Les nouveaux enjeux de la multibancarisation

12 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de février 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


L’époque à laquelle les clients confiaient leurs avoirs à une seule institution financière semblait révolue, mais les banques ont réagi et ont élargi encore plus leur gamme de produits et services, de sorte que les clients pensent à y concentrer de nouveau toutes leurs affaires. Un courant l’emportera-t-il sur l’autre?

STÉPHANE, 37 ANS, correspond parfaitement à l’épargnant type d’aujourd’hui. Ce fonctionnaire fédéral a acquis son dernier ordinateur personnel grâce à un prêt obtenu chez Desjardins. Il a confié une partie de ses placements REER à la Banque de Montréal, où il a également ouvert ses comptes bancaires. Il détient en plus des parts du Fonds de solidarité FTQ, en prévision de sa retraite. Sans oublier ses deux cartes de crédit émises par deux institutions concurrentes.

Ce profil éclair vous semble familier? «Dans l’île de Montréal, le client moyen fait affaire avec un peu plus de trois institutions financières différentes, ce qui n’était pas le cas auparavant», avance Jean Perrien, titulaire de la Chaire en management des services financiers de l’Université du Québec à Montréal. Auparavant, c’était avant les années 1980, décennie qui a vu éclore ce que le professeur appelle la multibancarisation, c’est-à-dire l’arrivée de nouveaux acteurs sur l’échiquier financier québécois : d’autres banques, mais aussi des maisons de courtage, des fonds de placement, etc. «L’offre est beaucoup plus importante qu’il y a 25 ou 30 ans, constate Renaud Nadeau, vice-président de la Gestion personnalisée à la Banque Nationale. Il y a beaucoup plus d’intermédiaires sur le marché.»

Le morcellement des actifs des clients est la conséquence de ces changements. «Les parts de portefeuille détenues par chaque institution oscillent entre 25 % et 35 % chez les biens nantis, clientèle privilégiée des planificateurs financiers, soutient M. Perrien. Dans les années 1960, il y a de fortes chances que mes parents aient confié 70 %, voire 100 %, de leurs avoirs à la même banque.»

Fort de 20 ans d’expérience, Pierre Trépanier a aussi constaté ce phénomène sur le terrain. «Les gens “magasinaient” moins à l’époque», dit le directeur de RBC Investissements. Un changement d’habitudes qu’il attribue notamment à l’intérêt somme toute récent des Québécois francophones pour la chose financière. «Ils ont commencé à s’intéresser au marché boursier avec l’avènement des régimes d’épargne-actions, vers la seconde moitié des années 1980», enchaîne-t-il.

LA GESTION PERSONNALISÉE

UNE CLÉ POUR FIDÉLISER SA CLIENTÈLE

«Lorsqu’on a mis en place notre groupe, il y a environ trois ans, on détenait à peu près 25 % de la part du portefeuille de nos clients, déclare Renaud Nadeau, vice-président de la Gestion personnalisée à la Banque Nationale. Aujourd’hui, on en est à 33 % ou à 35 %.» Et l’objectif avoué est d’en arriver à 50 %, voire jusqu’à 60 %, du total. Autant d’actifs qui échappent désormais à la concurrence. Comment l’institution est-elle parvenue à un tel succès? En mettant sur pied une force de 300 planificateurs financiers au service exclusif d’une clientèle nantie. Ce club sélect se compose de plus de 110 000 clients (professionnels de la santé, entrepreneurs, etc.), repérés, notamment,grâce aux précieuses bases de données de la société. «On a assigné à nos professionnels des objectifs de développement bien précis», explique M. Nadeau. Comme la mise au point de stratégies de placement globales et personnalisées susceptibles d’inciter le client à confier davantage d’actifs à son conseiller.

Pour favoriser la durabilité et la qualité de la relation d’affaires, la division de la Banque Nationale mise beaucoup sur la stabilité de son équipe de planificateurs financiers, dans un secteur où leur taux de roulement a historiquement été élevé. Ainsi, le mode de rémunération n’est plus fixe,mais plutôt basé sur les résultats obtenus. «Si le client a confiance,s’il a de bons produits et une bonne communication avec son conseiller, il va centraliser ses avoirs. Mais s’il change de conseiller tous les ans, on est à risque.»

Dès lors, des hordes de nouveaux investisseurs ont confié une partie de leurs économies à des courtiers en valeurs mobilières qui n’étaient pas nécessairement à l’emploi de caisses ou de banques. Le morcellement est bien entamé… Une décennie plus tard, la venue d’Internet et la montée en flèche du courtage à escompte qui a suivi ont accentué cette tendance à la dispersion des avoirs personnels. De plus en plus nombreux et prisés au fil des ans, les magazines et les sites Internet spécialisés ont rendu l’investisseur plus connaisseur, plus exigeant et, conséquemment, plus mobile.

«La priorité, ce n’est plus tellement l’acquisition mais la rétention de la clientèle et l’accroissement de la part du portefeuille», estime M. Perrien. Les grandes institutions gardent d’ailleurs jalousement pour elles leurs stratégies en ce sens, à en croire la réticence de plusieurs d’entre elles à en discuter dans le cadre de cet article. «Ce qu’on a mis de l’avant, c’est l’optique conseil, explique M. Trépanier. Même si les gens font parfois leurs propres transactions, ils recherchent des conseils depuis quelques années.»

La débâcle boursière du nouveau millénaire a rappelé à plus d’un épargnant qu’ils n’ont pas la bosse des finances. M. Trépanier insiste donc sur l’importance de prendre le temps de dresser le profil financier du client, de définir ses objectifs, sa tolérance au risque, son degré d’expertise. «Chez RBC, on remplit un questionnaire de 12 questions», étape incontournable devenue la norme dans l’industrie. «Nos conseillers doivent rencontrer nos clients au moins deux fois par année, poursuit M. Nadeau, responsable d’une équipe de 300 planificateurs à la clientèle aisée. Toutes ces démarches semblent fructueuses. «Depuis deux ou trois ans, j’ai la confirmation que ça porte ses fruits sur le plan de la rétention de la clientèle», note M. Trépanier. Même écho favorable de son confrère de la Banque Nationale, dont la division Gestion personnalisée a sensiblement haussé la part de portefeuille de ses clients (voir La gestion personnalisée : une clé pour fidéliser sa clientèle).

VERS UN RETOUR DU BALANCIER?

M. Trépanier n’est pas le seul à croire que cette tendance à la dispersion des actifs tire à sa fin. «Les gens sont de plus en plus pressés», rappelle-t-il. Rien pour encourager la gestion simultanée de plusieurs comptes disséminés à droite et à gauche.

Et puis l’industrie bancaire a fait ses devoirs. Elle a investi tous les champs de la finance : assurance, courtage en valeurs mobilières… Signe des temps, depuis deux ans, RBC Groupe Financier propose également à ses clients les fonds communs de la compétition. Une stratégie retenue par ses semblables. «Les clients peuvent maintenant presque tout trouver dans le même groupe financier, dit M. Trépanier. Et ça nous a servi à amasser et à consolider des actifs.»

En outre, les institutions ont multiplié les canaux de distribution. Si bien qu’il est aujourd’hui possible de rencontrer un conseiller en succursale, de contracter en tout temps une assurance vie par téléphone ou par Internet, de négocier une hypothèque avec un représentant venu chez soi… Caisses et banques ont également affiné et élargi leur gamme de produits financiers. Une gamme complètement différente de celle offerte il y a à peine cinq ans, relève M. Nadeau. «Tous les six mois, on arrive avec de nouveaux produits pour être en mesure d’offrir à nos clients la diversité dont ils ont besoin, dit-il. La diversification ne veut pas dire investir dans plusieurs institutions financières, mais plutôt que l’institution avec laquelle travaille le client lui propose de la diversification.»


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.