Quel avenir pour le Fonds d’indemnisation des services financiers?

Par Guy Sabourin | 9 août 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le Fonds d’indemnisation des services financiers, dans sa version actuelle, est loin de faire l’unanimité. Nombreux sont ceux qui le critiquent ouvertement, notamment au chapitre de la représentativité. Car ceux qui le capitalisent – les conseillers en services financiers – ne participent à aucune de ses décisions.

Pour comprendre son évolution, il faut retourner 20 ans en arrière. Ce sont des dispositions particulières de la Loi sur les intermédiaires de marché adoptée en 1991 qui initient la création de trois fonds d’indemnisation : pour les assurances de personnes, les assurances de dommages et « les planificateurs financiers titulaires d’un certificat délivré par l’inspecteur général ».

Partisan d’un fonds d’indemnisation unique alors qu’il était ministre des Finances, Bernard Landry fait adopter en 1999 la Loi sur la distribution des produits et services financiers, qui fusionne les trois fonds en un seul : le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF). L’administration est confiée au Bureau des services financiers (BSF), qu’a présidé Louise Champoux-Paillé de 1998 à 2004.

« Le fonds était alors dirigé par un conseil d’administration complètement indépendant du BSF, composé de sept experts : en assurance de personnes, en assurance de dommages, en sinistres, en planification financière, en fonds communs de placement et deux représentants du public et des consommateurs », nous apprend-elle. Cette experte en gouvernance juge que l’organisation était efficiente parce que toutes les parties prenantes siégeaient au conseil d’administration.

Le BSF disparaît en 2004 quand l’Autorité des marchés financiers (AMF) voit le jour. Le FISF passe donc sous la responsabilité de l’AMF.

Fait étonnant, il n’y a pas de conseil d’administration au FISF. Ni à l’AMF d’ailleurs. Le directeur de l’indemnisation agit sous la recommandation d’une équipe d’analystes de l’AMF. Ces derniers recueillent la preuve et lui recommandent ensuite la voie à suivre.

À l’AMF, c’est le Conseil consultatif de régie administrative (CCRA), semblable au comité des sages d’Hydro-Québec, qui joue le rôle de chien de garde et fait des recommandations de transparence et d’éthique, sur le budget, sur les effectifs et sur la conformité entre les paroles de l’AMF et ses actes. Les sept membres, nommés par le ministre des Finances, viennent de divers horizons : universités, finance, droit et psychologie organisationnelle, pour ce qui est de sa composition actuelle. C’est Bernard Motulsky, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM, qui dirige aujourd’hui le CCRA. Les 42 000 cotisants au fonds, soit tous les détenteurs de permis à l’AMF (représentants en assurance de personnes et dommages, experts en sinistres, planificateurs financiers et représentants en épargne collective), n’ont donc pas officiellement voix au chapitre.

Les personnes qui se croient victimes de fraude présentent leur demande à l’AMF et lui fournissent papiers et preuves. L’AMF déploie son service d’enquête, en première ligne, qui détermine s’il y a matière à aller plus loin ou si on ferme le dossier. Si on poursuit, le contentieux prend la relève et s’occupe de l’aspect juridique : accusations pénales, demande d’emprisonnement, montant des amendes, etc.

« C’est à ce moment que les victimes identifiées au dossier peuvent se tourner vers le fonds d’indemnisation, précise Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF. Le fonds analyse uniquement la demande d’indemnisation qui lui est présentée, de façon totalement séparée de l’enquête. Le courtier est-il inscrit à l’AMF, la demande répond-elle aux critères du fonds et est-elle recevable, qui sera indemnisé, selon quelles modalités et à hauteur de combien? Voilà les questions qu’analyse le fonds, qui a un préjugé favorable pour les victimes, faut-il préciser. »

L’AMF a une mission bipolaire : elle voit à la bonne conduite des marchés financiers en les réglementant puis éduque et protège les consommateurs. Le fonds d’indemnisation tombe sous ce deuxième volet.

Les critiques à l’endroit du FISF sont nombreuses. Elles remettent souvent en question l’impartialité du processus d’indemnisation. L’AMF est à la fois le gendarme qui rédige et fait appliquer les règlements, et l’assureur qui indemnise les victimes d’abuseurs.

La décision d’indemniser les victimes de Norbourg, en 2007, alors qu’il y avait 5 millions de dollars dans les coffres du FISF, reste encore une pilule amère qui a coûté 31 millions, a mis le fonds à sec et l’a plongé en déficit depuis. Les cotisants au FISF, qui ont vu leurs contributions ultérieures substantiellement augmentées (d’en moyenne 200 %), n’ont pas apprécié. Ni les nombreux investisseurs qui n’ont pas été indemnisés. « Un autre scandale de même envergure arriverait aujourd’hui, le FISF n’aurait pas l’argent pour payer les victimes », déplore Robert Pouliot, qui s’occupe de la Coalition pour la protection des investisseurs.

De l’avis de plusieurs, la faute était imputable à un gestionnaire (Vincent Lacroix), alors que les gestionnaires de fonds ne contribuent pas au FISF et ne sont donc théoriquement pas couverts. « Le Canada est le seul pays du G8 où l’industrie de la gestion de portefeuille n’a aucune association professionnelle, précise Robert Pouliot. Les gestionnaires ne connaissent donc aucune forme d’autorégulation. Certains sont membres du CFA Institute (The Global Association of Investment Professionals), mais le CFA ne supervise pas ses codes de conduite; tout se fait sur une base volontaire. »

Si la faute n’a jamais été officiellement attribuée au gestionnaire Lacroix puisque la cause a fait l’objet d’un règlement hors cour, l’AMF a néanmoins procédé à l’indemnisation.

« C’était une décision d’affaires parce que ça sentait la Cour suprême, plaide Sylvain Théberge, de l’AMF. Entre indemniser des victimes pour fermer un dossier long et douloureux et mettre l’argent des investisseurs dans des poursuites judiciaires interminables, qu’est-ce qui était le mieux dans les circonstances? »

Au 31 mars 2011, le FISF avait encore un déficit de 10 580 000 $. En novembre 2011, le déficit tournait autour de six millions de dollars. « Nous allons sortir du rouge et entrer dans le vert à la fin 2012, selon nos prévisions, assure Sylvain Théberge. Cet équilibre signifie aussi l’abandon de la cotisation spéciale. » Abandon qui sera effectif le 1er janvier 2012. C’est ce qu’a annoncé Mario Albert, président-directeur général de l’AMF, le 16 novembre dernier. Toutes les catégories d’inscriptions qui étaient visées par ces frais spéciaux depuis l’affaire Norbourg verront leur cotisation au FISF être réduite de 100 $, dès le premier jour de 2012. « Plus personne ne paiera ces 100 $ à partir du 1er janvier 2012 », a confirmé Sylvain Théberge.

Plus de poursuites et d’amendes, mais un fonds toujours aussi à sec L’AMF a augmenté le nombre de poursuites et de condamnations au cours des dernières années. Le tribunal administratif de l’AMF, le Bureau de décision et de révision, récupère environ 80 % des amendes imposées. Quand le juge d’un tribunal de haute instance doit intervenir et impose une amende, c’est le Bureau des infractions et amendes, un bras du ministère de la Justice, qui s’occupe de les recouvrer.

Le tableau suivant montre les sommes récupérées depuis 2006 :

Années Amendes imposées Amendes perçues 2006-2007 1 988 116 $ 1 557 428 $ 2007-2008 3 312 382 $ 1 469 715 $ 2008-2009 2 948 925 $ 1 651 929 $ 2009-2010 81 617 978 $ 74 311 489 $

L’impressionnante somme de 2009-2010 s’explique par une amende record de 73 millions de dollars pour le papier commercial. « Cet argent a été dirigé vers la constitution de nouvelles équipes de détection des fraudes », précise Sylvain Théberge.

Le personnel affecté aux enquêtes et aux inspections a plus que doublé dans les cinq dernières années à l’AMF; de 50 personnes en 2004, elles sont passées à plus de 120 aujourd’hui. « Évidemment, plus de monde, plus de dossiers, plus de rapidité, illustre Sylvain Théberge. Le délai actuel d’enquête joue entre six mois et un an, alors qu’il était anciennement de trois à quatre ans. Taux de réussite devant les tribunaux : 96 %. »

Les enquêteurs font aussi des examens aléatoires, sans prévenir, vérifient la comptabilité, la gouvernance. « Dans la majorité des cas, ça se termine par des conseils, des recommandations, du fine tuning », ajoute Sylvain Théberge. Selon lui, 96,6 % du secteur financier fonctionne selon les règles. Mais le minuscule 0,4 %, quand il se fait prendre, fait tout un raffut dans les journaux… et dans les finances des investisseurs.

Les amendes ne reviennent pas au fonds d’indemnisation. Seule la contribution des cotisants remplit les coffres. « L’argent récupéré provient souvent d’activités criminelles et ne peut légalement servir à renflouer le fonds, explique Sylvain Théberge. Ces sommes vont plutôt au Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance (FESG), qui finance chaque année des projets à saveur éducative en provenance du milieu universitaire, d’individus et même de l’AMF. L’argent sert donc à augmenter le niveau de connaissance des gens à l’endroit des produits financiers. » Depuis sa fondation en 2004, le FESG a investi 10,6 millions de dollars dans 87 projets du genre.

Un fonds imparfait et perfectible Le FISF n’indemnise que les victimes de représentants inscrits qui agissent dans les limites autorisées de leur inscription et n’offrent que des produits qu’ils sont autorisés à offrir, écrit l’AMF.

En d’autres mots, les victimes de fraudeurs qui ont œuvré un peu ou beaucoup en marge des règles de l’AMF ne pourraient être indemnisées dans les conditions actuelles. Elles ne le seront probablement jamais, même dans le meilleur des mondes. Parce que le consommateur a la responsabilité de vérifier soigneusement l’inscription des personnes à qui il confie son pécule. Parce que des fraudeurs, il y en aura toujours. Tous s’entendent sur ce principe fondamental.

Ce qui ne veut pas dire que le FISF ne peut s’améliorer et élargir la couverture en cas de fraude. Ils sont nombreux à réclamer la réingénierie du fonds, surtout que, à 20 ans, il entre théoriquement dans l’âge adulte!

C’est notamment le cas de Robert Pouliot, cosignataire du mémoire Un fonds universel de protection contre la fraude et la négligence fiduciaire. La demande au ministre des Finances du Québec et à l’AMF de créer un nouveau fonds d’indemnisation est une démarche d’autant plus nécessaire qu’on appelle ces années-ci les Québécois à épargner massivement, entre autres en vue de leur retraite, font valoir les nombreux signataires du mémoire. En décembre 2010, Raymond Bachand, ministre des Finances, invitait d’ailleurs l’AMF à engager un dialogue à ce sujet avec la population.

La forme que devra prendre un futur fonds d’indemnisation est encore en gestation et affaire de débats. Pour le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ), il ne fait aucun doute qu’il faut élargir la palette des cotisants au FISF, limitée pour le moment au seul secteur de la distribution. « Outre les prestataires de services, qui en font déjà partie, il faudrait inclure les grandes institutions (institutions financières, assureurs, fonds communs de placement…), enfin l’industrie en général, où chacun paierait sa juste part, pour en faire un filet beaucoup plus adéquat en fonction des scandales financiers qu’on voit actuellement », estime Léon Lemoine, porte-parole du RICIFQ, qui cite en exemple le rôle potentiel de la Banque Royale dans l’affaire Earl Jones.

« Une récente rencontre avec le ministre des Finances laisse entrevoir une ouverture de sa part, notamment sur le fait que le fonds devrait couvrir davantage d’éventualités, ajoute Léon Lemoine. Mais ça discute encore beaucoup à savoir qui devrait payer et à hauteur de combien. »

Si le fonds, à l’avenir, ne pouvait se dissocier de l’AMF et devenir comme le souhaite le RICIFQ une entité indépendante, il faudrait qu’à la limite il y ait une représentation des conseillers, à un conseil d’administration, par exemple. « Aujourd’hui, nous avons juste le sentiment de nous faire tondre et n’avons pas grand-chose d’autre à faire que de bêler! », lance Léon Lemoine.

La Coalition pour la protection des investisseurs veut inclure les consommateurs et investisseurs dans les cotisants au fonds d’indemnisation pour en faire les financiers majoritaires et les représentants majoritaires au conseil d’administration. « Petits et grands investisseurs, nous sommes tous vulnérables et il est important que le consommateur, quel qu’il soit, puisse contrôler ce fonds. Si nous pouvions avoir ces trois éléments-là dans un nouveau fonds : protéger le consommateur, prévenir les dangers et éduquer les investisseurs, je crois qu’on aurait quelque chose d’extrêmement solide », lance M. Pouliot.

Robert Pouliot voudrait que les investisseurs soient également protégés contre la grossière négligence quand elle a un impact direct sur le portefeuille de l’investisseur, même en l’absence de fraude pure et dure.

« Ce fonds s’inspire à la fois des fonds d’indemnité professionnelle imposés par le législateur québécois à plus d’une vingtaine de professions (avocats, notaires, infirmières, comptables, vétérinaires, etc.), du régime d’indemnisation des victimes de la route et des diverses expériences de fonds de protection d’investisseurs au Canada (OCRCVM, MFDA, Société d’Assurance-dépôts du Canada, etc. », écrivent les signataires du mémoire Un fonds universel de protection contre la fraude et la négligence fiduciaire.

Ils ajoutent que, pour renforcer ce système d’assurance, le fonds investira ses capitaux aux côtés de ceux du public qu’il est appelé à protéger. Il est également question de noter tous les gestionnaires et les grands cabinets de conseillers. Le consommateur pourrait ainsi choisir ses gestionnaires non pas en fonction des rendements qu’on lui promet, mais selon les bonnes pratiques fiduciaires.

Cet article est tiré du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Guy Sabourin