Le danger n’est pas toujours celui qu’on pense

Par Yves Bonneau | 3 août 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Ottawa semble vouloir une commission nationale des valeurs mobilières. Outre l’Ontario, plusieurs voix s’élèvent contre la chose. Le fédéral ne devrait-il pas regarder par l’autre bout de la lunette?

Ressuscitera-t-on une fois de plus le projet si souvent avorté d’une commission canadienne des valeurs mobilières?

Difficile à dire à ce moment-ci, alors que le «commanditegate» sévit de tous côtés de la colline parlementaire. Et, même si le changement de garde a imposé un temps d’arrêt, il serait surprenant que le gouvernement fédéral, dont les visées interventionnistes auprès des provinces ne sont plus à démontrer, laisse tomber son projet maintes fois avorté d’une commission canadienne de valeurs mobilières.

Malgré tout ce qui a été dit sur la question, il est pertinent de rappeler que, dès 1996, le Groupe Investors, dans un mémoire déposé devant la commission parlementaire qui étudiait alors la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, affirmait sans équivoque être en désaccord avec la proposition du fédéral de mettre sur pied une commission des valeurs mobilières fédérale.

Les opposants disaient alors qu’il était non seulement possible, mais souhaitable de procéder à l’harmonisation de la réglementation du secteur des valeurs mobilières sans pour autant procéder à des transferts draconiens de juridiction. Du reste, à ce jour, la coopération interprovinciale a été le moyen le moins coûteux et le plus efficace d’aplanir les difficultés notoires de l’industrie. Que l’on pense au mécanisme de passeport des prospectus entre les provinces ou encore au Régime d’examen concerté, presque toute la réglementation en la matière est déjà harmonisée.

Plusieurs intervenants déplorent que l’initiative fédérale ne servira pas les intérêts des investisseurs et affirment que la réglementation sur le plan local demeure la meilleure façon de protéger les intérêts des investisseurs, puisque la conformité et l’application des règles se font en première ligne, sur le terrain. L’Autorité des marchés financiers (AMF) entend d’ailleurs y jouer un rôle prépondérant, comme on nous l’a signifié le mois dernier au moment où elle prenait les commandes réglementaires au Québec.

La structure décentralisée actuelle, malgré ses défauts, a généralement bien fonctionné, la preuve étant que le marché canadien des capitaux est actif et dynamique et que le système canadien de réglementation est l’un des plus efficaces du monde. La majorité des éléments considérés comme des facteurs d’inefficacité sont plutôt de simples irritants du système et peuvent être corrigés par une meilleure coordination des autorités de valeurs mobilières.

Dans le même ordre d’idées, on estime que le présent système respecte la diversité du marché canadien des capitaux, tout en s’adaptant aux variations de niveaux d’activité de financement dans les différentes régions. Avec des autorités de réglementation proches de leurs marchés respectifs, le système actuel sert mieux les besoins des investisseursconsommateurs, tout en favorisant l’expertise provinciale.

Enfin, il faudrait souligner que les enjeux d’information et de protection de l’épargnant sont totalement étrangers aux questions de solvabilité des institutions financières qui préoccupent spécifiquement les autorités fédérales en matière d’institutions de dépôt. D’aucuns croient que le rôle des banques comme intermédiaires et agents du processus financier soulève des questions de conflit d’intérêts qui seraient mieux surveillées par des autorités relevant de plusieurs juridictions locales.

À trop vouloir faire «l’unité canadienne» à travers l’harmonisation de la réglementation, le gouvernement central passe à côté d’une belle occasion de s’illustrer en établissant des mécanismes pour empêcher une convergence excessive. Depuis les 10 dernières années, l’industrie des services financiers s’est consolidée à un point tel que 90 % des actifs sont entre les mains d’une douzaine de sociétés financières qui ne cessent de croître.

À ce rythme, il pourrait être dangereux de concentrer tout le pouvoir entre les mains d’un petit groupe de sociétés, de créer ainsi d’immenses monopoles avec comme résultante, entre autres, d’anéantir l’entrepreneurship de base dans ce secteur vital de l’économie. Pour une industrie saine, la vigilance est de mise. Ottawa est-il à l’écoute?


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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