Dix mille ans de fraude financière

Par Jean-François Venne | 2 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Personnage fuyant un sac d'argent sur le point d'exploser.
Photo : 123RF

En forçant les autorités à adapter leur réglementation, la fraude sert de moteur à l’évolution du système financier. C’est la thèse étonnante que défend Omar Fassal dans Une histoire de la fraude financière. Le banquier, professeur de finance et chroniqueur marocain s’est expliqué à Conseiller.

Conseiller : Pourquoi écrire une histoire de la fraude financière?

Omar Fassal : J’ai écrit ce livre parce que je n’en trouvais pas l’équivalent. Il y a beaucoup d’ouvrages sur la fraude portant sur une période particulière comme les années 1980, le Moyen-Âge ou la Rome antique. Il manquait un panorama global de l’histoire de la fraude financière.

D’aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire, on retrouve des indices de fraude. Ce n’est pas un détail. La fraude est l’un des fondements du système financier. C’est le moteur de l’innovation dans le secteur.

En effet, la fraude génère de la violence. Cette dernière est rejetée par la société. Les autorités innovent donc en créant des règlements afin d’éliminer cette fraude. C’est une dynamique sans fin, car d’autres types de fraude surgissent, suscitant de nouvelles innovations et ainsi de suite.

Bien sûr, toutes les fraudes ne jouent pas ce rôle de moteur. Certaines sont simplement anecdotiques. Toutefois, d’autres apparaissent à des époques précises en raison d’une mutation du capitalisme, comme lorsque les humains se sédentarisent et se mettent à l’agriculture, lors de l’essor du capitalisme marchand au XIIIe siècle, ou encore au moment de l’avènement du capitalisme industriel. Ces évolutions offrent de nouvelles opportunités de gains, donc de fraude…

C : Quels sont les premiers cas de fraude recensés dans votre ouvrage?

OF : Cela remonte à 8 000 ans avant notre ère, en Mésopotamie. Les gens peuvent déjà prêter ou emprunter des produits agricoles, avec intérêts. Il faut garder la trace de ces transactions. Cela mène rapidement à l’invention d’une forme rudimentaire de comptabilité. Des jetons en argile représentent différents biens : une boule pour un boisseau de grain, un cylindre pour un animal, etc.

On s’en doute, il est aisé de tricher en fabriquant soi-même des jetons. Pour éviter cela, un système d’enveloppes en argile scellées est développé. On incruste les jetons dans une boule en argile, que l’on ne peut ouvrir qu’en la brisant. Le système continue ensuite de se raffiner, notamment avec l’ajout de sceaux du propriétaire, des autorités, etc. Tout cela à cause des risques de fraude.

Omar Fassal.

Omar Fassal.

C : Parmi toutes les histoires de fraude évoquées dans votre livre, quelle est celle que vous préférez raconter?

OF : J’avoue que celle de Thalès de Milet me fait sourire. Ce philosophe grec était très distrait et faisait rire de lui parce qu’il était rêveur et pauvre et ne faisait rien pour gagner de l’argent. C’est pourtant lui qui réalisa l’un des premiers corners de l’histoire, c’est-à-dire une manipulation de marché par laquelle un intervenant achète un actif jusqu’à en posséder assez pour en contrôler l’évolution des prix.

Lassé des moqueries, Thalès étudia longuement les données pouvant déterminer si la prochaine récolte d’olives serait bonne (climat, précipitations, croissance des arbres, etc.). Une fois rassuré, il loua à l’avance toutes les presses d’olives de Milet. Lorsque les agriculteurs se dirigèrent pour presser leurs olives, ils durent payer les prix élevés exigés par le philosophe, bien content de leur donner une petite leçon.

C : Votre ouvrage, qui s’arrête au XIXe siècle, montre que les autorités ont souvent été très sévères envers les fraudeurs. Dans certains cas, la pénalité était la mort. Sommes-nous devenus plus tolérants envers la fraude?

OF : Certes, aucun banquier n’a été mis à mort après la crise des subprimes. Cela ne signifie pas pour autant que nous soyons plus tolérants, en tant que société, envers les fraudeurs. Les sociétés ont toujours dit non à la fraude. On la condamne déjà dans les plus anciens textes juridiques connus, comme le Code de Hammurabi, vers 1750 avant notre ère.

Par contre, je crois que la fraude s’est grandement complexifiée et qu’il y a présentement beaucoup de zones grises entre ce qui est légal ou illégal, moral ou immoral. Il y a lieu de se questionner sur certains types de fraude financière devenus omniprésents aujourd’hui, comme l’évasion fiscale, et d’examiner l’impact qu’ils ont sur l’évolution du système financier.

Mais il est très difficile de traiter des cas de fraude internationaux sans régulateur capable de transcender les frontières et de mener de véritables enquêtes. Chose certaine, j’ai beaucoup de matière pour un second ouvrage!

Fassal, Omar. 2016. Une histoire de la fraude financière. Montréal : Éditions Liber. 226 p.

Jean-François Venne