Le bourbier réglementaire favorisera la centralisation

Par Priscilla Franken | 16 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Parmi les éléments qui vont secouer l’industrie financière dans un proche avenir, la réglementation est souvent citée en premier. À une époque où tout semble vaciller – rendement nul, fonds de pension aux hypothèses surévaluées, thésaurisation accélérée des sociétés, inquiétude croissante des investisseurs, grands changements technologiques –, les gendarmes vont-ils aider l’industrie ou contribuer à lui maintenir la tête sous l’eau?

« La réglementation est devenue un véritable cauchemar », lance d’entrée de jeu Robert Pouliot, expert en évaluation du risque fiduciaire et enseignant à l’ESG-UQÀM, lors du Colloque en finance, qui s’est tenu mercredi à Laval.

« Malgré les promesses de réforme de l’AMF après Norbourg, les autorités réglementaires rendent les choses plus compliquées au lieu de régler les problèmes. Nous sommes dans un véritable bourbier réglementaire, avec un retour en force des règles détaillées à souhait, lourdes, difficiles à comprendre et de nature à microgérer l’industrie », explique l’intervenant devant une assemblée de 86 personnes formée de conseillers en valeurs mobilières, conseillers en assurance et planificateurs financiers.

La raison de ce constat accablant? Un autre constat accablant. Les élus canadiens et provinciaux s’intéressent peu à la supervision des marchés de capitaux, croit Robert Pouliot. « Résultat : statutairement moins indépendants qu’aux États-Unis, nos gendarmes exercent beaucoup plus de pouvoirs par défaut d’intérêt législatif et sont peu confrontés à des contrepoids », poursuit-il.

DES RÈGLES PLUTÔT QUE DES PRINCIPES

Il déplore, en somme, l’abandon des principes au profit de la multiplication des règles. Mais quel sera l’impact de ce phénomène sur l’ensemble des projets à l’agenda des organismes de réglementation?

Parmi lesquels on peut notamment mentionner : l’abandon des commissions de suivi, la fin du capharnaüm des titres professionnels, l’avenir de la commission nationale des valeurs mobilières, la divulgation des frais et des conflits d’intérêt, la meilleure connaissance des clients et des produits, etc.

« Le tout dans un contexte où la robotisation des services ira croissant pour les investisseurs les plus modestes, en faisant appel aux FNB comme produits de base », souligne l’expert.

Robert_Pouliot_Colloque_finance_2016BOULEVERSEMENTS EN VUE POUR LE QUÉBEC?

Selon lui, voici ce à quoi le Québec peut s’attendre d’ici 5 ans :

  • La CSF sera absorbée par l’AMF ou l’ACCFM (ou les deux : assurance pour l’AMF et fonds communs pour l’ACCFM – MFDA) d’ici 5 ans, ou disparaîtra;
  • L’ACCFM sera absorbée par l’OCRCVM, qui cherche à consolider ses acquis au moment où les courtiers sont confrontés à la contraction et cherchent à renforcer leurs activités de conseil;
  • L’IQPF sera absorbé par Advocis ou une autre organisation plus ciblée;
  • Il y aura une concentration réglementaire accrue à Toronto, laquelle accélèrera la mutation de l’industrie financière au Québec. « L’autorité nationale s’affirmera d’elle-même », pense l’expert;
  • On assistera à un affaiblissement de la formation professionnelle au Québec.

« En une génération, le Québec aura perdu ses deux bourses (actions et dérivés), le cœur de son industrie de gestion, de son infrastructure de formation et de son appareil autoréglementaire, en gardant l’AMF plus isolée et dépendante de la CVMO », résume-t-il.

Préférant conclure sur quelques notes positives, il ajoute néanmoins : « L’avenir n’appartient plus aux institutions financières. Une nouvelle génération d’opérateurs s’imposera, celle des cabinets de conseil multidisciplinaires (notaires, conseillers, comptables…). »

Une nouvelle génération qui sera, selon lui, plus axée sur la technologie, indépendante et libre d’associer les produits de son choix avec « une auto-réglementation de principe à réinventer ».

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Priscilla Franken