Un éventuel recours collectif pour Revenu Québec? – première partie

Par Me Richard Chagnon et Yves Chartrand | 24 juillet 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Imaginons la situation suivante : un courtier immobilier gagne un revenu d’entreprise (net des dépenses) de 60 000 $ pour la période du 1er janvier 2011 au 31 octobre 2011. Le 1er novembre 2011, le courtier immobilier déclare faillite. Pour les mois de novembre et décembre 2011, il n’a gagné aucun revenu. Saviez-vous que, selon la position actuelle de Revenu Québec, un courtier immobilier dans une telle situation recevra malgré tout un avis de cotisation en avril 2012 (lorsqu’il produira sa déclaration de revenus pour la période postfaillite, c’est-à-dire pour les mois de novembre et décembre 2011) avec un solde à payer de près de 6000 $ à Revenu Québec, et ce, même s’il n’a aucun revenu pour cette période? Alors que le particulier croyait avoir réglé toutes ses dettes au moment de la faillite, il s’agit d’une bien mauvaise surprise qui survient quelques mois plus tard… Comme il y a approximativement entre 25 000 et 35 000 faillites personnelles par année au Québec, des histoires d’horreur comme celle-là se produisent plus souvent que vous ne pouvez l’imaginer.

Voilà une « saga » que nous suivons assidûment depuis plus de 10 ans avec nos valeureux participants du cours Déclarations fiscales. Il semble que nous ayons eu grandement raison de suivre cette saga, car Revenu Québec aura une vraie cause à défendre en procédure générale devant la Cour du Québec en 2012. Et le dénouement pourrait avoir des conséquences financières majeures pour Revenu Québec. Rappelons brièvement à quoi tout cela rime…

Lorsqu’un particulier fait faillite, cela crée deux années d’imposition dans la même année civile. On doit donc produire deux déclarations fiscales distinctes à chaque gouvernement pour le failli, à savoir la « préfaillite » et la « postfaillite ». Selon Revenu Québec, la cotisation au RRQ doit être calculée dans la déclaration postfaillite et sera basée sur le revenu de toute l’année civile. Il en est de même pour la cotisation au Fonds des services de santé (FSS), à l’assurance médicaments et au RQAP. De plus, vous devez ajouter à cela la contribution santé depuis 2010.

Belle facture en perspective, comme le démontre notre exemple précédent. Parmi les causes entendues à la Cour du Québec (Division des petites créances), les contribuables ont eu gain de cause dans neuf décisions en invoquant que seul le revenu pour la période postfaillite devait alors intervenir. En moyenne, les tribunaux ont tranché deux fois sur trois en faveur du contribuable dans ce type de cause.

Dans une de ces décisions gagnantes, le juge a mis en doute (avec justesse) la constitutionnalité de la position de Revenu Québec, qui va à l’encontre du principe de la préséance de la législation fédérale (voir plus loin comment Revenu Québec tente de contourner le problème). Évidemment, ces neuf décisions ne peuvent faire jurisprudence, car elles ont été rendues par la Division des petites créances de la Cour du Québec.

Mais la bombe pour neutraliser Revenu Québec est venue d’une décision rendue le 30 octobre 2009 dans l’affaire Caisse populaire Desjardins de Montmagny, où la Cour suprême du Canada a rappelé un principe bien établi quant à la préséance de la législation fédérale sur la législation québécoise dans un tel cas en précisant ceci au paragraphe 17 de ladite décision :

« On se rappellera, toutefois, qu’un principe de droit constitutionnel bien établi et concernant la mise en œuvre de la compétence législative du Parlement du Canada sur la faillite et l’insolvabilité ne permet pas aux législatures provinciales de créer des priorités incompatibles avec l’ordre de collocation établi par la LFI. Cette loi prévaut en cas de conflit et rend la législation provinciale inapplicable, sans égard à l’intention de la législature (D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] CSC 52, [2005] 2 R.C.S. 564, par. 12, la juge Deschamps). »

Ce passage d’une décision du plus haut tribunal canadien devait alors à notre avis clore le bec de façon définitive aux prétentions de Revenu Québec. Mais c’était bien mal connaître l’attitude crasse et déplorable de Revenu Québec qui, malgré tout, essaie désormais une vieille tactique pour tenter de maintenir les cotisations sur la base du revenu de toute l’année civile.

En effet, Revenu Québec invoque encore et toujours le concept selon lequel les cotisations « courues » (au RRQ, FSS, RQAP, RAMQ, etc.) pour la période préfaillite ne constituent pas des créances prouvables en date de la faillite, et ce, au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI). Ainsi, Revenu Québec tente de se soustraire au principe évoqué par la Cour suprême du Canada en clamant simplement qu’étant donné qu’il ne s’agit pas de créances prouvables, la décision susmentionnée de la Cour suprême est sans effet dans le présent litige.

Voici d’ailleurs ce que Revenu Québec précise entre autres dans une lettre type envoyée à un contribuable et dont nous avons obtenu copie :

« Lesdites cotisations sociales ne sont pas prévues à la Loi sur les impôts, mais résultent de l’application de la Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec (FSS), de la Loi sur l’assurance parentale (RQAP) et de la Loi sur le régime de rentes du Québec (RRQ).

En l’espèce, la question fondamentale est de savoir si les cotisations litigieuses constituaient, à la date de la faillite, des réclamations prouvables aux termes des articles 121 et suivants de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (L.R.C., 1985, c. B-3).

À cet égard, la position du Ministère est, dans le présent dossier, à l’effet que les cotisations sociales contestées sont des créances qui ne constituaient pas des réclamations prouvables au sens de l’article 121 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité en date du XX septembre 20XX, soit à la date de la faillite de votre client, puisqu’elles n’existaient pas à cette date.

Les créances que constituent ces cotisations sociales au FSS, RQAP et RRQ prennent naissance le dernier jour de l’année civile, soit le 31 décembre. Outre le fait que la créance ne se cristallise que le 31 décembre de l’année civile, en ce que le montant exact de chacune des cotisations ne peut être établi avant la fin de l’année, et que sa date d’exigibilité soit à une date ultérieure, à savoir le 30 avril de l’année civile suivante, l’assujettissement à la créance ne naît que le 31 décembre de l’année civile. »

Évidemment, tout cela est encore du Revenu Québec « tout craché », qui continue à s’attaquer à des contribuables sans trop de défense. Cela frôle la fraude intellectuelle (et nous sommes très polis) de la part des fonctionnaires de Revenu Québec dans cette saga…

Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.

Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Me Richard Chagnon et Yves Chartrand