Les conseillers « vendent ce qui maximise leur rémunération »

Par La rédaction | 13 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Hardbacon se donne pour mission d’aider les gens à investir à moins de frais. Il le fait notamment en référant des clients à des robots-conseillers, mais dénigre vertement au passage certains professionnels du conseil financier.

C’est la réaction outrée de Fabien Major, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective, qui a attiré l’attention de Conseiller vers Hardbacon.

Le site Hardbacon.ca est bien de son temps et son modèle d’affaires se range dans la lignée des Airbnb et Uber de ce monde. Fondé par l’ancien journaliste financier du journal Les Affaires Julien Brault, son terrain de chasse est Internet. Le public-cible : les petits investisseurs et investisseurs débutants. La mission qu’il se donne : « rendre l’industrie de la finance plus transparente ».

L’idée est d’éduquer sur le placement, les produits financiers et les frais, mais aussi de se poser en intermédiaire entre les plateformes de courtage ou de robots-conseillers et les investisseurs. La startup souhaite signer des ententes avec ces entreprises, qui la paieront pour les clients qu’elle lui réfère. « Contrairement au reste de l’industrie, nous allons toujours vous dire comment on fait de l’argent avec vous. », écrit M. Brault. Mais sa volonté de transparence totale se heurte pour l’instant à des impératifs commerciaux stratégiques. Julien Brault préfère donc taire les montants ou la structure de la rémunération qu’Hardbacon reçoit pour chaque référence. « Comme nous sommes en discussions avec plusieurs entreprises, dévoiler publiquement ces données affaiblirait notre position de négociation », soutient-il.

S’INSCRIRE OU PAS À L’AMF?

Wealthsimple a été la première à embarquer. Les investisseurs référencés par Hardbacon y obtiennent la gestion gratuite de leurs premiers 10 000 $ pendant les deux premières années, plutôt que 5 000 $ pour les autres clients. Hardbacon est payé sans égard à l’achat par le client de produits financiers, mais à condition qu’il ouvre un compte sur la plateforme.

Certains qualifieront cette rémunération de commission de recommandation. Julien Brault préfère parler de « lead generation », c’est-à-dire un processus marketing visant à stimuler et capter l’intérêt pour un produit ou un service afin de développer éventuellement les ventes. Selon lui, son site génère simplement des clients potentiels pour les plateformes de courtage et de robots-conseillers.

Hardbacon ne devrait-il pas être inscrit à l’Autorité des marchés financiers (AMF)? L’AMF rappelle que « toute partie à une entente d’indication de clients peut avoir à s’inscrire en fonction des activités qu’elle exerce, selon le cas, même celle qui réfère les clients à la société inscrite ».

Toutefois, lorsqu’une personne reçoit une rémunération fixe parce qu’elle a référé un ou plusieurs clients à un représentant, et ce, indépendamment qu’il y ait vente d’un produit ou prestation d’un service par la suite, il ne s’agit pas d’un partage de commission, explique l’AMF.

Mais qui ouvre un compte sur une plateforme de courtage ou de robots-conseillers sans avoir l’intention d’acheter des produits financiers? L’ouverture d’un compte doit-elle être considérée comme un achat d’un produit ou service? Zone grise.

« J’ai un devoir de transparence, et il est indiqué très clairement sur le site et dans nos communications que nous faisons de l’argent avec des ententes de génération de prospects, mais je ne crois pas avoir l’obligation de m’inscrire à l’AMF, au contraire d’un courtier en valeurs mobilières, par exemple. Nous ne faisons que fournir de l’information, les gens font leurs propres choix », croit Julien Brault.

UN PL. FIN. QUI CASSE ALLÈGREMENT DU CONSEILLER

De fait, la startup n’offre pas de conseil financier au sens traditionnel. On y retrouve un comparateur des principales plateformes de courtage et de robots-conseiller, de même que plusieurs textes de blogueurs, parmi lesquels Frédéric Baillargeon, planificateur financier, ou Michel Villa, arbitragiste-actions accrédité CGA-CPA, CFA et CMT.

« […] les conseillers qui sont rémunérés à commission (initiale et de suivi) sont forcément plus enclins à mettre les efforts vers les clients plus fortunés ou à fort potentiel, en plus de vendre les produits qui maximisent leur rémunération », peut-on lire sous la plume de M. Baillargeon. « Avez-vous vraiment besoin de payer pour une protection contre vous-même? Ces arguments de vente sont pour le moins douteux et celui qui en profite dans cette relation client/conseiller, ce n’est assurément pas vous », écrit-il encore.

Autre extrait, tiré du « manifeste de Hardbacon » : « […] l’industrie financière ne parviendra bientôt plus à convaincre le grand public de sous-traiter la gestion de leur argent à des professionnels de la finance ».

Ces textes ont soulevé l’ire de Fabien Major et d’autres professionnels, en raison de l’agressivité avec laquelle ils dénigrent leurs professions et l’industrie des fonds communs de placement. Présentés comme des « vendeurs itinérants », accusés de prélever des frais trop élevés, de manquer de transparence et d’éthique, notamment en recommandant des produits pour toucher une commission plutôt que pour aider leurs clients… bref, ils en prennent pour leur rhume.

LE CODE DE DÉONTOLOGIE BAFOUÉ ?

Pourtant, les professionnels membres de la Chambre de la sécurité financière (CSF) ont des devoirs et obligations envers l’industrie, notamment indiqués dans les articles 30 à 33 du Code de déontologie de la CSF et l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

Lorsque le représentant sollicite un client ou s’il veut faire concurrence à un compétiteur, les méthodes employées doivent être loyales, rappelle la CSF dans un courriel à Conseiller:

  • Il ne doit pas dénigrer ou discréditer les produits et services de ses confrères ou même des cabinets, des courtiers, des assureurs et des institutions financières;
  • Il peut comparer des produits pour bien les distinguer et pour en recommander un plus qu’un autre, mais il ne doit pas s’attaquer directement à la compétence professionnelle d’un individu ni dénigrer un assureur, un cabinet ou un courtier;
  • Il doit s’abstenir de faire des commentaires, sous quelque forme que ce soit, qui sont faux, inexacts ou incomplets.

LE REPRÉSENTANT EN ÉPARGNE COLLECTIVE EST « DÉPASSÉ »

Julien Brault admet que ses collaborateurs et lui ont un parti pris pour le « fais-le toi-même », mais se défend de mettre tous les professionnels du conseil financier dans le même panier. Il soutient, par exemple, que les investisseurs ont besoin d’une planification financière. Mais d’autres professions lui semblent carrément dépassées, comme celle de représentant en épargne collective.

« Elle relève d’un système inventé avant l’arrivée d’Internet, alors qu’il fallait des milliers de représentants pour vendre des fonds communs aux particuliers, dit-il. Il n’y a plus de raison rationnelle de maintenir ce système, qui coûte très cher en frais aux petits investisseurs. Je déplore aussi la structure de rémunération dans l’industrie. Les commissions intégrées risquent de causer un biais dans les conseils offerts par un représentant, au détriment de l’investisseur. »

Des nuances qui gagneraient peut-être à être soulignées plus explicitement dans les textes du site, qui ressemblent parfois à un réquisitoire tous azimuts contre l’ensemble des conseillers. Sinon, le fardeau de les déceler reviendra aux lecteurs, qui ont déjà bien du mal à s’y retrouver entre les multiples titres et professions du conseil financier.

Julien Brault a des projets plein la tête. Il veut mettre en ligne des cours sur le placement et une plateforme de simulation boursière novatrice. Assisterons-nous à l’émergence d’un Airbnb de l’investissement en Bourse? Les autorités réglementaires sentiront-elles le besoin d’intervenir? Les conseillers répliqueront-ils par la bouche de leurs canons? À suivre…

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