Le système bancaire européen encore fragile?

Par La rédaction | 8 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Plus de huit ans après le début de la crise financière, le système bancaire européen demeure à la merci d’une nouvelle catastrophe, estime le secrétaire général de l’association Finance Watch.

Dans une entrevue accordée au quotidien suisse Le Temps, Christophe Nijdam affirme qu’il est désormais plus que temps d’imposer une réglementation plus contraignante dans le secteur.

Son organisation a lancé une campagne visant à « changer le système financier », avec l’objectif de créer « un tableau de bord de la finance citoyenne » et de « définir un outil collaboratif ». Destiné à permettre aux membres de la société civile de dire ce qu’est leur vision du système, cet outil est également censé recueillir leurs recommandations pour que la finance se mette au service de la société.

UN MONDE DÉCONNECTÉ DE L’ÉCONOMIE RÉELLE

Dans la même optique, une vaste étude portant sur la représentation de l’intérêt général dans le secteur bancaire sera dévoilée au mois de décembre, avec à la clé une série de recommandations. Si l’on en croit Christophe Nijdam, le système financier actuel ne remplit en effet plus sa mission.

« La finance de ces 20 dernières années a perdu de vue son objectif principal, qui est d’être un outil efficace d’amélioration du niveau de vie du plus grand nombre d’êtres humains. Elle a perdu sa finalité humaniste lorsqu’elle a commencé à tourner pour un tout petit nombre de happy few à partir du milieu des années 1990. Cela s’est matérialisé par l’hyper financiarisation de l’économie, dont le pire exemple est le marché des dérivés. »

Lorsque la crise a commencé à frapper en 2007-2008, celui-ci atteignait 10 fois la taille du produit intérieur brut mondial, soit un montant bien plus élevé que justifié par la croissance de l’économie de la planète, souligne le dirigeant, avant de préciser que « des études de la Banque des règlements internationaux ont montré que moins de 10 % de ces dérivés étaient contractés avec des contreparties de l’économie réelle». Autrement dit, que 90 % étaient des opérations ayant eu lieu entre établissements financiers.

« LE CAS DE DEUTSCHE BANK EST TRÈS GRAVE »

Le problème, c’est que huit ans après la retentissante faillite de Lehman Brothers, les risques systémiques de la planète finance ne semblent guère mieux maîtrisés qu’à l’époque, souligne le secrétaire général de Finance Watch. Même si plusieurs réformes ont bien été menées, elles sont « malheureusement restées inachevées ».

En ce qui concerne les produits dérivés, par exemple, « on a mis en place des chambres de compensation, ce qui diminue le risque de défaillance de l’un des acteurs, qui pourrait à son tour entraîner d’autres défaillances ». Le problème, c’est qu’« elles ne vont traiter que deux tiers des volumes, laissant encore un vaste champ de mines pour le risque systémique lié aux dérivés », comme en témoignent les récents problèmes de Deutsche Bank.

Le cas du géant allemand est beaucoup plus préoccupant que celui de Lehman à l’époque, assure Christophe Nijdam, car « son bilan pèse trois fois plus que la banque américaine, tandis que son hors-bilan en produits dérivés est… 60 fois plus important! ». Par conséquent, « il n’est pas envisageable de laisser Deutsche Bank faire faillite; elle est beaucoup plus grosse et le cataclysme qui s’ensuivrait pourrait être beaucoup plus grave », note-t-il.

PLAIDOYER POUR PLUS DE FONDS PROPRES

Le dirigeant de Finance Watch juge par ailleurs que l’Union bancaire instaurée par l’Union européenne pour prévenir de nouvelles crises ne rend pas le système plus viable sur le Vieux Continent.

Rappelons que cette union repose notamment sur le Mécanisme de supervision unique, « qui a permis à la Banque centrale européenne de passer au crible 130grandes banques de la zone euro avant d’en assurer la supervision », et le Mécanisme de résolution unique, « qui manque de financement ». M. Nijdam juge qu’elle ne constitue pas « la panacée à la crise bancaire », contrairement à ce que les dirigeants européens avaient annoncé.

Au-delà des problèmes structurels, Christophe Nijdam observe qu’« il n’y a pas de solidarité d’un pays à l’autre qui soit prévue avant 2024 ». Autrement dit, « si dans un pays la garantie de dépôts est insuffisante pour couvrir une large défaillance, les déposants ne seront pas à l’abri ». Son diagnostic? « Nous avons une union bancaire qui est bancale et incomplète. »

Enfin, le dirigeant observe que même si les banques ont été contraintes par la réglementation d’augmenter leurs fonds propres, certaines « restent très affaiblies par rapport à 2008 », notamment « parce qu’à la suite de la crise bancaire, il y a eu une crise économique dont on n’est toujours pas sorti, ce qui pénalise les bilans bancaires, alourdis par des créances douteuses ».

Sa conclusion? « Il faut avoir des banques avec suffisamment de fonds propres pour faire face aux chocs conjoncturels. L’argent des fonds propres n’est pas stérilisé dans des coffres-forts. Juste avant la crise, certaines grandes banques systémiques avaient un niveau de fonds propres représentant 1,5 % de la taille de leur bilan. La réglementation demande de monter à 3 %, ce qui reste insuffisant de notre point de vue. »

Finance Watch en bref

Finance Watch est une association sans but lucratif créée par des députés européens en 2011, à la suite de la crise financière de 2007-2008. Ses objectifs sont d’« établir un contrepoids au puissant lobby de l’industrie financière » lorsque celui-ci s’oppose aux réformes et de « mettre la finance au service de la société ».

« Notre mission est de renforcer la voix de la société et de la faire peser dans les réformes de la réglementation financière. Il s’agit de communiquer les arguments découlant de l’intérêt général auprès des politiques et des citoyens et de les mobiliser », précise l’association.

Ses membres incluent des groupes de la société civile ainsi que des experts, aidés dans cette mission par une équipe de professionnels. Son secrétaire général, Christophe Nijdam, est un ancien banquier.

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