leur retraite. «Les gens épargnent en vue de leur retraite dans la cinquantaine, alors que la plupart des baby-boomers n’ont pas encore atteint cet âge.»

Il appert, en effet, que les conseillers oublient que les jeunes familles ont d’autres priorités, poursuit-il. Les jeunes couples qui se mettent en ménage doivent d’abord se meubler, s’acheter une automobile, racler leurs fonds de tiroirs dans le but de faire un dépôt à l’achat d’une maison, subvenir aux besoins de leurs enfants et même, éventuellement, financer les études de leurs rejetons. «Ce n’est qu’une fois dans la cinquantaine, alors que vos enfants sont grands et que vous avez en grande partie remboursé vos dettes, que vous pouvez épargner en vue de la retraite», affirme M. Foot.

MAGIQUES, LES INTÉRÊTS COMPOSÉS?

Qu’en est-il des avantages des intérêts composés que font miroiter aux jeunes investisseurs les publicités des institutions financières? Certes, reconnaît Daniel Stoffman, de l’argent qui fructifie pendant plusieurs décennies finit par constituer un pécule fort intéressant. Mais à quoi bon s’y attarder si, en contrepartie, le foyer est endetté? demande le journaliste et coauteur du livre Entre le boom et l’écho.

«La plupart des gens n’ont pas des masses d’argent pour leurs REER lorsqu’ils essaient de rembourser leur voiture, d’entretenir leur maison et d’avoir encore un peu de sous pour partir en vacances au moins une fois par an», explique M. Stoffman, sans oublier les prêts étudiants que de nombreux jeunes doivent commencer à rembourser dès qu’ils sortent de l’école et qui représentent souvent l’équivalent d’une petite hypothèque, sans même qu’ils disposent d’un toit au-dessus de leur tête! «Il y a une école de pensée qui affirme qu’il serait absolument ridicule d’investir de l’argent dans un REER à 20 ou 25 ans, lorsqu’on n’a même pas remboursé sa voiture. Les intérêts composés sont avantageux. Mais où en est l’intérêt si vous vous endettez pour y arriver?»

Il faudrait plutôt mettre de côté un petit magot dès son adolescence pour pouvoir bénéficier de la fameuse magie des intérêts composés, estime M. Stoffman. «Peut-être que la meilleure chose à faire serait, avant de s’endetter, d’investir 10 000 $ dans un bon fonds commun ou un instrument indiciel, et ne plus y penser ensuite pendant 30 ans.»

UN REGAIN DES FONDS?

Les deux « gourous » de l’analyse démographique annonceraient-ils alors un regain de croissance des ventes de fonds communs de placement avec tous ces baby-boomers sur le point d’atteindre la cinquantaine?

«Oui et non», répond M. Foot, soulignant en filigrane l’importance de la gestion du patrimoine. «Ce ne sera pas nécessairement une croissance des ventes des fonds communs de placement ou une augmentation des REER. Certains achèteront des chalets ou des biens immobiliers dont ils pourront profiter et, ultimement, qu’ils vendront une fois à la retraite. Les ventes des fonds de placement grimperont, mais les baby-boomers sont devenus très conscients que les fonds de placement n’enregistrent pas de meilleurs résultats que la moyenne, surtout lorsque les frais de gestion sont pris en compte.»

LES ENFANTS DE L’ÉCHO INVESTISSENT

Parallèlement, la génération de l’écho devrait, elle aussi, influencer la croissance des ventes des produits de placement, notamment l’épargne-études. «Au Québec, [cet engouement pour les REEE] devrait commencer un peu plus tôt, prédit M. Foot. Les gens de l’avant-garde de l’écho ont environ 25 ans et ils ne devraient pas fonder de famille avant cinq ans. Ils ne songeront pas à l’éducation de leurs enfants avant 10 ans. Donc, les REEE, oui, mais pas maintenant, durant la prochaine décennie.»

UN BUDGET, DÈS QUE POSSIBLE

Du côté des professionnels des services financiers, les avis sont partagés sur cette vision du cycle de placement des familles. L’éternel débat entre faire la cigale ou la fourmi et la notion de budget sont au cœur des réflexions.

D’après certains, il faut se serrer un peu plus la ceinture dès le départ pour à la fois épargner et rembourser son hypothèque. « De toute évidence, on sort de l’université, on achète une maison et on commence à avoir des enfants durant les premières années de la vie financière; ce n’est pas à ce moment-là que les liquidités nous sortent par les oreilles », reconnaît Daniel Laverdière, directeur principal de Planification financière Banque Nationale. « Alors, souvent, on commence à se faire un petit nid d’épargnes minimes pour le REER, mais cela n’avance pas à pleine vapeur. […] C’est à partir de 45 ans, durant les 15 dernières années avant la retraite, qu’on essaie d’épargner davantage », constate-t-il, rappelant qu’une hypothèque est une forme de placement à intérêts composés exonéré d’impôt, dont le rendement peut être meilleur qu’un fonds de placement.

M. Laverdière se rallie partiellement aux partisans de l’optique cigale. «Je crois au temps, à la force du temps, mais pas à la magie des intérêts composés. Dans tout cela, la grosse magie, c’est souvent la gestion budgétaire. En épargne, il faut réaliser que tout ce qu’on dépense aujourd’hui, on ne pourra pas le dépenser plus tard.»

Il faudrait être économe le plus tôt possible, affirme sans hésiter Eric Kirzner, professeur de finance à l’Université de Toronto et coauteur d’ouvrages financiers avec Gordon Pape. Il souligne du même souffle les mérites de l’épargne par versements périodiques à un jeune âge. «L’épargne par versements périodiques peut influer sur vos dépenses courantes. À 6 % sur 30 ans, 10 000 $ investis à 20 ans représentent près de 57 000 $ à 50 ans.» Mais, par-dessus tout, il faut faire preuve de rigueur dans son budget, faire un peu la cigale mais pas l’autruche aujourd’hui sans penser à demain. «Si votre budget est extrê- mement serré, alors il vaut mieux rembourser vos prêts et vos dettes. Par contre, si possible, il faut vous pencher sérieusement sur vos dépenses, adopter une stratégie permettant de rembourser votre hypothèque et construire votre portefeuille de placement.»

Vers une HAUSSE des taux d’intérêt?

LES TAUX D’INTÉRÊT DEVRAIENT BIENTÔT remonter, car la génération de l’écho devrait avoir un effet sur l’économie semblable à celui du baby-boom dans les années 1970, annonce Daniel Stoffman, coauteur du livre Entre le boom et l’écho.

«L’écho va avoir un impact énorme au cours des 10 prochaines années, bien plus que ce que les gens réalisent. Il va y avoir un surplus de main-d’œuvre parce que tous ces gens vont entrer sur la scène économique, ce qui implique que les taux d’intérêt ne vont plus continuer de baisser : ils vont se stabiliser et probablement remonter», continue M. Stoffman.

«Dans les années 1970, les taux étaient à 20 %, et ce n’était pas une coïncidence. À cette époque, les baby-boomers, qui formaient un tiers de la population, empruntaient de l’argent pour s’acheter une voiture, une maison ou du mobilier, tout en remboursant leurs prêts étudiants. Ils étaient tous endettés, et un petit nombre, les plus vieux, prêtaient de l’argent. Aujourd’hui, les taux ont baissé, car les baby-boomers ont acheté tout ce dont ils ont besoin; ce n’est pas la seule raison, mais l’une des principales.»

Pour Rafael Gomez,un économiste torontois qui enseigne à la London School of Economics,c’est la combinaison de l’impact des membres de l’écho avec celui des baby-boomers à la retraite et vieillissants qui pourrait risquer de faire monter les taux d’intérêt. «Si vous avez une génération de l’écho qui relance la demande pour le cré- dit, en même temps que sont relancés les emprunts pour financer les dépenses de soins de santé et de retraite, il pourrait alors y avoir une surchauffe.»

Le niveau des taux d’intérêt dépend aussi et surtout des autorités monétaires, souligne M. Gomez. «Dans les années 1970, la réaction des autorités monétaires canadiennes était exagérée. Les pressions pour relever les taux d’intérêt étaient là, et c’est arrivé dans tous les pays qui ont vécu ce cycle du baby-boom. Cela explique pourquoi il fallait relever les taux. Mais l’ampleur de cette hausse, c’est une autre question. Celle de la politique monétaire au sein de la banque centrale a été dévastatrice au Canada.»

Un autre économiste, Omar Hamouda, professeur au Collège Glendon de l’Université York à Toronto, rappelle d’une part que le contexte international est totalement différent de nos jours. «Dans les années 1970, la guerre froide et le bloc de l’Est restreignaient les marchés ouverts aux capitaux. De nos jours, des marchés énormes se sont ouverts, et les destinations offertes aux placements sont plus nombreuses. Il ne faut pas ignorer les soupapes que sont la Chine et l’Inde. Les capitaux ont plus d’endroits où être investis, il y a donc moins de poussées inflationnistes chez nous. Et il y a un lien direct entre l’inflation et les taux d’intérêt.»

D’autre part, les chocs pétroliers dans les années 1970 ont eu de profondes répercussions sur la hausse des prix. Le pouvoir des syndicats à l’époque avait aussi favorisé une spirale inflationniste à cause des hausses salariales, ajoute M. Hamouda. De nos jours, l’affluence de produits bon marché en provenance d’outre-mer contribue à limiter les risques d’inflation, mais les déficits budgétaires chez nos voisins américains auront aussi une influence sur les marchés des capitaux, soutient enfin M. Hamouda.

Une confirmation de plus, si besoin est, que l’analyse démographique est certes un bon outil de navigation empirique dans la brume de l’avenir.

TABLEAU DES GÉNÉRATIONS Nombre de naissances (en milliers) et proportion par rapport à la période 1927‑1995
Années AU QUÉBEC AU CANADA
Enfants de la dépression 1927-1946 1 719 (24,7 %) 5 114 (20,9 %)
Baby-boomers 1947-1966 2 570 (37 %) 8 561 (35 %)
Enfants du creux 1967-1979 1 209 (17,4 %) 4 684 (19,1 %)
Enfants de l’écho 1980-1995 1 455 (20,9 %) 6 106 (25 %)

Même son de cloche du côté d’un professionnel de la gestion du patrimoine. «Il faut organiser notre vie autour d’un revenu disponible où l’épargne a déjà été mise de côté», résume Laurent Wermenlinger, président de PWL Capital à Montréal. «Peut-être qu’effectivement les gens n’investissent que sur le tard pour l’instant, concède-t-il, mais c’est parce qu’ils n’ont pas pris les bonnes habitudes.» Le débat épargne ou hypothèque renvoie plutôt au système de valeurs de nos contemporains, qui recherchent davantage le plaisir à court terme, selon lui. «Nous sommes dans une société de consommation. La culture, c’est de recevoir le bienfait du fruit de notre travail immé- diatement, à court terme, et de ne pas thésauriser.»

APPRENDRE À JONGLER AVEC LES GROUPES D’ÂGE

Que réserve l’avenir aux conseillers en placement confrontés à ces différents groupes d’âge aux besoins et aux exigences aux antipodes les uns des autres? « La gamme des produits financiers qui existent à présent est inimaginable. Mais est-ce que les conseillers utilisent les bons outils pour leurs clients? C’est la capacité des conseillers en placement à amener leurs clients à bien utiliser ces produits-là qui sera décisive », résume M. Wermenlinger.

Pour M. Foot, « les fonds communs de placement sont très utiles comme première étape vers la fin de la quarantaine et au début de la cinquantaine, lorsqu’on commence à investir sur les marchés boursiers et qu’il faut diversifier. Avec à peine 30 000 $ à investir, les fonds communs de placement permettent de diversifier le portefeuille, mais les gens comprennent très vite que les coûts de gestion de ces fonds en éliminent, voire en dépassent, les rendements. Donc, vers la fin de la cinquantaine, les gens vont de plus en plus commencer à investir en solo.»

Une chose est certaine : avec les baby-boomers vieillissants et exigeants et leurs enfants formant l’écho qui s’établissent aujourd’hui, le secteur des services financiers risque d’être effervescent. Avis aux conseillers : il faudra rester vigilants.

RÉFÉRENCES


Entre le boom et l’écho 2000, David K. Foot en collaboration avec Daniel Stoffman, 1999, Boréal, 387 pages. The Money Machine: How the Mutual Fund Industry Works – And How to Make It Work for You, Daniel Stoffman, 2001, Macfarlane Walter & Ross, 240 pages. Site Internet de David K. Foot: www.footwork.com


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Charles-Antoine Rouyer