Tendance lourde – La finance béhaviorale n’est pas une mode de passage

Par Pierre Saint-Laurent | 5 juillet 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
4 minutes de lecture

• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2003 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Dans ma dernière chronique, parue au début d’octobre, j’ai traité de la finance béhaviorale. Or, depuis ce temps, cette discipline s’est affirmée encore plus : elle est en voie de devenir une «tendance lourde». Permettez-moi ce pronostic.

Au moment où j’écrivais ces lignes, je venais de recevoir le numéro de sept./oct. du CFA Magazine. À la une? La finance béhaviorale. Je lis par ailleurs en ce moment le livre Inefficient Markets: An Introduction to Behavioral Finance, d’Andrei Shleifer. En juillet, le professeur Mario Lavallée donnait une conférence sur la finance comportementale (sic). Pourquoi ce sujet est-il sur toutes les tribunes? Peut-il vous être utile?

Un chercheur en ce domaine ayant reçu le prix Nobel d’économie en 2002, la discipline a acquis ses lettres de noblesse… et la visibilité afférente. De plus, elle existe depuis des lustres. En effet, l’article fondamental, «Judgments Under Uncertainty: Heuristics and Biases», de Daniel Kahneman (le nobélisé de 2002) et de son collègue Amos Tversky, fut publié en 1974. En revanche, John R. Nofsinger de l’université Washington State vient de compléter ce qui semble être le premier livre pédagogique sur le sujet : The Psychology of Investing. Après quelques mouvements de frénésie et quelques krachs des marchés, le sujet a fait son bout de chemin.

La finance béhaviorale, c’est en quelque sorte une révision de la finance sans toutes ses hypothèses restrictives. Ainsi, vous avez peut-être étudié (pauvre vous!) l’hypothèse des marchés efficients : les agents économiques sont rationnels parce que l’information financière circule extrê- mement rapidement (et donc personne ne peut en profiter vraiment). Plus précisément, l’hypothèse stipule que tout gain potentiel s’évaporera aux mains d’une armée de petits arbitragistes. Mais le monde ne fonctionne pas tout à fait comme cela.

Autre élément soulevé par les spé- cialistes de la finance béhaviorale : «Le point central de la finance béhaviorale postule que, contrairement à la théorie des marchés efficients, l’arbitrage observé réellement s’avère risqué et, partant, est limité (traduction libre d’un passage du livre d’Andrei Shleifer précédemment cité).» Quelques autres anomalies étudiées par les béhavioristes financiers : l’effet des petites capitalisations, l’effet de janvier, le mystère de l’escompte propre aux fonds à capital fixe (closed-end funds) et les tendances persistantes (par exemple, la question du sentiment de marché).

Mais la finance béhaviorale est éminemment intuitive et pleine de bon sens. C’est ainsi qu’on peut la mettre à profit pour mieux comprendre les investisseurs. Voici quelques-uns de ses concepts clés :

L’AVERSION DES PERTES : on déteste plus perdre qu’on aime gagner. Cela expliquerait pourquoi les investisseurs hésitent à vendre un placement perdant ou vendent trop tôt un placement gagnant.

LES POINTS DE RÉFÉRENCE (ANCHORING) : on croit que le prix payé est le juste prix. Ici encore on s’accroche aux perdants («le titre va revenir») et on se débarrasse des gagnants.

LES COMPTES MENTAUX : plutôt que d’analyser sa richesse dans son ensemble, on la divise en «comptes», souvent selon l’usage projeté. Ainsi, il pourrait sembler plus grave de perdre 10 000 $ dans son compte de retraite que 10 000 $ dans sa cagnotte de vacances.

LA REPRÉSENTATIVITÉ : on voit des tendances dans des événements aléatoires : c’est le cas du joueur dont la main est chaude au casino. Un investisseur pourrait croire que les cours des marchés ne remonteront jamais ou qu’une période faste se prolongera longtemps. De même, on a tendance à croire que le passé récent se répétera : on oublie facilement le passé lointain.

Ces concepts sont utiles : ils vous permettent de comprendre les comportements irrationnels, et par le fait même vous aident à les détecter, ainsi qu’ils vous permettent d’en parler constructivement avec vos clients. Voilà pourquoi la finance béhaviorale est une «tendance lourde» qui ne fait que commencer. Dire que c’est moi qui vous en ai fait part…

Pierre Saint-Laurent

Pierre Saint-Laurent

Pierre Saint-Laurent, M. Sc., CFA, est président d’ActifConseil à Montréal. On peut lui écrire à l’adresse psl@actifconseil.com.


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2003 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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