La retraite fait surchauffer vos calculettes

Par Gérard Bérubé | 9 mai 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Aussi sophistiqués soient-ils, les différents outils de calcul relatifs au coût de la retraite atteignent rapidement leurs limites. La planification théorique cède le pas à l’individualisation.

Pour Renaud Bourget, actuaire à Retraite Québec, les conseillers sont très bien outillés pour accompagner leurs clients dans leurs particularités. Les modèles utilisés, tels ceux proposés par l’Institut québécois de planification financière ou encore les simulateurs de Retraite Québec, reposent sur des normes, des hypothèses et des projections qui en font de bons guides. « Mais il n’y a pas de modèle parfait. Il faut régulièrement revoir les balises, les hypothèses, voire les objectifs, les réviser au besoin, et réconcilier les écarts. Nous, les actuaires, le faisons aux trois ans, mais nous travaillons avec un horizon de temps plus lointain. Chez les planificateurs et les conseillers, l’exercice devrait se faire idéalement chaque année », dit-il.

Pascal Guérin, associé, conseiller en sécurité financière chez Talbot, Olivier, Côté et Associés, Gestion de patrimoine, estime pour sa part que ces outils font un travail « moyen ». En effet, « tous n’abordent pas les notions d’impôts, de fractionnement du revenu, des avantages de repousser les prestations de sécurité de vieillesse (PSV), du Régime de rentes du Québec (RRQ) ou encore de la récupération de la PSV de la même façon. Il faut travailler au cas par cas et revoir le dossier annuellement », insiste-t-il.

« Les balises importent, mais ce ne sont pas des panacées. On ne peut se soustraire aux circonstances personnelles, à la planification individuelle », résume F. Hubert Tremblay, conseiller principal à Mercer.

SE MÉFIER DES AUTOMATISMES

Reste que les différents outils mis à la disposition des conseillers ne sont pas sans s’inspirer d’automatismes et de fausses perceptions. Arrive en tête de liste des vieux réflexes qui ont la vie dure ce trop-plein d’attention accordé à la phase d’accumulation, moins à celle du décaissement. Suit la fameuse cible du 70 % du revenu de remplacement. Et que dire de cette incompréhension autour de l’espérance de vie et du risque de longévité ? Ou encore de la sous-estimation de la portée réelle des frais de gestion en cette ère de faibles rendements ? Sans parler de l’impact d’une conjoncture économique difficilement prévisible. Les écueils peuvent être nombreux.

De cette liste, Renaud Bourget ressort, d’entrée de jeu, la place encore trop grande accordée à la phase d’accumulation dans la démarche de planification : « Certes, l’habitude d’épargne demeure le message à véhiculer, mais l’importance de la phase de décaissement est sous-estimée. » L’actuaire retient notamment qu’on ne dit pas suffisamment fort que le REER sert à reporter l’impôt et que le CELI peut être plus approprié dans certaines circonstances.

À ce risque du décaissement trop souvent mal évalué s’ajoute celui lié à longévité. « À la RRQ, les rentes sont indexées. Voilà une base du filet social qui permet de parer au risque de longévité. Mais c’est encore peu ancré dans les mentalités. Au lieu d’y voir une protection contre le facteur longévité, on se sert trop souvent des régimes publics pour prendre une retraite anticipée. La différence entre une valeur présente à 60 ans et une valeur présente à 65 ans peut être énorme ! », insiste Renaud Bourget. Sans compter le jeu de la dissuasion à une retraite hâtive et d’incitation, sous forme de bonification, à une retraite tardive.

« Au lieu d’y voir une protection contre le facteur longévité, on se sert encore trop souvent des régimes publics pour prendre une retraite anticipée. »

Renaud Bourget, actuaire à Retraite Québec

F. Hubert Tremblay revient également sur cette notion plus ou moins comprise d’espérance de vie : « Grosso modo, la moitié des gens vont vivre plus longtemps que l’espérance moyenne, qui est très variable dans la population d’un groupe à l’autre. Et cette croyance voulant que l’on dépense moins à 80 ans qu’à 65 n’est plus vraie. On vit plus vieux et en meilleure santé. » Lors d’une présentation faite en octobre 2014 dans le cadre de l’assemblée annuelle de la Society of Actuaries, Jean-Claude Ménard, actuaire en chef au Régime de pensions du Canada, le martelait : « Si l’amélioration de l’espérance de vie observée récemment, en particulier chez les 75 à 89 ans, se poursuit au rythme actuel, les hypothèses à long terme devront être ajustées en conséquence. » Il s’attend à ce que l’espérance de vie à 65 ans augmente de 3 ans pour atteindre 25 ans d’ici les 50 prochaines années. « Ce qui indique que la moitié des retraités canadiens dépasseront l’âge de 90 ans », met-il en exergue.

Vient ensuite cette référence du 70 % du revenu de remplacement, qui ne tient pas la route. « C’est une vieille règle. Je préfère travailler avec un pourcentage entre 50 et 70 % », soutient F. Hubert Tremblay. Renaud Bourget rappelle quant à lui que les régimes publics s’appuient sur le seuil du 60 % et que l’étendue de la protection varie selon le niveau de revenu. Que les bas salariés, gagnant moins de 35 000 $ par année et n’ayant pas d’autres revenus à la retraite, sont bien protégés par les régimes publics selon la règle du 60 %. Mais qu’entre 30 et 40 % des travailleurs se retrouvent sous cette valeur de remplacement.

« Les gens ont souvent une vision déformée de leurs revenus en comparaison avec leurs placements. »

Pascal Guérin, associé, conseiller en sécurité financière chez Talbot, Olivier, Côté et Associés

Dans sa pratique, Pascal Guérin retient le minimum de 70 % du revenu de travail des 5 dernières années comme hypothèse de travail, à certaines conditions. Il évalue les revenus requis pour vivre jusqu’à 90-95 ans à un taux de rendement de 3,5 ou 4 %, car il estime qu’il vaut mieux faire une planification de retraite avec un rendement moindre. « Chaque client est unique. On tient compte de l’âge de la retraite, du sexe, du statut familial, du revenu familial, de la présence ou non d’un régime de retraite, de la valeur des placements, d’un héritage en vue, des dépenses à couvrir, des rêves à réaliser, des objectifs testamentaires et de la fiscalité au décès, de la provenance des revenus, des impôts, des crédits, des différents placements fiscalement avantageux… », énumère-t-il.

L’ENJEU DES FRAIS… ET DES INCONNUES

F. Hubert Tremblay identifie un autre facteur pouvant faire la différence entre réussir sa retraite ou manquer le bateau : les frais de gestion. « Les frais perçus pour l’administration deviennent d’autant plus un élément clé que l’on évolue dans un environnement de faibles rendements et que l’on travaille sur une base individuelle », insiste-t-il. C’est, d’ailleurs, l’idée sous-jacente à l’avènement du régime volontaire d’épargne-retraite, soit d’abaisser les frais de gestion en consolidant l’épargne individuelle autour d’une masse critique collective, mais dont le succès reste encore à démontrer. « L’enjeu des frais se vérifie davantage en phase de décaissement, là où les investissements sont moins risqués », ajoute le conseiller de Mercer.

« Grosso modo, la moitié des gens vont vivre plus longtemps que l’espérance moyenne. »

F. Hubert Tremblay, conseiller principal à Mercer

À cette longue liste de considérations s’ajoutent des éléments à portée prospective ou prévisionnelle. F. Hubert Tremblay souligne notamment que les retraités sont très nombreux à être propriétaires de leur résidence. « Cela peut faire partie de la solution. L’actif immobilier jouera pour les cinq à dix prochaines années », prend-il cependant soin d’ajouter. « Après, la valeur immobilière réelle sera fonction des équilibres qui s’établiront selon l’évolution démographique de l’offre et de la demande sur le marché immobilier. »

Le conseiller pointe également en direction de l’inflation, une autre variable très critique pour un nombre accru de retraités ne disposant pas de régime à prestations déterminées à l’extérieur des régimes publics : « L’avantage d’une inflation basse semble vouloir persister, mais sa volatilité reste une inconnue ». Et F. Hubert Tremblay de rappeler ces prévisions de hausse des taux d’intérêt qui ne se matérialisent toujours pas. « La hausse demeure dans les cartes. On ne sait seulement pas quand et à quel niveau. La dynamique actuelle devrait toutefois prévaloir, avec des taux d’intérêt appelés à passer de très bas à bas », nuance-t-il.

N’oublions pas non plus que les rêves des futurs retraités peuvent se heurter à un froid réalisme. Pour Pascal Guérin, « les gens ont souvent une vision déformée de leurs revenus en comparaison avec leurs placements. Ils peuvent aussi éprouver de la difficulté à faire les arbitrages entre la longévité et leur désir de prendre leur retraite plus tôt. Ceux qui rencontrent un conseiller pour la première fois sont souvent sur un nuage ».

Les attentes sont trop souvent non conformes à la réalité d’un revenu moindre à la retraite et de dépenses souvent accrues simplement en raison du fait que la personne dispose de plus de temps. « On replace leurs rêves dans une juste perspective. On les ramène à leur réalité budgétaire, à l’importance de bien respecter le mode de décaissement, poursuit Pascal Guérin. L’exercice porte ses fruits. Du moins, au terme d’un suivi visant à mesurer les projections et les besoins effectifs. Je pourrais dire que de 85 à 90 % des clients atteignent leurs objectifs de retraite. »

Le mythe de la règle du 70 % déboulonné

Deux études servent de référence lorsque vient le temps de déterminer la pertinence de la balise du 70 %. On pense d’abord aux travaux du cabinet de services-conseils McKinsey. Dans la mise à jour 2014 d’une étude réalisée en 2011, le cabinet constate que plus de quatre ménages canadiens sur cinq peuvent espérer maintenir leur niveau de vie une fois la retraite venue. McKinsey s’inspire des trois piliers qui composent le système de retraite canadien, auxquels s’ajoute l’épargne non enregistrée, pour conclure que 83 % des ménages se classent au-dessus du seuil minimum de l’indice de préparation à la retraite.

Les experts citent égalent l’étude publiée en juin 2015 par Malcolm Hamilton, fellow à l’Institut CD Howe, qui allait dans le même sens. Il y rejette la représentativité de la statistique nationale du taux d’épargne des ménages canadiens en tant que mesure de l’épargne-retraite. Et défait le mythe du 70 %. L’auteur conclut également que les Canadiens sont raisonnablement bien préparés pour leur retraite. Que la plupart épargnent davantage que le taux national de 5 %. Et qu’ils peuvent aspirer à une retraite confortable avec un revenu de remplacement inférieur à la cible traditionnelle de 70 %. Aux yeux de Malcolm Hamilton, les difficultés des Canadiens se rencontrent plus jeunes, à l’étape de l’acquisition d’une première résidence et de la sensibilité du budget familial à la présence d’enfants.


• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2016 de Conseiller.

Gérard Bérubé