Fusion des agents généraux : la fin des indépendants?

Par La rédaction | 26 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Depuis plusieurs années, les grands groupes gagnent du terrain en matière de contrôle de la distribution dans l’industrie de l’assurance de personnes, ce qui modifie considérablement le paysage financier au pays. Ce phénomène risque de sonner le glas de plusieurs joueurs indépendants, estiment notamment certains professionnels que Conseiller a interrogés.

Dernière phase en date de ce mouvement de concentration, le Groupe Financier Horizons a annoncé le 19 mai qu’il venait d’être racheté par la compagnie d’assurance vie Great-West. Acteur important dans le secteur des agences de gestion générale indépendantes sur le marché canadien, il dispose d’un réseau de quelque 6 600 conseillers et de 30 succursales répartis d’un océan à l’autre, en plus d’être propriétaire d’un courtier membre de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ou MFDA en anglais), ayant un actif administré de 1,2 milliard de dollars, principalement au Québec.

Au cours des six dernières années, alors que la majorité de ses actions étaient détenues par Genstar Capital, une société de financement par capitaux propres basée à San Francisco, le groupe a connu un essor considérable et sa stratégie de consolidation active lui a permis d’acquérir une trentaine d’agences de gestion générale.

« PRÉVISIBLE DEPUIS DES ANNÉES »

Ce phénomène de concentration, qui met une nouvelle fois en relief la question de l’avenir des agents généraux (MGA), n’étonne pas Larry Bathurst. Associé à Planex Solutions financières, à Saint-Jérôme, le conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective estime même que « ce mouvement était prévisible et prévu depuis plusieurs années ». Lors de la première mouture de la loi 188, à la toute fin des années 1990, le régulateur a aboli la « règle du 20 % », qui prévoyait qu’une institution financière ne pouvait détenir plus de 20 % de participation dans un cabinet de courtage en assurances de personnes, rappelle-t-il.

« L’abolition de cette règle a permis à des institutions financières, surtout les banques et les grandes firmes de courtage en valeurs mobilières, de créer leur propre MGA [agent général] et a ouvert la porte à l’acquisition éventuelle de grands MGA », note le Pl. Fin.

« Les exigences de volume minimum exigées et imposées par les assureurs nuisent à la relève et à l’apparition de nouveaux MGA et concentrent les affaires dans les « gros cabinets » », déplore-t-il. Et ces derniers prennent alors tellement d’importance que « leur prix de vente devient hors d’atteinte d’un acquéreur autre qu’une institution financière ». Soulignant que « le nerf de la guerre est l’accès au réseau de distribution, qui constitue une denrée précieuse pour un assureur », Larry Bathurst rappelle qu’« au fil de la dernière décennie, il y a eu fusions de plusieurs MGA, créant ainsi un réseau extrêmement alléchant pour un assureur, comme le montre encore l’exemple récent du Groupe Financier Horizons, qui représente un bassin de plusieurs milliers de conseillers ».

LA FAUTE AU POIDS RÉGLEMENTAIRE?

Flavio Vani partage cet avis. Selon le président et porte-parole de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), « la complexité des règles de conformité [croissante depuis 2008] et la démesure des coûts que cela a engendré contribuent à la concentration de l’industrie des services financiers, les grands réseaux nationaux profitant de la situation pour acquérir les petits et moyens cabinets régionaux qui se sont résignés à vendre ».

Dans ce contexte « de concentration toujours plus grande », le président de l’Association s’inquiète que « de nombreux travailleurs autonomes voient leurs revenus baisser » et qu’« ils deviennent en fait des employés “bon marché” pour le compte de plusieurs institutions financières ».

LES INDÉPENDANTS EN PÂTISSENT

Flavio Vani soutient par ailleurs que « les regroupements réduisent le choix des représentants indépendants et des [clients] ». « La concentration de la distribution précède la concentration dans la gestion. Les conseils sont offerts en distribution. Or, plus celle-ci sera concentrée, moins les conseils seront objectifs et plus le choix de produits sera orienté », étant donné que « les indépendants doivent conclure des ententes avec les sociétés intégrées […] pour accéder à la distribution », explique-t-il.

Spécialisé en assurance, l’avocat à la retraite Yves Le May croit pour sa part que « les assureurs ont favorisé les agents généraux par des surcommissions, entre autres », et que les agents indépendants se sont rattachés aux MGA « pour simplifier l’administration et avoir un contact plus direct [avec eux] ». L’agent général perçoit des commissions de base qu’il redistribue aux représentants, mais il reçoit aussi des commissions de volume, ou « surcommissions », qu’il ne redistribue pas nécessairement.

De plus, « il peut percevoir d’autres montants, en tant que publicité, prêts de faveur, vente d’une partie de ses actions ou prise d’intérêt ». Enfin, « il est plus facile pour un assureur de communiquer avec un agent général qu’avec les représentants qui font affaire avec lui, car ces derniers sont souvent difficiles à joindre », ajoute Yves Le May.

Interrogé sur les conséquences de la consolidation en cours au sein de l’industrie, Larry Bathurst croit qu’il s’agit d’un mouvement de fond et que « c’est le début de la fin des MGA totalement indépendants ». Cela provoquera « une plus grande emprise des assureurs sur la distribution » et pourrait aussi entraîner « une modification de la réglementation de la distribution en assurance de personnes en rendant un conseiller « exclusif » à un seul MGA », explique-t-il. « Si ce dernier point devient une réalité et que les exigences de volume minimum demeurent, ce sera la fin des MGA de petite et moyenne tailles », ajoute le Pl. Fin.

« Le mouvement auquel nous assistons me semble irréversible, à moins qu’une réglementation ne soit mise en place pour niveler les règles du jeu et faire en sorte que tous les agents généraux, quelles que soient leur taille et leur volume de ventes, puissent distribuer les produits de tous les assureurs sans exigences de volume de vente minimum. C’est la norme dans l’industrie des fonds communs de placements depuis toujours et cela a permis à des courtiers en fonds communs de naître et de devenir des joueurs importants dans l’industrie », analyse Larry Bathurst.

Selon lui, une question se pose aujourd’hui : « Est-ce que l’industrie de l’assurance de personnes souhaite ouvrir le marché et permettre l’expansion des MGA indépendants ou veut-elle prendre le contrôle de la distribution? »

LA RELÈVE DE PLUS EN PLUS RARE

« Si le phénomène de concentration dans le secteur se poursuit, cela risque d’entraîner, à terme, un tarissement de la relève, des départs anticipés à la retraite et des pertes de valeur des pratiques d’affaires. En outre, les plus jeunes représentants indépendants pourraient renoncer à leur statut de travailleur autonome et joindre une institution [financière] à titre d’employés salariés », craint aussi Flavio Vani.

« Les exigences des professionnels seront fonction du marché auquel ils seront attitrés, avec des écarts élevés dans les compétences », met en garde l’APCSF.

De même, elle craint qu’en termes de recrutement, le choix ne devienne plus restreint. « Les nouveaux arrivants seront limités et ils devront se joindre à un cabinet ou à un conseiller de carrière établi, qui dessert une clientèle du marché aisé et intermédiaire ». Avec pour résultat que « le développement de nouvelles pratiques sera très peu courant ».

« Globalement, la démocratisation financière s’est détériorée depuis les années 1990, en raison d’un environnement de plus en plus concentré au Canada, et en particulier au Québec, mais aussi partout ailleurs dans le monde », conclut Flavio Vani.

De son côté, Yves Le May dit « entrevoir encore une diminution des représentants autonomes, c’est-à-dire non rattachés à un agent général, qui auront sans doute davantage de difficultés à faire affaires directement avec les assureurs ». « À long terme, les effets pourraient être néfastes pour les plus petits assureurs, car les MGA, en devenant de plus en plus gros, pourront encore plus dicter leurs conditions », déplore-t-il.

Interrogée par Conseiller, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) a pour sa part indiqué « ne pas avoir d’opinion sur la question ».

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