Quel est le lien entre l’inflation et le rendement des actions ?

26 mai 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Pour les économistes keynésiens, l’inflation est avant tout une augmentation des prix des services et des marchandises. Pour les économistes monétaristes, l’inflation est un phénomène monétaire qui résulte d’une expansion de la base monétaire, et résulte par conséquent, de l’activation de la « planche à billets » par les banques centrales.

De nombreux experts se sont déjà penchés sur le lien entre l’inflation et les rendements des actions. S’il est clair que les obligations ne se comportent pas bien dans un environnement inflationniste, le lien entre l’inflation et les rendements des actions est moins évident. Expliquer les mauvais rendements des obligations à coupon fixe est assez aisé : lorsque l’inflation augmente, les taux d’intérêt à long terme augmentent puisque les investisseurs exigent des rendements plus élevés pour leurs investissements obligataires, ce qui entraîne les rendements à la hausse et diminue la valeur nominale des obligations existantes, a fortiori celles qui présentent une duration modifiée élevée. Autrement dit, plus la maturité de l’obligation est repoussée dans le futur, plus la sensibilité à la hausse des taux d’intérêt sera grande.

Les années 1970 sont communément identifiées comme une période de stagflation, c’est-à-dire d’inflation élevée, de taux d’intérêt nominaux élevés et de croissance économique anémique. En décembre 1980, les prix de l’or avaient atteint un record absolu de 850 dollars l’once, le taux Fed Funds était de 20 % et le bon du Trésor américain à dix ans pointait à 15,3 % en septembre 1981. De la fin du mois de décembre 1968 à la fin de l’année 1981, les États-Unis ont connu une période inflationniste à laquelle le président de la Fed de l’époque, Paul Volcker, a mis un terme en relevant rapidement les taux d’intérêt. Pendant cette période, l‘indice S&P500 rapportait 1,28 % par an en termes nominaux et -6 % par an en termes réels, c’est-à-dire corrigé après inflation. En d’autres termes, un dollar investi dans le vaste marché américain des actions à la fin de l‘année 1968 avait perdu 55 % de sa valeur réelle en 1981. Toutefois, grâce aux mesures drastiques de M. Volcker, qui ont dans un premier temps fait payer un lourd tribut à l’économie américaine avant de se révéler extrêmement salvatrice à plus long terme, les États-Unis sont entrés dans une période de saine croissance caractérisée par des pressions inflationnistes faibles. À l’inverse, de la fin de l’année 1981 à la fin du mois de décembre 2000, l’inflation est retombée de 8,4 % en 1982 à 3,4 % en 2000. Pendant cette période, le S&P 500 présentait un rendement de 16,9 % par an.

Pourquoi l’inflation a-t-elle un impact sur les valorisations des titres ? Tout d’abord, quand les perspectives de croissance de l’économie sont plus favorables, l’inflation est dans la plupart des cas minime. Des taux d’inflation élevés sont généralement observés dans des pays caractérisés par un régime instable, qui à son tour entraîne une croissance économique inférieure à la moyenne. D’ordinaire, une faible inflation va de pair avec des régimes stables, et cette stabilité soutient l’activité économique. Ensuite, en période de forte inflation, les investisseurs exigeront des rendements plus élevés en compensation. Si le ratio cours/bénéfices a tendance à chuter lorsque l’inflation grimpe, à l’inverse, le ratio cours/bénéfices, est plus enclin à augmenter.

La productivité peut être considérée comme un facteur-clé pour une augmentation du niveau de vie et de la rentabilité des entreprises. Il existe un lien entre la productivité et l’inflation. En effet, la productivité a littéralement plongé au cours des années 1970, tandis que l’inflation suivait le mouvement inverse aux États-Unis, comme le montre le graphique ci-dessous.

Enfin, lorsque l’inflation et les taux d’intérêt sont élevés, les actions attirent moins les investisseurs, étant donné la diminution de la prime de risque (soit la prime exigée par les investisseurs pour compenser le risque pris par rapport aux investissements à revenus fixes). En outre, le financement se complique pour les entreprises, rendant les fusions et acquisitions et autres formes d’expansion plus difficiles.

Les investisseurs prétendent souvent que lorsque l’inflation grimpe, les actions suivent le même mouvement, car il s’agit « d’actifs corporels » qui suivent la courbe de l’inflation. Cette affirmation n’est pas tout à fait exacte, car elle suppose que les entreprises puissent faire payer le coût de l’inflation par leurs clients. Société Générale Cross Asset Research écrit à ce sujet : « si en certaines périodes, la croissance des bénéfices affiche une corrélation avec le niveau de l’inflation, elle ne le fait pas en permanence, comme en témoigne le graphique ci-dessous. Le graphique montre qu’au cours des périodes de forte inflation, les bénéfices des entreprises souffrent considérablement, et ce, sur une durée non négligeable, ce qui entraîne une crise profonde sur le marché des actions. »

Quel est le lien entre l’inflation et le rendement des actions ? Le pouvoir de fixation des prix est une mesure-clé car il permet d’estimer la tendance des bénéfices des entreprises, selon la Société Générale. Les entreprises capables de limiter la croissance des coûts sous le niveau général de l’inflation économique résistent bien.

Ainsi, sachant que l’inflation n’a que peu d’impact tant qu’elle n’évolue pas au-delà d’un certain seuil et que les actions peuvent ainsi profiter de cette situation optimale, dès que le niveau d’inflation passe la barre des 4 %, plusieurs mesures de valorisation telles que le ratio cours/bénéfices, le ratio cours/valeur comptable et les marges EBIT tendent à diminuer, à l’inverse des rendements sur dividendes, la moyenne pondérée des coûts en capital augmentant pour les entreprises. En effet, lorsque les marchés des actions se sont redressés en 1981, marquant la fin de la longue période de marché baissier, les rendements globaux sur dividendes étaient relativement élevés et des secteurs entiers des marchés s’échangeaient largement sous leur valeur comptable.

Plusieurs études ont en effet démontré qu’au cours de la première phase d’un cycle inflationniste, les actions enregistrent des performances relativement bonnes, car les premiers signes d’inflation découlent souvent d’une amélioration de la conjoncture économique. Il y a un décalage entre la reprise de l’inflation et le premier resserrement monétaire. Cette période peut s’étaler sur plusieurs mois, voire un an. Au cours de celle-ci, les actions profitent vraiment d’une situation optimale parce que les rendements obligataires réels deviennent négatifs, ce qui renforce l’idée qu’il n’y a pas d’autres options aux actions. Lors de la seconde phase cependant, les rendements des actions diminuent à mesure que les banques centrales relèvent les taux d’intérêt au-dessus de la croissance nominale et de l’inflation, ce qui entraîne des taux d’intérêt réels positifs. À ce stade, les actions perdent leur avantage concurrentiel face aux investissements obligataires.

Que pouvons-nous conclure de ces observations ? Une inflation relativement minime, sous les 4 %, est favorable aux actions, qui ont tendance à souffrir une fois ce seuil dépassé. En outre, nous avons vu que les ratios cours/bénéfices (et donc les valorisations) diminuent lors des cycles inflationnistes. Il est essentiel de considérer la structure d’endettement des entreprises, leur pouvoir de fixation des prix, la valorisation et la rentabilité du capital physique. Il deviendra primordial de rechercher des entreprises de grande qualité, capables d’augmenter leurs prix au-delà du taux d’inflation.

Par ailleurs, une absence totale d’inflation, voire une déflation, comme au Japon, est très préjudiciable pour les bénéfices des entreprises, mais là n’est pas notre scénario central. Il est extrêmement difficile de définir des règles absolues quant au lien entre l’inflation et les rendements des actions. Chaque entreprise individuelle se comportera différemment d’une autre, et il convient dès lors d’en tenir compte dans une approche ascendante de sélection de titres.

Source : En collaboration avec Christophe Vandewiele, directeur de Dexia Asset Management au Canada