Des combinaisons à succès

Par Lili Marin | 10 mai 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
11 minutes de lecture

Ils ont jusqu’à 200 M$ d’actif à gérer, comprenant des portefeuilles oscillant entre 300 000 $ et 500000$. Quel est leur secret?

Couchés très tard, levés très tôt, passent-ils tout leur temps au bureau? Ont-ils perdu le sens de l’humour depuis qu’ils ont le sens des affaires? Plutôt que de spéculer, nous nous sommes entretenus avec quelques conseillers d’élite, question de voir comment ils ont su gagner la confiance de leurs clients et la reconnaissance de leurs pairs.

«Je suis une personne relativement disciplinée et je pense que c’est la qualité dominante de la plupart des gens qui font ce métier. Je ne crois pas que l’on puisse durer autrement», estime Anne-Marie Girard-Plouffe. En 23 ans de métier, celle qui est aujourd’hui associée du cabinet Option Fortune et qui œuvre sous la bannière Valeurs mobilières Partenaires Cartier a réussi à cumuler un nombre impressionnant de titres professionnels. En outre, elle a siégé pendant sept ans au conseil d’administration de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), qu’elle a présidé en 1997-1998. Et, entre-temps, elle a élevé deux enfants!

« Je n’ai qu’une seule ressource : le temps. Alors, je dois l’occuper comme il le faut. C’est beau de mettre des heures, mais il faut les mettre à la bonne place.  »

Claude Boisvenue, conseiller en valeurs mobilières et président fondateur des Services financiers Dr (qui desservent les membres de l’Association des médecins de langue française du Canada ainsi que d’autres professionnels et gens d’affaires depuis 1995), partage ce sens de l’organisation. «Je n’ai qu’une seule ressource : le temps. Alors, je dois l’occuper comme il le faut. C’est beau de mettre des heures, mais il faut les mettre à la bonne place.» Facile à dire, mais pas si facile à faire. Pour plus d’efficacité, Denis Gamache, conseiller en placement et en sécurité financière à la RBC Investissements depuis 13 ans, a d’ailleurs fait appel à un consultant externe. Depuis, afin de respecter son plan d’affaires, son agenda est réglé à la minute près. Lecture des nouvelles, recherche, communications avec les clients, rencontres avec des clients potentiels, prospection, supervision des tâches administratives, analyse technique, tout a sa case horaire. «Il y a constamment des interruptions, et je trouve ça difficile à gérer parce que j’ai un tempérament qui me pousse à vouloir satisfaire les demandes immédiatement. La solution à mon problème, c’est de bloquer du temps.»

Et lorsqu’il est trop nerveux, il peut actionner un petit appareil qui émettra le bruit des vagues ou un chant d’oiseau. Un cadeau de Noël de son adjointe, qui le trouvait souvent anxieux. «C’est important, entre collaborateurs, qu’il y ait une bonne chimie», assure-t-il. Pour Benoît Parenteau, planificateur financier et directeur de la succursale de Saint-Léonard d’Option Retraite, s’entourer d’habiles collaborateurs est primordial. «Si je ne suis pas là un matin, ils savent comment faire le hamburger. Ils sont capables de continuer mon travail.» Vice-président à la Financière Banque Nationale et directeur des bureaux de Rivière-du-Loup et de Matane, Carol Jean compte également sur la synergie dont sait faire preuve son équipe. Tandis qu’il s’occupe de développer sa clientèle, son associé, Benoît Leclerc, se concentre davantage sur la gestion de portefeuilles. Une troisième conseillère, Isabelle Lagacé, a aussi ses clients attitrés. Quant à leur assistante aux ventes, Sophie Boutin, elle finalise une formation en planification financière. «Nous connaissions moins le domaine des assurances et nous trouvions important d’avoir quelqu’un dans cette spécialité près de nous, dit Benoît Leclerc. Pour elle, c’est valorisant de pouvoir offrir une plus-value à nos clients.»

Une démarche systématisée est ce qui a permis à Luc Thériault, qui travaille dans le domaine financier à Lévis depuis une dizaine d’années, de percer. «J’ai commencé par le bottin téléphonique pour aller chercher mes clients. Je prenais le téléphone et je ne le lâchais pas tant que je n’avais pas fixé de rendez-vous», se remémore-t-il. Encore aujourd’hui, la persévérance le caractérise. «Si je contacte un éventuel client et qu’il n’est pas prêt, je le rappelle l’année suivante, avec sa permission, bien sûr. Je peux le suivre ainsi pendant trois ou quatre ans.» Aussi sait-il être patient avec les jeunes qui commencent leur vie financière. «J’agis presque comme un professeur, plutôt que comme un vendeur. Je suis capable de bien simplifier les choses pour qu’ils puissent comprendre les produits financiers.» Pas étonnant : il a déjà été professeur d’administration à l’enseignement secondaire.

Si le conseiller moyen n’a pas beaucoup de contacts avec son client, le bon conseiller en a un privilégié. «Un client qui s’en va, la plupart du temps, ce n’est pas parce qu’il a eu un mauvais rendement de son portefeuille, c’est parce qu’il n’a pas eu de communication avec son conseiller», assure Carol Jean qui, en plus de rencontrer sa clientèle à intervalles réguliers, lui fait parvenir une lettre financière personnalisée par télécopie ou par courriel. De son côté, Benoît Parenteau tient à jour des fichesclients, sur lesquelles il inscrit par exemple si le client aime le golf ou les spectacles et les dates de naissance de ses enfants s’il en a. «C’est important pour assurer la relève. Si mon client est dans la soixantaine et que j’ignore qu’il a des enfants dans la trentaine, il est très probable qu’ils ont déjà un autre courtier.» Cette habitude de tout documenter, il la tient des années qu’il a passées au sein des cabinets de comptables où il faisait de la vérification.

Pour Anne-Marie Girard-Plouffe, qui offre des services intégrés aux propriétaires d’entreprise, et aux professionnels qui les entourent, une bonne connaissance du client s’avère essentielle pour poser un bon diagnostic. «Si un patient va consulter un médecin parce qu’il a mal à une jambe, le médecin va aussi s’informer du reste. Peut-être se rendra-t-il compte que le mal de jambe est dû à une blessure au dos.» Bonne généraliste, elle compte sur des connaissances un peu plus pointues dans certains domaines qu’elle peut utiliser comme levier. «Je participe à énormément d’activités de formation, mais j’apprends tout le temps. C’est exceptionnel que je revienne à mon bureau et que je me dise que ça ne m’a rien donné. Ça me donne la possibilité de connaître d’autres idées que je pourrais suggérer à mes clients pour améliorer leur situation financière.» Et les notions d’empathie et de découverte de besoins qu’elle a acquises lors de sa formation initiale (en enseignement de l’histoire et de la géographie), elle les applique encore aujourd’hui.

Benoît Parenteau, Pl.Fin., est directeur de succursale au sein d’Option Retraite.

Benoît Parenteau, Pl.Fin., est directeur de succursale au sein d’Option Retraite.

À ce chapitre, Benoît Parenteau veille à bien expliquer son rôle à son client et à vérifier les attentes de ce dernier, quitte à le faire par écrit, évitant ainsi de nombreux malentendus. Si jamais les atomes crochus font défaut, il croit qu’il faut faire preuve de franchise et avoir assez de confiance en soi pour l’avouer au client. «Si on n’a pas envie d’appeler un client, c’est qu’on n’a pas à être son conseiller. On s’aperçoit souvent que le client a la même réaction, mais il ne le dira pas.»

C’est justement la psychologie, davantage que les chiffres, qui pose un défi à Claude Boisvenue. Son esprit scientifique (il est ingénieur de formation) a mis du temps à admettre que la logique des émotions prend souvent le dessus sur les investisseurs, notamment en période d’euphorie. Sa connaissance rationnelle des cycles économiques lui permet toutefois de garder la tête froide et d’affirmer sans aucun doute que «ceux qui cherchent à spéculer se tirent toujours dans le pied». À cet égard, il cite des études démontrant que 90 % du rendement est attribuable à la répartition de l’actif. «Si c’est vrai, on devrait passer 90 % de notre temps à essayer d’évaluer la bonne catégorie d’actifs, pas à essayer de voir quelles actions vont mieux se comporter.» Notons que ses trois portefeuilles les plus modérés se classent parmi les 10 premiers au pays depuis environ 5 ans.

Denis Gamache, qui reçoit des honoraires professionnels plutôt que des commissions pour une portion de plus en plus importante des actifs qu’il gère, abonde dans le même sens. Il croit qu’on devrait toujours gérer un portefeuille comme si un problème pouvait survenir et résister aux demandes des clients qui se disent soudainement «ambitieux». «Quand les rendements sont négatifs, on s’aperçoit que la protection du capital est bien importante pour les gens.» Pour cela, il considère qu’il vaut mieux restreindre son champ d’action. «Quand tu détiens mille et un titres différents pour tes clients, ça devient difficile à suivre.» Dans l’éventualité d’une perte, la meilleure stratégie est d’en parler immédiatement et de limiter les dégâts, «plutôt que de se dire que c’est du long terme et que les choses vont se replacer». Parce que, parfois, ce n’est pas le cas.

Dans cette veine, Luc Thériault a pu constater les mérites de l’analyse technique. «Il s’agit simplement de suivre des indicateurs de moyenne mobiles pour les fonds communs et de se réfugier dans le marché monétaire de temps à autre.» Depuis deux ans, il est arrivé à marquer des points grâce à cette démarche, obtenant des rendements positifs enviables.

Il utilise aussi un stratagème simple qu’il a appris dans un magazine. Le jeudi matin, il achète un billet de loterie et l’envoie de façon anonyme à un éventuel client dans une lettre disant que ce billet peut changer son avenir. Le lundi suivant, il envoie une seconde lettre dans laquelle il convient qu’il n’a pu influencer le hasard, mais qu’il se débrouille bien en planification financière. Cette fois-là, la lettre est signée. «Le jeudi suivant, je me présente en personne, continue Luc Thériault. La majorité des gens m’accueillent avec un sourire en coin : ils trouvent ça astucieux. C’est amusant, ce n’est pas harcelant et ça ne va pas dans la poubelle.»

Anne-Marie Girard-Plouffe

Anne-Marie Girard-Plouffe

En aucun cas un bon travail n’autorise à se reposer sur ses lauriers, comme nous l’ont rappelé tous ceux que nous avons interrogés. «Ça prend énormément de discipline, insiste Anne-Marie Girard-Plouffe. On veut toujours aller de l’avant pour trouver des manières de se simplifier la vie et être capable de donner un service hors pair sans nousmême y laisser notre peau.»

Ces manières, bien qu’elles varient selon les milieux, sont à la base du succès. «On apprend dans notre domaine qu’on est responsable des moyens, mais pas des résultats, résume Benoît Parenteau. En d’autres mots, si on s’est bien protégé et qu’on a pris de bons moyens, qu’on a fait les placements en fonction du niveau de risque que le client est prêt à tolérer, on n’est pas forcément responsable des résultats. Par contre, si au départ on a fonctionné à peu près, on est un peu plus responsable des résultats.»

Toutefois, la chance fera toujours partie des facteurs de réussite, croit Claude Boisvenue, en se référant à un article publié par la revue Fortune il y a quelques années. «Ils avaient interrogé une centaine de chefs de direction à travers le monde pour savoir si la chance y était pour quelque chose dans leur réussite. Quatre-vingt-dix pour cent ont dit oui. Être à la bonne place au bon moment, rencontrer le bon gars pour te coacher. C’est important de travailler, mais il faut savoir saisir les occasions lorsqu’elles se présentent. Si on n’a pas de chance, ce n’est pas grave, on peut tout de même bien réussir, mais il ne faut pas à l’inverse se vanter que, si on a réussi, c’est seulement dû à notre travail.»


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2003 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Lili Marin