Quand l’histoire se répète : les bulles spéculatives sont inhérentes aux marchés boursiers

Par André Gosselin | 9 août 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
7 minutes de lecture

Vous connaissez la scène par cœur. Vous prenez une bière avec votre beau-frère autour d’un barbecue et il ne peut s’empêcher de vous parler de Nortel. Il croyait que la compagnie était enfin sur la bonne voie, et voilà qu’une autre tuile lui tombe sur la tête. Le titre chute de 75 % et votre « beauf » vous jure qu’on ne le prendra plus jamais. Pourtant, il avait dit la même chose un an plus tôt. Et en fouillant un peu plus loin dans vos souvenirs, vous vous rendez compte qu’il tenait encore le même discours il y a deux ans. On dirait qu’il n’a pas encore compris qu’il n’y a qu’une seule certitude à la Bourse : ça va fluctuer.

L’investisseur responsable ne s’étonne jamais de l’euphorie spéculative qui sévit à l’occasion sur les marchés boursiers, explique André Gosselin, Ph. D., fondateur de la philosophie de gestion d’Orientation Finance. Il n’est pas non plus bêtement ahuri lorsque la déprime boursière s’installe à demeure. Qu’il puisse profiter des exubérances, rien de plus normal. Les comportements aberrants des investisseurs moutonniers constituent, après tout, l’un des filons les plus lucratifs à exploiter. Rien ne dit qu’il sortira gagnant de ce jeu risqué. Mais une chose est sûre : il ne se mettra pas à brailler si jamais ça tourne mal.

L’investisseur responsable assume les conséquences de ses décisions. Vous ne le verrez pas cracher son venin sur les conseillers, Wall Street, les chefs d’entreprise ou le gouvernement quand son portefeuille encaisse un revers. Il connaît les règles du jeu, et il sait qu’une conjoncture d’exultation financière ouvre la porte à tous les pièges, à tous les excès et à toutes les malveillances.

Les bulles spéculatives sont inhérentes aux marchés boursiers. Notamment pour une raison : les investisseurs sont à l’affût de tous les progrès technologiques qui pourraient inaugurer une nouvelle ère dans une industrie donnée et, par voie de conséquence, faire croître à grande vitesse le rendement de leurs portefeuilles. Certes, leur optimisme est trop souvent excessif et leurs attentes bien vite déçues. Pourtant, les similitudes entre les bulles spéculatives d’il y a 100 ou 200 ans et celle que nous avons connue à la fin des années 1990 sont beaucoup plus importantes qu’on ne le croit.

Si vous aviez une meilleure connaissance de l’histoire de la spéculation financière, vous ne succomberiez pas à la panique ou dans un état catatonique lorsque le marché subit une baisse qui dure plus de trois ans.

Prenez le boom des chemins de fer en Angleterre. Durant l’année 1836-1837, et encore une fois en 1844-1845, le prix des actions du secteur doublait. Évidemment, les actions des compagnies de train avaient atteints des sommets que leurs revenus ne pouvaient justifier. Cinq causes ont fait éclater la bulle des chemins de fer:

1. Les investisseurs n’avaient plus d’argent pour alimenter la hausse des titres.

2. Les projections financières des compagnies ne concordaient pas du tout avec les profits réalisés.

3. Les possibilités de financement avaient ouvert toutes grandes les portes à la concurrence, sans aucune barrière à l’entrée.

4. L’environnement économique avait commencé à se dégrader et les taux d’intérêt, jusque-là très bas, ont entrepris une ascension persistante.

5. On a découvert progressivement que l’euphorie des investisseurs avait encouragé des fraudes importantes de la part de plusieurs dirigeants des grandes compagnies ferroviaires.

On pourrait aussi ajouter un dernier facteur: la relative stabilité politique de l’Europe qui avait accompagné l’euphorie commençait à céder la place à l’inquiétude, à la violence, aux manifestations révolutionnaires et au spectre du socialisme.

Mais attendez que je vous raconte le meilleur ! Les plus grands patrons et entrepreneurs de l’industrie des chemins de fer britanniques, adulés jusque-là, ont fait face à des accusations de malversations comptables, à commencer par le légendaire George Hudson, accusé d’avoir gonflé artificiellement les profits de sa compagnie et d’en avoir caché les dettes.

Est-ce que tout cela vous rappelle quelque chose ? Est-ce un récit que vous connaissez trop bien pour l’avoir payé très cher ? La bulle des télécommunications et d’Internet s’est déroulée à peu de choses près suivant le même scénario. Et dire que plus d’un siècle et demi sépare les deux époques. Les technologies changent, mais les êtres humains, qu’ils soient investisseurs ou entrepreneurs, ne changent pas beaucoup. Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence, disait Elie Wiesel (écrivain qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1986). En matière de spéculation financière, c’est toujours la même histoire qui recommence.

Les grandes innovations technologiques des deux derniers siècles ont presque toujours débouché sur une bulle spéculative. La construction des canaux au début des années 1800, le chemin de fer ensuite, le téléphone, le télégraphe, l’automobile et la lumière électrique au tournant du XXe siècle, la radio en 1920, la télévision en 1950, l’électronique dans les années 1960 et, enfin, l’informatique et Internet dans les années 1980-1990 : toutes ces innovations ont attiré leur masse d’investisseurs moutonniers et inexpérimentés, et ont trouvé leur conclusion dans un carnage sans nom.

Cette histoire fabuleuse vous intéresse ? Lisez les 500 pages du récit qu’en fait Alasdair Nairn. Paru en 2002, Engines that Move Markets: Technology Investing from Railroads to the Internet and Beyond est un livre quasi prémonitoire. L’auteur a brillamment anticipé la crise de confiance des investisseurs à l’égard des dirigeants de nos entreprises, et les trop nombreux scandales financiers qui ont alimenté les pages de nos journaux depuis le début du nouveau siècle. Après avoir lu l’ouvrage de Nairn, on se dit qu’il était impossible de sortir indemne d’une des bulles spéculatives les plus spectaculaires des 200 dernières années et d’un marché haussier qui a duré 18 ans.

Dans un passage de son livre qui a été écrit avant les faillites des WorldCom et autres Enron, Nairn explique avec une préscience étonnante : « Plusieurs nouvelles technologies dans le passé ont permis d’enrichir les initiés, alors que les investisseurs extérieurs n’ont pas vraiment profité de la manne. Les déboires des petits investisseurs furent tantôt le résultat de pratiques comptables malveillantes, tantôt la conséquence de fraudes massives, et parfois le simple produit d’un manque flagrant d’égalité dans le traitement des différentes classes d’actionnaires. Ce phénomène s’est reproduit mainte fois par le passé, bien que les fraudes et les falsifications comptables aient été inévitablement plus fréquentes au début de l’ère industrielle, avant qu’une législation appropriée et que des organismes de surveillance ne soient créés pour protéger les investisseurs. Ce n’est pas un hasard si des améliorations substantielles aux lois concernant les compagnies furent promues juste après la fièvre spéculative des chemins de fer dans les années 1840. »

Quand l’histoire se répète une fois, c’est dramatique. Quand elle le fait deux, trois puis quatre fois, c’est à la fois comique et pathétique. La grande leçon de l’histoire, c’est sans doute que l’homme ne tire jamais de leçons de l’histoire.

Le contenu de cette chronique a été gracieusement fourni par le cabinet Orientation Finance.

André Gosselin