La croissance mondiale à nos portes

Par Yves Bonneau | 16 mai 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Jacques Attali

La Chambre de commerce française au Canada (CCFC), en partenariat avec le Centre Financier International de Montréal (CFI Montréal), recevait Jacques Attali, écrivain et président de PlaNet Finance, dans le cadre d’un déjeuner-conférence hier. Cet événement, qui a réuni près de 550 personnes, a permis à M. Attali de faire un tour d’horizon géopolitique et historique de l’après crise financière de 2008.

Se déclarant d’entrée de jeu dans le camp des optimistes « qui voient la lumière au bout du tunnel plutôt que celle du train qui leur fonce dessus », l’auteur de Tous ruinés dans dix ans (et de 56 autres ouvrages) dit que tout est en place actuellement pour vivre une formidable croissance mondiale. « Il n’y a jamais eu dans l’histoire de l’humanité autant de facteurs réunis: absence de conflits majeurs, diminution radicale du nombre d’états totalitaires au profit de démocraties, accessibilité quasi universelle aux moyens technologiques et aux ressources, etc. »

Son analyse des vecteurs de changement se porte d’abord sur le continent africain. « Aucun endroit au monde ne verra sa population doubler au cours des prochaines 40 années, le 21e siècle sera indubitablement le siècle de l’Afrique! » Une Afrique en forte proportion francophone de surcroît, notant au passage l’opportunité fabuleuse pour le monde francophone de participer à cette croissance et à son développement. « Quel pays a affiché la plus forte croissance l’an dernier? Ce n’est pas en Asie : c’est le Ghana, avec 13 % », a-t-il observé. Selon lui, l’Afrique sera aussi le problème majeur de l’humanité en raison de la progression de son poids démographique et du virage de pouvoir qui s’opérera en sa faveur.

La période actuelle en est une de progrès comme jamais dans l’histoire, doublé d’un autre facteur de croissance : le fait que la population de la planète soit en mouvement. Jacques Attali fait remarquer quatre vagues de progrès techniques simultanées : les technologies de l’information et de la communication, les biotechnologies, les nanotechnologies et le développement énergétique. À cela s’ajoutent la liberté individuelle, qui favorise l’esprit d’entreprise, ainsi que la multiplication des moyens de communication et d’échanges. « Pourquoi alors sommes-nous dans une telle crise économique malgré les 10 trillions d’épargne disponible à travers le monde ? », a-t-il questionné. Il s’agit là de la grande incertitude actuelle, c’est à dire que « les puissances occidentales détestent perdre leur suprématie et voir reculer leur pouvoir. Elles utilisent donc les armes de la finance, notamment  »l’arme Madoff »’ : celle de l’endettement ». Il image ainsi la conjoncture :

« L’occident n’accepte pas son déclin relatif. C’est un peu comme un souper d’alcooliques qui ont décidé de ne plus boire et, pour fêter ça, décident de prendre un dernier verre… On attend un messie, un sauveur comme aux États-Unis où on attend la cavalerie après avoir augmenté leur dette colossale. »Malgré tout, dit-il, les valeurs de l’Occident triomphent partout sur le globe, vêtements, produits technos, modes, nourriture etc. « Quand l’Empire romain est disparu, tous les barbares sont devenus romains », a-t-il illustré. Néanmoins, personne ne remplacera l’empire américain dans son déclin relatif, selon l’éditorialiste de L’Express.

Mettant en garde l’assistance contre les dérives de la mondialisation dans un contexte où il existe une économie de marché planétaire sans état de droit commun, il affirme que : « La globalisation pourrait devenir la somalisation de la planète, où les développements extraordinaires entraînent des inégalités effarantes. Dans un monde où plus d’un milliard d’êtres humains vont se coucher sans manger, il sera de plus en plus cher d’être pauvres et de moins en moins cher d’être riches. » De plus, l’économiste et ex-conseiller de Mitterrand explique qu’un marché commun mondialisé existe pour la première fois sans qu’il soit régi par un État de droit. Le monde est, selon lui, à « des lumières de l’État de droit », ce qui ouvre la porte aux trafics d’armes et de drogues de la part des états voyous. Il faut agir avant que le chaos ne l’emporte comme en 1907, avant les deux grandes guerres, avant la Révolution russe et la montée du communisme.

L’Europe n’est pas en reste. « Aucun espace ne peut rester unique sans État de droit », a-t-il insisté. L’Europe peut y arriver assez rapidement en autant qu’elle puisse arriver à établir ce qu’il qualifie « d’altruisme intéressé ». Il conclut sur ce point en indiquant qu’un état de droit a besoin d’un chef et que l’Europe doit tendre vers un état fédéral qui, dans sa logique rationnelle appelle un marché commun, des normes partagées, une monnaie unique. Sinon l’Union se dissoudra. « Il y a 50 milliards d’euros disponibles, la difficulté est d’ordre organisationnelle. Ce n’est pas une question de volonté », a-t-il analysé.

En conclusion, Jacques Attali a pris l’histoire américaine à témoin en souhaitant un dîner à la Jefferson, Hamilton et Madison faisant référence à la célèbre rencontre de 1790 aux États-Unis alors que les trois personnages ont littéralement défini à l’occasion d’un repas les fondements économique de l’Union américaine et l’emplacement de la capitale, Washington. 

À la période de question, Lucien Bouchard, ex-premier ministre du Québec, a demandé à M. Attali si M. Hollande et Mme Merkel pouvaient devenir les « Jefferson, Hamilton et Madison » de l’Union européenne. M. Attali a dit être « très optimiste sur ce point », le premier étant un pro-européen et pro-fédéralisme et la seconde très rationnelle, et considère de plus en plus « que l’Europe est la solution à la croissance de l’Allemagne ».

Notes biographiques sur Jacques Attali Professeur, écrivain, conseiller d’État honoraire, conseiller spécial auprès du Président de la République de 1981 à 1991, Jacques Attali a été fondateur et premier président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement à Londres, de 1991 à 1993. Il est maintenant Président de A&A (société internationale de conseils spécialisée dans les nouvelles technologies) et Président de PlaNet Finance. Organisation de Solidarité Internationale spécialisée dans le développement de la microfinance, PlaNet Finance est la plus importante institution mondiale de soutien à la microfinance, en conseillant et en finançant le développement de la microfinance dans 80 pays.

Yves Bonneau