L’AMF accusée de conflit d’intérêts

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 21 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Un homme se définissant comme un lanceur d’alerte affirme que l’Autorité ne peut mener ses enquêtes en toute objectivité tout en gérant le Fonds d’indemnisation des services financiers.

Et il en veut pour preuve l’affaire Nathalie Beckers, ex-représentante en assurance inscrite au registre de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui a été accusée en 2013 par une de ses clientes d’avoir procédé à un détournement de fonds.

La victime affirmait alors avoir été dépouillée de 400 000 dollars. L’AMF, par l’entremise du Fonds d’indemnisation, lui a versé le maximum, soit 200 000 dollars, avant de reconnaître au bout de 38 mois d’enquête ne pouvoir prouver que 60 000 dollars de détournement.

« Cela pose plusieurs problèmes, écrit Richard Proteau à Conseiller, tout en soulignant ne pas porter de jugement sur l’innocence ou la culpabilité de Mme Beckers. Que les victimes de fraude touchent de l’argent avant même le procès, en tant que défenseur des consommateurs, j’y suis tout à fait favorable. Mais je crois que l’AMF est en conflit d’intérêts et qu’elle ne peut mener ses enquêtes en toute objectivité. Je crois que, dans le cas qui nous intéresse, l’AMF avait tout intérêt à manipuler les faits afin de justifier la somme de 200 000 dollars versée à la victime. »

Les procédures judiciaires les plus récentes montrent en effet que les chefs d’accusations à l’endroit de Nathalie Beckers ne visent que 69 902 $, bien que l’AMF évalue les pertes de la famille de la cliente lésée à 257 819 $.

VERS UNE PRESCRIPTION?

M. Proteau énumère alors toute une série de constats le menant à cette conclusion.

« Il est intéressant de souligner qu’après trois ans de procédure, l’AMF a finalement affirmé que Mme Beckers avait détourné 260 000 dollars, alors même qu’elle ne peut en prouver que 60 000. Pourquoi s’entête-t-elle à maintenir cette allégation? questionne-t-il. La réponse est claire : si l’AMF ne poursuit que pour 60 000 dollars, elle admet du même coup avoir payé 140 000 dollars de trop à la victime. Or, l’Autorité sait très bien qu’au moment même où elle admettrait cela, des gens comme moi s’engouffreraient dans la brèche pour proclamer que le Fonds d’indemnisation des services financiers ne devrait pas être entre ses mains, mais plutôt géré par un comité de conseillers et de consommateurs. Ce qui laisserait à l’AMF les mains libres pour enquêter en toute transparence et dans des délais raisonnables. »

Car voilà un des autres reproches faits par Richard Proteau. Il déplore les 38 mois d’enquête, alors qu’il juge qu’il n’aurait fallu que quelques semaines pour vérifier si Mme Beckers avait bel et bien transféré des sommes depuis le compte de sa cliente vers son propre compte. Une lenteur qui selon lui exprime une volonté de l’AMF de voir les délais de prescription dépassés et l’affaire classée avant que l’on ne connaisse le fin mot de l’histoire.

« Je conteste également le principe de geler tous les avoirs de quelqu’un qui n’est pas jugé coupable, mais bien seulement accusé, ajoute-t-il. Seulement le montant en cause aurait dû être gelé. »

INDÉPENDANCE DU FONDS D’INDEMNISATION

Rappelons qu’en juin 2015, la Cour du Québec a déclaré Nathalie Beckers coupable des cinq chefs d’accusation portés contre elle en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). Mais le 21 avril dernier, l’accusée s’est vu accorder une requête en rétractation de jugement. Elle subira un nouveau procès le 30 janvier prochain.

« Il y a maintenant un risque de prescription qui ferait en sorte que nous ne connaîtrons jamais la vérité. Ça ferait l’affaire tant de l’AMF que de l’accusée, mais certainement pas du public. C’est pourquoi je souhaite que les choses changent. Le Fonds d’indemnisation des services financiers ne peut rester dans les mains de l’AMF. Le cas Beckers en est la preuve évidente », soutient M. Proteau.

Contactée par Conseiller, l’AMF a refusé de commenter cette affaire en particulier. Elle rappelle cependant que chaque dossier est différent, que l’indemnisation est déterminée selon ses particularités – montants en jeu, gravité des faits, etc. – par les personnes en charge de l’application du Fonds lui-même.

« Le Fonds d’indemnisation est par ailleurs indépendant des procédures pénales ou criminelles, écrit le directeur des relations médias, Sylvain Théberge. Une indemnisation versée à une victime est indépendante du dénouement d’un procès. »

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Hélène Roulot-Ganzmann